Après avoir visionné le documentaire A Loner pour la première fois, le célèbre réalisateur hongkongais Derek Yee Tung-sing ne s'est pas faufilé rapidement à l'extérieur du cinéma comme à son habitude. Si ce n'était de l'invitation d'un vieil ami, Yee ne serait sans doute jamais venu visionner ce film d'art sur la solitude des aînés tourné par Xing Xiao, un jeune réalisateur relativement inconnu. Charmé par la narration réfléchie et élégante du film, Yee est resté les yeux rivés à l'écran jusqu'à la toute fin du générique. « Le film est bien construit et digne de grands éloges », dit Yee.

A Loner met en vedette Zhu Xijuan, âgée de 80 ans, une figure éminente de l'industrie cinématographique chinoise et récipiendaire du premier prix de la meilleure actrice après la fondation de la République populaire de Chine en 1949. Le film dépeint la fin de vie tragique d'une veuve âgée, qui vit seule avec son chien dans une vieille maison traditionnelle au centre de Beijing. Introvertie et réservée, elle passe ses journées à promener son chien et à regarder des séries télévisées. Bien que les conversations téléphoniques occasionnelles avec sa fille lui apportent un peu de joie, celle-ci travaille à Shanghai et est généralement trop occupée pour se soucier d'elle. La veuve tombe dans la solitude et meurt finalement en regardant la télévision. Plusieurs jours passent avant que quelqu'un ne remarque son décès.

Les louanges des initiés

Le film vise à mettre en lumière les difficultés rencontrées par certains ainés en Chine, et les soins – trop souvent inadéquats – qui leurs sont prodigués. Selon le ministère des Affaires civiles, il y avait environ 150 millions de Chinois âgés de 65 ans et plus à la fin de 2016, à savoir 10,8 % de la population totale du pays. C'est 3,8 % de plus que le seuil que les Nations unies utilisent pour désigner une société vieillissante.

« Ce problème est universel. Tout le monde vieillit. Trouver une manière de profiter de ces importantes années en dignité est un défi pour nous tous. Nous devrions accorder plus d'attention aux personnes âgées dans notre société », dit Zhu à CHINAFRIQUE.

M. Xing, âgé de 35 ans et directeur de la société China Film Group Corp., compte déjà sept films à son actif, y compris le premier film 3D chinois, Don Quichotte. Il a déjà remporté deux prix au 3 Festival international du film de Macao dont celui du meilleur nouveau réalisateur. A Loner marque la première incursion de Xing dans le monde du cinéma d'art.

« J'évolue dans l'industrie du cinéma depuis 14 ans. Plus je me consacre à mon travail, moins je peux consacrer de temps à mes parents. Je me sens coupable et j'ai donc décidé de tourner ce film pour montrer le respect que j'ai envers eux », dit Xing à CHINAFRIQUE.

Yee n'a pas été le seul à être ému par A Loner. Avant sa première en janvier, le film avait déjà été présélectionné pour plusieurs prix internationaux. Le film a également été présenté lors de cinq événements cinématographiques nationaux, dont le 26 Coq d'or et le Festival des cent fleurs, populairement connu comme les Oscars chinois. L'actrice principale Zhu Xijuan a d'ailleurs remporté le Grand Prix du Jury au 20 Festival international du film et de la télévision de Shanghai en juin 2017.

Question de qualité

Comment un film à petit budget et dépourvu des éléments vendeurs de l'industrie cinématographique – comme l'action ou la comédie – a-t-il réussi à récolter des critiques si élogieuses ?

« La réalité de la vie nous touche, explique Yin Hong, professeur à l'école de journalisme et de communication de l'Université Tsinghua. L'intrigue évolue lentement. Peu de conflits directs sont visibles à l'écran, ce qui met en exergue le sentiment de solitude du début à la fin. »

« A Loner n'est pas un film amusant. On n'y trouve ni complots dramatiques ni de superstars pouvant séduire les jeunes cinéphiles. Ce que je voulais y présenter, c'est ma compréhension de la vie et de la mort », dit Xing. Le dévouement professionnel est une autre explication possible derrière le succès du film. Pour Zhu, la partie la plus inoubliable du film est le monologue de sept minutes de son personnage. « Je pensais que la scène pourrait exiger un montage de cinq à six scènes, mais Zhu a réussi quelque chose de remarquable, à savoir la tourner en un seul plan », dit Xing. Il a fallu une journée entière pour bien faire les choses, ce qui a naturellement épuisé l'actrice de 80 ans.

Selon Xing, le budget d'A Loner était de 3 millions de yuans (476 000 dollars), le plus bas de tous les films qu'il a réalisé à ce jour. « Il est difficile d'obtenir du financement pour les films d'art », dit-il, expliquant que la veille même du tournage, il n'avait toujours pas tout l'argent à sa disposition. En raison du budget serré, l'équipe de production devait réaliser plus de 1 000 scènes en un mois, travaillant 10 heures par jour pendant 26 jours consécutifs.

La rémunération de l'actrice principale était d'environ 100 000 yuans (16 000 dollars), soit à peine le dixième de ce qu'il en coûterait pour employer une jeune star pour un événement promotionnel de quelques heures. « J'étais très nerveux au moment de donner le script à Zhu. Après tout, elle est une actrice de grand renom », se souvient Xing. À sa grande surprise, Zhu a accepté de jouer dans le film sans demander un centime de plus.

Si le film jouit d'une bonne réputation dans les cercles des initiés, sa performance au box-office est loin de refléter ce succès. Diffusé sur moins de 1 % des salles de cinéma du pays, le film n'a rapporté que 190 000 yuans (30 000 dollars) dans les 10 jours suivant sa sortie le 25 janvier.

Néanmoins, cela n'affecte en rien la satisfaction de Xing. « Bien que nous ayons perdu au box-office, nous avons gagné l'attention des critiques de cinéma. C'est un film fait avec beaucoup de passion et qui exprime ce que je voulais exprimer. Je pense donc que A Loner a accompli sa mission », dit Xing.

Yee, quant à lui, partage visiblement cet enthousiaste, car il a déjà accepté de produire le prochain film de Xing.

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