L'implication de l'Union africaine (UA) en Côte d'Ivoire ne fait que souligner la complexité déjà clairement perceptible des tentatives de médiation mises en œuvre lors des conflits qui ont éclaté sur le continent. Ces démarches exigent une capacité de contextualisation et la création d'un certain climat d'urgence, des défis auxquels est aujourd'hui confrontée l'UA. La connaissance du profil psychologique des médiateurs et négociateurs est un préalable incontournable permettant aux parties en conflit de s'engager, d'accorder leur confiance et de placer leur espoir dans le laborieux processus de médiation.
Le conflit en Côte d'Ivoire s'articule autour de ce qu'Alassane Ouattara revendique être une élection libre et juste, qualifiée au contraire de scrutin volé par son rival politique et président sortant Laurent Gbagbo.
Entre janvier et février 2011, le conflit en Côte d'Ivoire s'est traduit par une opposition militaire croissante entre les forces de sécurité fidèles à Gbagbo et les Forces nouvelles, un groupe armé ayant pris le contrôle du nord du pays en 2002 et soutenant Ouattara.
Au total, 300 personnes auraient été tuées et 700 000 déplacées dans la période postélectorale. L'un des facteurs ayant probablement favorisé la flambée de violence est le temps qui s'est écoulé entre la contestation des résultats et l'émergence d'une solution à la crise. La médiation de l'UA a échoué et n'a produit aucun résultat rapide et probant, susceptible de résoudre cette crise qui dure maintenant depuis trois mois. Habituellement, lorsque les parties prenantes au conflit perdent confiance et espoir dans un processus de médiation, elles en viennent à utiliser leurs propres méthodes et moyens pour parvenir à leurs fins.
La valse des médiateurs
L'UA a fait appel à de nombreux médiateurs ayant fait leur preuve lors de conflits antérieurs. Dès les premiers temps du conflit en Côte d'Ivoire, l'ancien président sud-africain Thabo Mbeki s'est rendu sur place avant de rapidement se retirer sans avoir pu accomplir grand-chose.
Un autre groupe de médiateurs prit le relais et essaya de désamorcer la crise. Les dirigeants actuels du Kenya, de l'Afrique du Sud, du Tchad, de la Mauritanie et de la Tanzanie ont tous tenté de dénouer la situation. Finalement, cette valse des médiateurs aura eu pour seul effet d'entraîner une perte de confiance du peuple de Côte d'Ivoire et des parties prenantes au conflit dans le processus de médiation.
L'UA a également employé des médiateurs à mi-temps à l'occasion de nombreux conflits, dont celui de Côte d'Ivoire. Ces derniers ont généralement déjà beaucoup à faire avec les problèmes de leur propre pays. Or, l'un des facteurs ayant permis à la crise kenyane survenue en 2007-2008 de se résoudre assez rapidement fut la contribution active et entière de Kofi Annan comme médiateur. Les conflits africains et notamment en Côte d'Ivoire sont-ils condamnés à s'éterniser en raison de la trop faible implication des médiateurs chargés de les résoudre ?
L'UA n'a pas toujours fait preuve de cohérence dans le dossier ivoirien. Initialement, lorsque les résultats de l'élection ont été contestés, l'UA a rejoint l'ONU et les autres membres de la communauté internationale en condamnant Gbagbo et en reconnaissant Ouattara comme vainqueur. Mais les jours se sont écoulés et l'UA n'est pas parvenue à faire plier Gbagbo et à lui faire accepter la position africaine. Suite à cela, l'UA et la Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) ont déclaré fermement que si Gbagbo refusait de se retirer il serait destitué, n'excluant pas une option militaire. Gbagbo refusa et nombreux sont ceux qui s'attendaient donc à voir l'UA et la CEDEAO mettre leur menace à exécution. Le 29 janvier, l'UA, par la voix de l'un de ses médiateurs, le Kényan Raila Odinga, annonça un assouplissement de sa position par crainte de voir la situation se dégrader en cas d'emploi de la force militaire.
L'UA s'est depuis lors employée à promouvoir le dialogue entre Ouattara et Gbagbo.
La loi de l'UA
En raison des tenants et des aboutissants du conflit, l'UA a été contrainte de faire appel à des médiateurs ayant une certaine proximité avec le contexte géopolitique de la Côte d'Ivoire. C'est pourquoi elle a demandé au président du Burkina Faso de rejoindre l'équipe. L'UA tient son mandat de médiation du sommet des chefs d'État africains. Les tractations diplomatiques sont donc longues et délicates. Les consultations se succèdent et ne permettent pas d'avancer aussi vite qu'il le faudrait. Les médiateurs de l'UA sont choisis pour leurs fines connaissances de chaque dossier et leur sagesse, mais également dans le but de préserver la continuité du processus entamé. Cela explique notamment l'implication significative du président sud-africain Jacob Zuma, dont le pays entretient des liens anciens avec la Côte d'Ivoire. En substance, l'UA est confrontée à la terrible nécessité de prendre en compte le contexte diplomatique de chaque conflit [en Afrique] au fur et à mesure que celui-ci se développe.
Ce qui pourrait apparaître comme incohérence n'est en fait qu'un ajustement aux nécessités du processus de médiation. Ces processus sont complexes et donnent l'impression de n'être qu'une convergence simultanée de défis et d'opportunités. La position de l'UA semble désormais favoriser la formation par Ouattara d'un gouvernement d'union. La complexité des conflits africains fait que l'on semble souvent aboutir à des compromis qui ne sont pas toujours la meilleure solution, mais qui parviennent à mettre un terme aux hostilités. Tout au moins pour un temps.
(Reportage effectué au Zimbabwe) |