Un site du patrimoine mondial
Ce qui a apparemment été négligé dans la construction du barrage est le fait que le lac Turkana, le quatrième plus grand lac d'Afrique, le plus grand lac permanent en milieu désertique au monde et le plus grand lac alcalin du monde, est un site répertorié par le patrimoine mondial de l'UNESCO.
En Juin 2011, le Comité du patrimoine mondial de l'UNESCO, à sa 35e session tenue à Paris, en France, a appelé à l'interruption de la construction du barrage en attendant une évaluation et une mission de surveillance du Centre du patrimoine mondial pour examiner l'impact du barrage sur le lac Turkana.
Cependant, Azeb Asnake, le chef de projet de Gibe III a défendu le barrage en disant que les études d'évaluation d'impact réalisées par le gouvernement éthiopien et d'autres parties indépendantes montrent qu'aucun dommage ne sera causé à l'écosystème du lac Turkana.
« En fait une nouvelle étude préparée par les donateurs et les autres parties prenantes révèle des résultats opposés », a-t-elle déclaré à AfricanReview.com.
« L'évaluation a clairement défini les moyens par lesquels le barrage aidera à conserver les zones autour du site et permettra de contrôler le débit hydrique qui a été une menace majeure pour les gens qui vivent le long des berges de la rivière aux environs du lac Turkana. » a-t-elle ajouté.
John Munyes, le ministre kenyan du Travail, qui représente aussi une circonscription dans le voisinage du lac, a dit à CHINAFRIQUE qu'il ne voyait pas de problème à la construction du barrage.
« Notre problème est qu'ils doivent remplir le réservoir lentement, disons, pendant plus de 10 ans. S'ils le remplissent d'un seul coup, le lac Turkana sera perdu. » Deux autres députés du comté de Turkana, Ekwee Ethuro et Josephat Nanok, affirment qu'il y a nécessité d'évaluer entièrement l'impact environnemental du projet Gibe III. Deux autres barrages ont été construits sur le cours supérieur de l'Omo et deux autres sont prévus après celui-ci. Le projet Gibe III a débuté en 2006 et devrait se terminer l'an prochain.
Nanok, ministre adjoint de la Faune et des Forêts, a déclaré que le Kenya devrait se concentrer sur l'énergie verte, comme l'énergie éolienne et solaire, et peut-être sur son vaste potentiel géothermique, si cela permet de sauver le lac Turkana.
« Le peuple éthiopien n'est pas malveillant. Ces gens veulent de l'électricité et ils ont une rivière qu'ils peuvent exploiter », a noté le Dr Boni Khalwale, président du Comité des comptes publics du Parlement kenyan. «Donc, si nous allons à la table des négociations et disons au gouvernement de l'Éthiopie que, plutôt que de produire de l'énergie hydroélectrique onéreuse, le Kenya exploite actuellement son potentiel géothermique et que nous serons en mesure de vendre cette énergie à l'Éthiopie à des tarifs préférentiels en raison de considérations régionales et de la nécessité d'une coopération internationale, ils nous écouteront.»
Aller de l'avant
L'Éthiopie a promis de continuer avec le projet de 2,11 milliards de dollars en dépit du gel de l'UNESCO. Les Éthiopiens ont travaillé sur ce projet pendant les quatre dernières années et ne voient pas pourquoi ils devraient s'arrêter maintenant.
« Peu importe ce qui est rapporté, le projet va se poursuivre, et le financement du projet est assuré par la Banque Industrielle et Commerciale de Chine qui a fourni 470 millions de dollars, le reste pouvant être couvert par l'Éthiopie », a expliqué Misikir Negash, responsable des relations publiques pour Ethiopia Electric Power, à Fortune, une publication éthiopienne.
L'UNESCO a indiqué dans son rapport daté du 27 mai 2011 que les financiers chinois, ainsi que d'autres financiers, ont été priés de cesser le financement du projet jusqu'à ce que le problème soit résolu.
Selon le site officiel de Gibe III, la plupart des coûts de construction du barrage lui-même sont couverts par le gouvernement éthiopien avec ses fonds propres.
Mais le gouvernement éthiopien aura à intervenir, parce que s'il ignore l'interdiction de l'UNESCO, découlant du fait que le barrage est susceptible de détruire un site du patrimoine, les autres sites du patrimoine de l'Éthiopie peuvent être retirés la liste de l'UNESCO. Cela réduira le nombre de touristes et finalement affectera l'économie du pays.
L'UNESCO a déclaré que le lac Turkana - qui est un bien collectif composé du parc national de Sibiloi, du parc de Central Islands et du parc de South Islands - est un terrain de reproduction majeur pour le crocodile du Nil, l'hippopotame, une grande variété d'espèces de serpents et de poissons, ainsi qu'une étape clé pour les oiseaux aquatiques migrateurs. L'organisme de surveillance de l'environnement a déclaré que les changements dans le débit des crues annuelles de l'Omo en particulier « pourraient affecter de frai des poissons, ce qui aurait de graves conséquences sur la chaîne alimentaire du lac et sur son écosystème. »
(Reportage réalisé au Kenya)
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