THÉRÈSE Shikuku (51 ans) s'est rendue dans tous les grands hôpitaux du Kenya quand elle était malade. Elle avait même envoyé un échantillon de tissu en Afrique du Sud pour des tests. Les résultats ont confirmé un liposarcome, une tumeur maligne de cellules graisseuses dans son abdomen. Il n'y avait pas de traitement. Sa mort fut seulement celle d'une des 18 000 personnes qui meurent chaque année à cause du cancer, selon le Comité de la santé du Parlement kenyan.
Le Kenya compte seulement cinq oncologues dans les hôpitaux publics et ces spécialistes du cancer sont censés répondre à la majeure partie des plus de 80 000 nouveaux cas de cancer déclarés chaque année.
Chirurgie à distance
Toutefois, si la téléchirurgie révolutionnaire utilisée à l'hôpital universitaire Aga Khan s'implante dans le pays, l'espoir est peut-être à portée de main pour les patients cancéreux.
Dans une première présentation de ce genre au Kenya, l'hôpital privé a montré que la téléchirurgie (aussi appelée chirurgie à distance) est possible au Kenya.
Grâce à l'expertise technique des meilleures entreprises dans la fourniture de matériel médical (Asterisk Kenya), les équipements de télécommunication à haute vitesse (Sight and Sound Limited) et les connexions haut débit (Access Kenya), ainsi que la salle d'opération dernier cri de l'hôpital universitaire Aga Khan, une équipe de chirurgiens ont été les témoins d'une opération en direct.
Les chirurgiens s'étaient rassemblés à l'Hôtel Crowne Plaza de Nairobi pour une conférence de trois jours placée sous les auspices de l'Association panafricaine des chirurgiens urologues. Ils ont vu la manière dont un spécialiste d'urologie en Afrique du Sud consultaient les médecins dans la salle d'opération pendant l'opération, qui a été un franc succès.
Questions éthiques
Selon The Business Daily, le journal kenyan qui a révélé l'affaire, « cette technologie rassemble l'informatique de point, et les technologies médicales et de radiodiffusion pour maîtriser les données complexes de presque tous les domaines médicaux indépendamment de la localisation ou du fuseau pour une salle d'opération unique. »
La téléchirurgie est juste une des nombreuses possibilités qui vont certainement faire une différence énorme sur le continent, mais cela dépend de la connectivité haute vitesse, de la disponibilité d'installations adéquates et de la prise de conscience des possibilités de cette nouvelle pratique pour sauver des vies.
Herbert Murayi, un médecin exerçant à Nairobi, a déclaré que cette technologie était la bienvenue car elle pouvait potentiellement permettre au pays d'atteindre ses espérances en terme de santé pour tous.
« La téléchirurgie est une culture qui, comme toutes les bonnes choses, prendra du temps pour être appréciée. Mais une fois qu'elle se sera imposée, on ne pourra plus l'arrêter », déclare Murayi à Chinafrique.
Mais selon lui, il y a des questions cruciales qui doivent être abordées afin de permettre à la téléchirurgie et aux autres formes de télémédecine d'être acceptées. Il est question ici de « consensus social » sur la personne qui prendra la responsabilité pour le patient en cas de problème.
Il y a aussi un élément de « jalousie professionnelle », où les quelques professionnels dans divers domaines spécialisés et rentables peuvent être contraints de partager les bénéfices et les patients avec des «conseillers étrangers». D'après Murayi, c'est une tendance propre à tout passage à une nouvelle technologie, « parce que les gens pensent que leurs emplois seront menacés.»
Besoin en infrastructures
Mettre en place des infrastructures dans les hôpitaux publics sera le principal défi. Les hôpitaux privés comme l'hôpital universitaire Aga Khan et l'hôpital de Nairobi disposent de ressources, mais étant donné l'histoire de la bureaucratie dans les gouvernements africains, il faudra du temps aux hôpitaux publics pour accepter les nouvelles pratiques.
« L'équipement est cher. Pour l'implanter dans les hôpitaux publics il faudra que l'administration détermine qui va initier le processus, qui en sera « propriétaire », sans compter que cela réclame une expertise », a déclaré Murayi.
La procédure sera évidemment adoptée dans les villes avant qu'elle ne passe dans les hôpitaux ruraux où, dans toute l'Afrique, les services médicaux sont en général encore pauvres.
Les carences en matière de connection Internet et de fourniture d'électricité seront autant d'obstacles à la téléchirurgie, sans compter que les patients ne peuvent pas accepter d'être traités par quelqu'un qui n'est pas physiquement présent dans la salle. De plus, même si l'argent et l'infrastructure étaient présents, il y a très peu de médecins en Afrique capables de bien assurer la liaison avec d'autres spécialistes dans d'autres parties du monde.
Question de confiance
Mais il ya certains aspects positifs. Une étude dans le Japanese Journal of Clinical Oncology souligne que «la télémédecine promet au moins de réduire les coûts.»
« Les assureurs peuvent craindre que la télémédecine puisse ajouter des millions à la facture des soins de santé de la nation, mais ses partisans soulignent que cela peut permettre d'économiser sur coûts de santé en milieu rural tant pour les patients et pour les équipes médicales », note l'étude intitulée Telemedicine Comes of Age, publié en 2000.
« En ce qui concerne l'économie, la rentabilité est une question cruciale. Les économies de temps et d'argent étaient, après tout, parmi les objectifs initiaux de la télémédecine. Une augmentation de la demande va diminuer le coût, et le coût diminuant, son utilisation se répandra », ajoute-t-il.
La téléchirurgie peut également aider à la formation, puisque les étudiants en médecine peuvent être branchés en direct sur des opérations dans d'autres parties du monde et d'apprendre à effectuer certaines opérations.
Le plus gros problème de cette nouvelle manière de faire est peut-être la question de confiance. L'article cité estime qu'une «confiance solide» entre médecins et entre les médecins et les patients est la condition nécessaire à la réussite de toute forme de médecine et le patient devrait donner son autorisation.
(Reportage réalisé au Kenya) |