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A LA UNE:Un Ivoirien analyse les dernières nouvelles sur Laurent Gbagbo |
Lors de son premier voyage d'État en France fin janvier, le président ivoirien Alassane Ouattara a signé un nouvel accord de sécurité avec le président Nicolas Sarkozy et a remercié la France pour avoir contribué à chasser son prédécesseur Laurent Gbagbo, poursuivi pour crimes de guerre. « Sans la France, il y aurait eu en Côte-d'Ivoire un génocide pire que celui du Rwanda », a déclaré Ouattara au journal Le Monde.
Après quatre mois de violences électorales en Côte-d'Ivoire, qui, d'après la Cour pénale internationale (CPI) se sont soldées par 3 000 morts et des milliers de réfugiés, Ouattara a décidé de rassembler la nation en formant une commission de réconciliation. Cette commission enquêtera sur les atrocités et les atteintes aux droits de l'homme perpétrées par les deux forces antagonistes.
Cette commission, présidée par l'ancien Premier ministre Charles Konan Banny, est composée de 11 membres, dont le célèbre footballeur Didier Drogba. Elle portera le nom de Commission pour le dialogue, la vérité et la réconciliation. Prenant pour modèle une initiative similaire menée en Afrique du Sud après la fin du système d'apartheid, la commission devra recueillir les témoignages des familles de personnes tuées par des membres des deux clans qui s'affrontaient.
Un passé douloureux
La démocratie ivoirienne a été mise à l'épreuve lorsqu'Ouattara est sorti gagnant des élections présidentielles de 2010. Gbagbo a alors refusé de céder le pouvoir, ce qui a conduit à une explosion de violence responsable de milliers de morts.
Après plusieurs appels lancés à Gbagbo pour qu'il cède le pouvoir, il a été poussé à la sortie grâce à l'aide du gouvernement français. Ouattara a alors hérité d'un pays divisé.
Les atrocités commises pendant les violences post-électorales ont laissé le pays en ruine. D'après l'opération des Nations unies en Côte-d'Ivoire (UNOCI), les Forces républicaines de Côte-d'Ivoire (FRCI), qui constituent l'armée dans l'ouest du pays, ont commis de nombreuses exécutions sans jugement.
Un rapport publié le 23 novembre 2011 par l'UNICEF et Save the Children indique plus de 1 000 infractions, notamment 415 agressions sexuelles commises à Abidjan et dans l'ouest depuis novembre 2010, en majeure partie contre des femmes et des filles. Le représentant de l'UNICEF, Hervé Ludovic de Lys, a déclaré que ces chiffres n'étaient que « la partie émergée de l'iceberg », étant donné que la plupart des agressions n'ont pas été enregistrées.
La communauté internationale et de nombreuses personnalités internationales comme Kofi Annan et l'évêque Desmond Tutu ont salué la formation de la commission et l'ont appelé à s'attaquer aux problèmes qui existent dans les deux camps.
Le 18 janvier 2012, Kofi Annan a rencontré le président Ouattara, le Premier ministre Guillaume Soro, et Charles Konan Banny, président de la Commission nationale pour le dialogue, la vérité et la réconciliation. Il a également rencontré Bert Koenders, représentant spécial du Secrétariat général des Nations unies et chef de l'UNOCI, et a insisté sur le fait que : « le devoir de réconciliation et de guérison doit rester une priorité nationale afin de surmonter l'héritage du passé. »
Annan a déclaré qu'il était satisfait de la discussion constructive qu'il avait eue avec le président et les membres de la commission de réconciliation, mais il a invité la commission à faire preuve de prudence puisque sa tâche était complexe.
« C'est une entreprise complexe, qui doit être planifiée et menée par les autorités nationales et avec le soutien de la communauté internationale. L'expérience montre que cette tâche ne peut pas être retardée. La sécurité et la stabilité vont de paire avec le développement économique », a déclaré Annan.
Les défis de la réconciliation
De l'autre côté de l'échiquier, le comité exécutif du Front populaire ivoirien, l'ancien parti du président Gbagbo, a condamné la décision de la Cour pénale internationale de juger ce dernier à la Hague. Gbagbo est accusé de quatre crimes contre l'humanité qu'il aurait commis pendant la période de violence post-électorale entre décembre 2010 et avril 2011.
Parallèlement, le porte-parole du parti de Gbagbo, Désiré Boussi, a annoncé que leur parti se retirait du processus de réconciliation nationale après le transfert de Gbabgbo à la CPI de La Haye, et a accusé le président Ouattara de ne pas prendre la réconciliation au sérieux. Beaucoup voit dans cette décision une menace pour la restauration de l'unité du pays.
Sans tenir compte de ces accusations, la Commission nationale pour le dialogue, la vérité et la réconciliation a commencé ses travaux le 28 septembre 2011 à Abidjan, en espérant que cela permettra de créer les conditions pour une paix permanente et conduira au processus de réconciliation.
On a largement souligné le besoin d'unité pour reconstruire la Côte-d'Ivoire. Le vice-président de la Banque mondiale pour la région africaine, Obiageli Ezekwesili, a déclaré important de reconstruire la cohésion sociale dans un pays qui jouissait auparavant d'un fort capital social fondé sur l'unité, la diversité et une économie florissante.
Il faut néanmoins noter que les Ivoiriens sont sceptiques concernant la capacité de la commission à guérir le pays. « Nous ne comprenons par vraiment comment ça marchera », explique Patrick N'Gouan, qui est à la tête d'un groupe de défense des droits civiques, la Convention pour la société civile. Il ajoute que la société civile n'a pas été suffisamment consultée dans la composition de la commission.
Ouattara a promis à plusieurs reprises que le système judiciaire ivoirien enquêterait dans toutes les parties. La promotion d'anciens seigneurs de guerre, dont certains sont suspectés d'avoir commis des crimes de guerre, à des positions importantes dans la nouvelle armée nationale, les FRCI, jettent quelque peu le doute, mais ces promotions sont présentées comme une stratégie d'Ouattara pour affaiblir leur influence à long terme, et il semble que cela ait un certain impact.
Craintes économiques
De nombreux ivoiriens ne sont cependant pas uniquement concernés par l'unité de la nation, mais aussi par la renaissance de leur économie exsangue, afin de pouvoir retrouver une vie normale et de prendre soin de leur famille.
« Pour la première fois dans l'histoire du pays, nous nous trouvons dans l'impossibilité de payer les salaires du mois de mars 2011», a avoué Charles Koffi Diby, le ministre de l'économie et des finances, aux participants d'une table ronde organisée par la Banque mondiale. « Si quelque chose n'est pas fait très rapidement, nous serons bientôt confrontés à une spirale d'arriérés de salaire. »
Le boycott des produits phares de Côte-d'Ivoire (cacao), une fuite bancaire massive, la prolifération des armes légères et la fuite de nombreux réfugiés ont encore aggravé la crise.
Heureusement pour les ivoiriens, la Banque mondiale leur est venue en aide et a récemment fourni deux prêts à la Côte-d'Ivoire : 150 millions d'aide budgétaire et 50 millions pour l'emploi des jeunes.
Les estimations pour le futur indiquent que 3 à 7 pour cent du PIB ivoirien a été perdu quand l'activité économique a cessé à cause des combats.
La crise en Côte-d'Ivoire trouve son origine dans de lointains problèmes tels que la nationalité ou l'intégration économique et sociale, problèmes récurrents dans de nombreuses sociétés post-coloniales en Afrique. La paix, la stabilité, le règne de la loi, le maintien de l'ordre et la réconciliation seront nécessaires pour le rétablissement d'une économie durable dans le pays. Ces éléments four-nissent la base nécessaire à une bonne gouvernance et à une croissance inclusive reflétant la participation de tous les Ivoiriens.
C'est pourquoi il fait chaud au coeur de savoir que les partenaires de toujours de la Côte-d'Ivoire, notamment le département du maintien de la paix des Nations unies, la banque africaine de développement, l'Union africaine, la CEDEAO, ainsi que les officiels chinois, français et américains se sont engagés à aider le pays à remettre sur pied son économie.
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