Avant le coup militaire au Mali le mois dernier, il était largement convenu que les coups d'État militaires classiques en Afrique appartenaient au passé. Les régimes élus, en dépit de leurs nombreux défauts, sont généralement préférés à une prise de pouvoir par des aventuriers militarisés. Mais cette vision était, tout autant une conception au service des élites au pouvoir, un simple vœux pieux qui cachait la réalité. En réalité, dans certains cas, les coups militaires se révèlent très utiles pour mettre fin à un régime récalcitrant, déterminé à miner ses propres fondements constitutionnels.
Le coup d'État qui a mis fin au régime de l'ancien président la République du Niger, Mamoudo Tandja, en 2010 a été accueilli avec soulagement par l'organisation régionale CEDEAO, exaspérée par un régime s'acharnant à rester au pouvoir en manipulant la constitution.
Le coup militaire au Mali, à la veille d'une élection à laquelle ne pouvait participer l'ancien président en place, était évidemment funeste et indésirable mais met en évidence les menaces mortelles qui planent sur la démocratie en Afrique. Même si les rebelles ont été chassés par l'intervention de la CEDEAO et de l'UA, le fait que les militaires se considèrent encore comme une véritable alternative politique souligne la fragilité de la démocratie en Afrique.
Quoiqu'il en soit, à part le cas extrême du Mali où le retour de la junte était particulièrement inutile, la nature des régimes civils en Afrique et l'impunité, la véhémence et le caractère récalcitrant des élites au pouvoir ne trouvent d'autres alternatives qu'au mieux une insurrection de masse, une lutte armée ou, au pire, un coup d'État militaire.
Les élections dans la plupart des pays d'Afrique sont devenues une énigme totale, un rituel creux, un simple rite de passage. L'ancien président nigérian, Olusegun Obasanjo, a expliqué dans une conférence de presse que sa démission du poste de président du conseil de surveillance de son parti, le parti populaire démocratique, tenait à ce qu'il se sentait avoir le droit de se retirer des activités officielles de son parti après avoir avec succès installé deux présidents après son propre mandat et supervisé deux conventions de son pari aux cours desquelles les résultats qu'il souhaitait ont été atteints. Le libre choix démocratique est en Afrique largement tributaire des activités maladroites des élites pour parvenir au résultat escompté, qui dans la plupart des cas renforce leurs propres intérêts étroits.
Cependant, alors que la démocratie africaine apparaît formellement mature : compétition pluripartite, parlement élu, Constitution, élections régulières, limites des mandats, entre autres, en réalité, la liberté d'action est sévèrement contrainte par le creuset du déficit social.
Même avant que les officiers de rang intermédiaire au Mali attaquent un pouvoir civil de près de deux décennies, le Sénégal voisin, avec une tradition civile mieux établie, connaissait une intense pression politique. Le président alors en exercice, Abdoulaye Wade, avait auparavant supprimé la clause constitutionnelle concernant la limite du mandat, et s'était présenté pour une élection à laquelle il n'aurait pas dû participer, selon la Constitution. La légèreté de Wade à l'égard de la Constitution n'était pas surprenante, puisqu'il avait par le passé soutenu Obasanjo dans ses efforts pour modifier la Constitution de son pays et s'offrir un troisième mandat.
La manipulation de la Constitution par Wade s'est néanmmoins révélée infructueuse, et il a subi une défaite cuisante. Beaucoup ont suggéré que la défaite de Wade signifiait que la démocratie était vivante et effective au Sénégal. Le fait que même les valeurs démocratiques fondamentales doivent être pleinement intériorisées, malgré une longue tradition de pouvoir civil, signifie en réalité que la démocratie est plus menacée au Sénégal que partout ailleurs en Afrique.
Après la mort de l'ancien président, la tension et l'inquiétude étaient tangibles durant la transition du pouvoir à Banda. L'inquiétude était compréhensible compte tenu du conflit entre Banda et Mutharika, puisque ce dernier préparait son frère cadet à prendre sa succession. Le même scénario de tension et de gêne a saisi le Nigeria pendant le passage de pouvoir entre l'ancien président Yar'Adua et son vice-président Jonathan Goodluck. Dans les deux cas, les vice-présidents ont prêté serment dans un climat national d'anxiété.
Si la tension et l'inquiétude règnent dans les cas constitutionnellement prévus de passage de pouvoir en cas d'incapacité des dirigeants, cela signifie sans aucun doute que la démocratie africaine se trouve à un tournant. L'option démocratique n'est pas toujours le modèle libéral occidental, qui a réussi à exporter ses modèles, mais ni ses valeurs ni ses caractéristiques sociales.
Alors que l'Occident se félicite de l'exportation de ses modèles démocratiques en Afrique, il ne dit pas mot où est incapable d'expliquer le déficit social et les crises sur le continent. Cependant, malgré sa fragilité, les perspectives démocratiques en Afrique demeurent brillantes, mais cela suppose de revenir sur ses pas et de tenir compte des aspirations des forces populaires, qui s'expriment mieux dans les démocraties socialistes.
(L'auteur de cet article est un journaliste basé à Abuja, Nigeria) |