Pour l'agriculteur kenyan James Kiplang, cette année devait être la meilleure de sa carrière.
Comme bon nombre de ses collègues de la région de Bomet, à 300 km au sud-ouest de la capitale Nairobi, il s'attendait à une récolte de maïs exceptionnelle sur son exploitation de huit acres. Les fonctionnaires du gouvernement et les organisations internationales avaient annoncé une bonne année.
Ils avaient déclaré aux agriculteurs que les prévisions des précipitations de cette année seraient plus élevées qu'en 2011, année où une sécheresse de cinq mois avait déçu les espérances.
Le rapport situationnel de mars de l'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) avait ainsi misé sur des récoltes « bonnes dans l'ensemble » dans cette région, en raison de précipitations raisonnables.
« À la suite des pluies supérieures à la normale qui ont débuté à temps ou plus tôt que d'habitude, les prévisions pour les récoltes de céréales sèches sont bonnes, en particulier au Kenya, en Somalie, en Tanzanie et en Ouganda », pouvait-on lire dans le rapport de la FAO intitulé Crop Prospects and Food Situation.
Mais maintenant, Kiplang est assis à l'ombre de son manguier, la tête entre les mains. Ces perspectives riantes ne sont plus. Son champ de maïs, comme beaucoup d'autres, a été attaqué par une mystérieuse maladie, qui fane les feuilles juste au moment où les plantes sont sur le point de fleurir.
Malgré la déclaration du ministre kenyan de l'Agriculture, Sally Kosgey, annonçant que la maladie était entièrement sous contrôle, la destruction de plus de 300 000 hectares de champs de maïs de la région pourrait porter un rude coup à la sécurité alimentaire du pays.
Le Kenya, comme la plupart de ses voisins de la Corne de l'Afrique, consomme normalement plus de nourriture qu'il n'en produit. Le Kenyan a besoin d'au moins 42 millions de sacs de maïs (4,2 millions de tonnes), la céréale de base, pour nourrir ses 42 millions d'habitants. Mais d'après le ministère de l'Agriculture, il ne produit que 30 millions de sacs.
À l'heure actuelle, la FAO estime que 3,75 millions de personnes au Kenya, 2,3 millions en Somalie, 3,2 millions en Ethiopie, 4,2 millions au Soudan et 1 million au Soudan du Sud n'ont pas assez de nourriture pour cette année, en raison des effets prolongés de la sécheresse de 2011.
L'an dernier, la Corne de l'Afrique a produit 37,6 millions de tonnes de céréales: maïs, blé, sorgho et millet, pour une population de 200 millions de personnes environ. La FAO attribue cela aux méthodes agricoles archaïques et à une chaîne de distribution lacunaire, où les agriculteurs ne peuvent pas transporter leurs récoltes vers les marchés où vivent les gens dans le besoin.
En avril, une prévision de l'ICPAC (Centre de prévision météorologique et de mise en application) de l'IGAD (Autorité intergouvernementale sur le développement) a prévenu que les conditions météorologiques sèches sont susceptibles de persister en Somalie, au nord et au sud-est du Kenya, au sud et au nord-est de l'Ethiopie, et dans les basses-terres du sud d'Erythrée et de Djibouti.
« Les conséquences de ces aléas pourraient être dévastatrices pour une population déjà épuisée », a déclaré l'ICPAC.
Parmi les autres raisons à l'origine de cette pénurie imminente, il y a l'insécurité civile et un manque de mesures pour contrecarrer la dépendance aux précipitations.
Outre cette maladie, le Kenya est aussi victime d'inondations qui ont emporté les récoltes dans certaines régions de l'ouest du pays. Dans un pays où les grains et les engrais certifiés sont chers, la perte de ces récoltes est dramatique.
Si la situation se poursuit, les gouvernements devront entrer dans le jeu pour améliorer la situation, selon les experts de l'alimentation.
« Maladies mises à part, nous aurions suffisamment de nourriture si le gouvernement permettait aux fermiers d'avoir accès aux engrais et aux graines à des tarifs subventionnés. La formule est simple, si vous rendez la production moins chère, le produit sera lui aussi meilleur marché », explique Mary Mathenge, une chercheuse en agriculture de l'Institut Tegemeo du Kenya.
Un article publié en avril par cet institut montre que l'Ouganda et la Tanzanie sont les seuls pays de l'Afrique de l'Est à n'avoir pas besoin d'aide extérieure. La région importe plus de 8,3 millions de tonnes de nourriture, dont 2 millions sous forme d'aide. En 2012, les organisations humanitaires se sont déjà engagées à apporter un demi-million de tonne avant août.
D'après le Conseil céréalier d'Afrique de l'Est, une organisation qui aide les agriculteurs à vendre leurs produits sur les marchés, la région ne manquerait de rien si elle assurait un débouché aux fermiers.
« Cela encouragera les agriculteurs à produire plus en raison des assurances concernant leur production pendant la récolte et le paiement dès livraison de leurs marchandises », explique à CHINAFRIQUE Janet Ngombalu, responsable de la communication et du marketing.
L'ONU reconnaît le problème. En juin, le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) et la Communauté d'Afrique de l'Est (CAE) ont lancé une nouvelle initiative pour développer la production alimentaire et les opportunités de revenu pour les agriculteurs, en supportant les marchés en Afrique de l'Est.
La région attend les résultats de cette initiative.
(Reportage réalisé au Kenya) |