L'attitude détendue de l'Afrique en matière de ponctualité est-elle une source de retard pour le continent ? par Mark Kapchanga« Le temps à l'africaine » est l'expression utilisée pour décrire l'attitude décontractée de beaucoup d'Africains à l'égard de la ponctualité, qui pose des problèmes aux entreprises étrangères faisant des affaires avec le continent.
Les plus touchées sont les entreprises chinoises qui, dans les deux dernières décennies ont fait d'énormes investissements sur le continent. Le phénomène de retard est perçu comme ayant un impact négatif sur les calendriers de production et la réalisation des objectifs en temps voulu.
« Il semble normal d'être en retard en Afrique. Cela ne surprend personne et j'ai même vu parfois ceux qui sont ponctuels être ridiculisés », a déclaré Wang Xiuying, un gestionnaire d'une entreprise de construction à Luanda, en Angola.
Selon Wang, le temps en Afrique est tout à fait différent de la cadence d'horloge plus liée à la vie des pays asiatiques et occidentaux. « [Dans mon expérience] quand un Africain dit, je viendrai à travailler à 8 heures, cela peut-être en réalité entre 8 et 9 heures. C'est rarement plus tôt que cela. »
Cette pratique a été accusée d'affecter le développement et la productivité du continent. Il y a six ans, l'ancien Président ivoirien Laurent Gbagbo a lancé une campagne, dénommée « Le temps africain est en train de tuer l'Afrique, nous allons le combattre », qui cherchait à injecter un peu de sens de la ponctualité dans son pays, qui a un problème chronique de laxisme.
« Le déficit culturel concernant le temps est l'un des problèmes les plus nocifs de l'Afrique. Le temps est pris pour acquis dans cette région. Il est considéré comme une ressource renouvelable. À cause de cette tradition, le continent est toujours en retard », a déclaré M. Nixon Faye, analyste culturel indépendant basé au Nigeria.
Le professeur Isaac Nyamongo de l'Institut d'anthropologie de l'Université de Nairobi a déclaré que la culture particulièrement détendue de gestion du temps est profondément ancrée chez les Africains, et que l'Occident doit accepter le continent tel qu'il est. « Il est impératif de ne pas comparer des entités qui n'ont rien en commun. Il faudra deux générations ou plus pour changer cette culture et cela devrait commencer à l'école primaire. »
Mais Alexandre Sebuhura, professeur de sociologie à l'Université internationale de Kampala, a déclaré qu'avec le boom actuel des affaires sur le continent, les Africains doivent revoir leurs priorités et de reconsidérer la ponctualité afin d'être pris au sérieux. « Nous nous trompons nous-mêmes en considérant que nous avons notre propre conception du temps. C'est une mentalité archaïque qui a besoin d'être modifiée, si nous voulons être compétitifs sur la scène internationale ».
Les Africains affirment qu'ils existent « dans » le temps, et non « pour » le temps. En tant que tel, leurs vies ne sont pas définies par des secondes, des minutes et des heures. Pour beaucoup d'entre eux, le temps n'est pas de l'argent. C'est peut-être à cause de ce genre de pensée qu'environ 80 % des pays africains connaissent un « faible développement humain » selon l'indice de développement humain des Nations unies.
« Nous avons investi dans la formation, les cartes magnétiques et des mécanismes incitatifs pour aider à changer l'approche de nos travailleurs. Jusqu'à présent, nous avons réussi à former près de 500 d'entre eux à Beijing dans le cadre de programmes d'échange. Nous espérons que ce plan va transformer les autres », explique Zhang Wei, un ingénieur travaillant pour une société chinoise en Éthiopie.
Plus important encore, Zhang a dit que le système d'incitation semble changer l'esprit des Africains concernant le temps.
Les appels lancés au continent pour changer son mode de vie continuent de rencontrer une certaine hostilité. C'est parce que pour certains, il est encore perçu comme non-africain d'être ponctuel. Dans de nombreuses régions de Gambie, d'Éthiopie, du Soudan et de la République démocratique du Congo, entre autres, le temps est traditionnellement mesuré sans montre. Ils prennent en compte le mouvement du soleil et le temps de la prière. Les autres choses ne sont pas tellement une question de temps, mais plutôt de la contemplation de l'avenir.
« Ce n'est pas aussi mauvais qu'on le présente. Les Africains risquent de ne pas arriver à être à l'heure, mais ils sont très bons pour utiliser au maximum le peu de temps dont ils disposent. Nul doute que cela compense le retard », a déclaré Julianne Berhe, un professeur de sociologie à l'Université d'Addis-Abeba.
(Reportage réalisé au Kenya) |