Les citoyens sont d'une humeur sombre, les responsables gouvernementaux cherchent des réponses et les commerçants comptent leurs pertes. La menace du terrorisme plane encore sur le Kenya après le samedi noir du 21 septembre 2013.
Une semaine après l'attentat terroriste du Westgate Mall à Nairobi, l'odeur des décombres de ce qui fut un des centres commerciaux haut de gamme du Kenya et les véhicules brûlés rappellent ce jour terrifiant. Le pays a été durement touché par l'attaque d'Al-Shabaab, le groupe militant somalien.
« L'attaque terroriste de Westgate a marqué à jamais les cœurs des victimes et de leurs familles, mais aussi le système de sécurité du pays », a déclaré à CHINAFRIQUE Javas Bigambo, consultant pour Interthoughts Consultation à Nairobi et commentateur sur l'Afrique.
Avec au moins 62 morts et des pertes estimées à plus de 530 000 dollars, cet attentat est la deuxième attaque la plus meurtrière après celui contre l'ambassade des États-Unis à Nairobi en 1998, revendiqué par Al-Qaïda et qui avait causé la mort de plus de 200 personnes.
Dommages profonds
Les experts en analyse comportementale et en sécurité internationale conviennent que cette attaque sans précédent sur le sol kenyan aura des effets profonds sur le continent et le monde entier.
« L'attaque de Westgate marque le retour d'Al-Shabaab comme grand mouvement jihadiste », a déclaré Peter Kagwanja, directeur général de l'Institut de politique d'Afrique, dans un article du Sunday Nation, une semaine après l'incident.
« Globalement, l'attaque a choqué la conscience du monde, ravivant la question de la lutte contre le terrorisme », écrit-il. Selon lui, bien que le groupe terroriste somalien ait perdu son fief dans le sud de la Somalie, il est trop tôt pour crier victoire.
C'est parce que les groupes terroristes prennent différentes formes et changent rapidement. Les groupes identifient leurs objectifs mais les cibles en sont souvent inconscientes, capables de répondre à une attaque seulement après qu'elle ait eu lieu, ou sur le champ de bataille une fois que l'ennemi est connu.
« Les terroristes sont simplement fixés sur le fait incontestable que le monde a refusé de se soumettre à leurs manœuvres diaboliques », a déclaré Bigambo.
Les dessous de l'attaque
En septembre 2012, la Mission africaine en Somalie (Amisom) a repris contrôle de la ville portuaire somalienne de Kismayo, qui était une importante source de revenus d'Al-Shabaab, grâce à la vente de charbon de bois, aux taxes illégales et la pêche, comptant pour environ 45 % de ses revenus, selon un rapport de l'ONU sur la Somalie et l'Erythrée de juillet 2013.
Les militants s'étaient alors affiliés à al-Qaïda et avaient changé leurs tactiques de recrutement et de fonctionnement. 24 attaques terroristes ont eu lieu en Afrique de l'Est et 17 au Kenya entre octobre 2011 et septembre 2013.
Le Westgate Mall à Nairobi est détenu par les Israéliens et certains observateurs estiment qu'al-Shabaab cherche ainsi à se rapprocher d'autres groupes terroristes.
« Il s'agit d'une tentative d'al-Shabaab de dire au monde : « Regardez, nous avons été défait à Kismayo, mais nous ne sommes pas encore fini. » « C'est une manœuvre de propagande », a déclaré Maurice Amutabi, chercheur kenyan spécialisé en histoire et culture africaine.
En attirant les recrues, avec la promesse d'argent, d'une vie meilleure, et l'opportunité de participer à un mouvement djihadiste mondial, les terroristes ont identifié un moyen peu cher de commercialiser leur mal, au grand malheur des individus persuadés de se joindre à leurs efforts et de tous ceux affectés par leur méfaits.
Effets psychologiques
« Il y a eu des blessures physiques et des morts, mais les terroristes ont également exacerbé notre détermination psychologique à combattre le terrorisme », a déclaré le Dr Gladys Mwiti, présidente de l'Association de psychologie du Kenya.
Mwiti, qui faisait partie de l'équipe de conseil suite au génocide rwandais de 1994, aux attentats du 11 septembre aux États-Unis, de 1998 dans les ambassades américaines à Nairobi et ceux de Bombay en 2008, explique que les attaques terroristes ont souvent le potentiel de passer d'une question personnelle, à un problème de société, voir culturel.
« Dans une situation où les gens sont très libres et sociables, cette attaque menace de restreindre leur liberté. Les gens pourraient commencer à se demander si cela vaut la peine d'aller dans de grands centres commerciaux », explique cette dernière.
Dans le cas de Mumbai et des États- Unis, les attaques ont conduit à une friction palpable entre les musulmans et les membres d'autres religions.
« Nous savons que le terrorisme n'est pas lié à l'Islam, mais les personnes touchées par cette terreur font l'association. Nous devons nous efforcer de réfuter ce lien, car c'est exactement ce que veulent les terroristes », dit Gladys Mwiti.
« D'après notre expérience, beaucoup de gens ont été affectés par cette attaque et sont en colère. Ce n'est pas seulement de la frustration, mais aussi de la tristesse. En conséquence, les gens peuvent avoir peur de se réunir et d'être heureux, mais nous ne devons pas céder à cela », a-t-elle ajouté.
Cette menace a aussi quelque chose à voir avec la mentalité des terroristes eux-mêmes.
Dans un article paru dans le Journal of Conflict Resolution (Vol. 49), Jeff Victoroff, psychiatre à l'Université de Californie du Sud, a observé que la mentalité des terroristes semble bénéficier de la croissance dans le commerce et l'amélioration des technologies de l'information, qui « facilitent les conspirations entre personnes éloignées mais tout aussi agressives », ainsi que de la montée de l'intégrisme religieux.
Selon lui, lorsque les gens peuvent se procurer aisément des armes, des « actes macro- terroriste », peuvent être orchestrés par des petits groupes ou des individus mécontents, qui cherchent à « influencer le public cible et modifier le comportement de ce public pour servir les intérêts des terroristes ».
Comme pour l'attaque Westgate, les terroristes ciblent souvent des citoyens qui ne s'attendent pas à être attaqués.
Problème mondial
Al-Shabaab a utilisé Twitter pour publier des nouvelles de son attaque, tirant ainsi profit de la croissance de l'accessibilité d'Internet en Afrique.
La prise d'otages est une nouvelle tactique de Al-Shabaab et les psychologues disent que, en dehors de bénéficier de la couverture médiatique de leurs tweets, l'attaque a également servi à satisfaire leur vengeance et à humilier l'ennemi.
Selon l'Indice Global Terrorism Index, il y a eu 3 582 attaques mondiales entre 2002 et août de cette année. Ce chiffre est inquiétant, étant donné qu'il correspond à la période où la « guerre contre le terrorisme » a été lancée.
Al-Shabaab menace d'attaquer tous les pays ayant des troupes en Somalie, ce qui signifie que Westgate était un avertissement à l'Ouganda, l'Éthiopie, le Burundi et tous les alliés des troupes de combat en Somalie.
« Cette menace terroriste est maintenant un problème africain, si ce n'est mondial. Cela va être une menace dans la région pour un certain temps », explique à CHINAFRIQUE David Pulkol, ancien directeur du département de la collecte de renseignements en Ouganda de l'Organisation de la sécurité extérieure (ESO).
Pulkol, qui a dirigé l'ESO de l'Ouganda dans les années 2000, a déclaré que les forces de sécurité dans la région devaient maintenant « blesser mortellement Al-Shabaab », d'autant plus que la plupart des décisions gouvernementales d'entrer en Somalie et combattre les terroristes sont soutenues par les populations.
(Reportage réalisé au Kenya) |