Nelson Mandela (XINHUA)
Le visage de la lutte
Durant la longue période des années 1990, si un étranger vous posait l'agaçante question : « Quel est le problème avec les dirigeants africains ? », il était facile de rétorquer sur le ton de la plaisanterie : « Eh bien, au moins nous avons Mandela et Mwalimu Julius Nyerere ». Il s'agit du même Mandela à propos duquel le Premier ministre sud-africain de l'époque avait déclaré en 1975 : « Celui qui veut me parler du fait que Mandela est le dirigeant de l'Afrique du Sud noire peut oublier. »
Aucun degré de brutalité ne pouvait faire taire la déclaration bruyante de Mandela à travers l'Afrique, une quête pour la liberté face à la bigoterie raciale et aux maux étouffants de la colonisation et de la néo-colonisation. Son combat ne fit qu'un avec la lutte de millions d'Africains opprimés par un héritage purulent de l'esclavage et du colonialisme.
La difficile situation de Mandela galvanisa les Africains à travers le monde. Dans son livre, Dreams of My Father [« Rêves de Mon Père »], le Président Barack Obama explique que c'est dans l'incarcération de Mandela et l'immoralité de l'apartheid en Afrique du Sud qu'il a trouvé la motivation pour effectuer son premier discours public, à l'époque où il était étudiant.
Les Palestiniens ont par ailleurs adopté l'expérience sud-africaine dans l'élaboration de leur lutte contre ce qu'ils considèrent comme une occupation israélienne conduite par la ségrégation et la discrimination. En d'autres termes, une autre forme d'apartheid.
Les Africains du continent tout entier ayant grandi pendant la détention de Mandela furent inspirés par son courage. Il devint le symbole des souffrances des Noirs sud-africains et de l'indifférence avec laquelle le monde traitait les questions africaines. La détention de Mandela constitua un tremplin pour le développement d'un fort sentiment de Black Power [« pouvoir noir »] au sein des nations africaines et de leurs dirigeants.
Dans des régions et pays situés tout au nord du continent, comme la Tanzanie et le Maghreb, la malveillance pesant sur Mandela et ses camarades poussa les pays à soutenir la cause de Mandela. Des fugitifs d'Afrique du Sud se virent ainsi offrir l'asile alors que les combattants recevaient des armes et du soutien.
L'art du pardon
Sa sortie de prison et son accession au poste de Président de l'Afrique du Sud a apporté à l'ensemble du continent un immense sentiment de triomphe et de victoire. Un homme en colère et prônant la guerre lors de son entrée en prison en est sorti 27 ans plus tard avec une touche Lincolnienne : « sans malveillance envers quiconque, avec charité pour tous. »
Il a appris que succomber aux passions vengeresses apportait des joies éphémères plutôt que des avantages durables. C'est avec cette sagesse qu'il profita de son statut de Président de l'Afrique du Sud pour chercher à mettre fin aux guerres incessantes, aux massacres et aux conflits dans la région des Grands Lacs, au Rwanda, en République Démocratique du Congo, en Côte-d'Ivoire et au Soudan de l'époque.
Il embrassa ses geôliers, et dîna avec le chef de l'apartheid à la poigne de fer P. W. Botha, offrant une leçon de vertu aux dirigeants africains en guerre.
Finalement, il passa la main à d'autres, déléguant le pouvoir pour lequel il avait failli laisser sa vie. Il tira sa révérence avec honneur et dignité. Sa magnanimité secoua les coins de l'Afrique. Il donna une sévère leçon à ces dirigeants qui s'accrochaient au pouvoir à vie tout en éradiquant et en oppressant leurs opposants, plaçant ainsi la barre haut pour le reste de l'Afrique.
Pourtant, alors même qu'il dominait ses contemporains comme un colosse, son statut de gagnant doté d'une grande humilité lui vient de ce qu'il pensait de lui-même : « Je ne pense pas que l'histoire puisse en dire beaucoup sur moi. Je veux juste qu'on se rappelle de moi dans le cadre de cette collectivité. »
Au-delà de l'Afrique du Sud, Nelson Mandela a été créé pour l'Afrique.
D'où viendra l'autre ?
(L'auteur est un éditeur de médias et maître de conférences en relations internationales à l'Université Moi du Kenya.) |