Mohamed Affey, envoyé spécial de l'Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD), voulait découvrir une autre Somalie depuis qu'il a été nommé en décembre 2013. Pourtant, des images de corps faméliques, yeux enfoncés et estomacs distendus pourraient revenir si on ne fait attention aux mises en garde que ne cessent de lancer les agences humanitaires.
« À l'IGAD, nous travaillons dur pour nous assurer de ne plus revoir ces images », explique M. Affey à CHINAFRIQUE. L'envoyé spécial de l'IGAD, par ailleurs ancien ambassadeur kenyan, est chargé de rédiger un rapport sur les voies de la reconstruction de la Somalie. Mais cette reconstruction est entravée par la famine incessante qui touche ce pays.
À ce jour, le Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires (UNOCHA) a publié huit rapports de situation depuis janvier 2014, avertissant de l'imminence d'une crise alimentaire en Somalie. Et pour un pays qui tente de renaître de ses cendres après deux décennies de guerre, les chiffres ne sont guère reluisants. En juillet 2014, l'UNOCHA rapporte que la Somalie avait plus de 2 millions de personnes « dans le stress » de trouver de quoi manger. Plus de 850 000 autres étaient dans le besoin urgent d'aide humanitaire, tandis que 203 000 enfants de moins de cinq ans souffraient de malnutrition. Sur ce dernier chiffre justement, l'ONU met en garde qu'il devrait augmenter au fur et à mesure que les conditions continuent de se détériorer.
« Les besoins en financements sont urgents aujourd'hui afin que les organismes d'aide puissent fournir de la nourriture, des moyens de subsistance, de l'assistance sanitaire et un appui nutritionnel aux personnes dans les zones les plus touchées », affirme Philippe Lazzarini, le coordonnateur humanitaire résident des Nations unies en Somalie.
Les agences humanitaires travaillant en Somalie ont lancé un appel global de financement de 933 millions de dollars. Jusqu'en juillet dernier, on a pu collecter seulement 30 % de cet argent. Laissant ainsi un manque à gagner d'environ 700 millions de dollars nécessaires pour fournir une assistance humanitaire jusqu'à la fin de l'année à 2,9 millions de personnes.
« Répondre après le déclenchement de la crise alimentaire coûtera au moins trois fois plus cher que de prendre des mesures préventives. Si nous continuons à ignorer les signes avant-coureurs, cette crise va coûter aux gouvernements et aux donateurs beaucoup plus que s'ils agissaient maintenant », déclare à CHINAFRIQUE, Enzo Vecchio, directeur de Oxfam Somalie.
Il y a eu des leçons amères par le passé. Durant la disette de 2011, il a fallu 16 alertes préventives avant qu'une déclaration de famine par l'ONU n'entraîne une action sur le terrain. Un financement adéquat a finalement été mis à disposition. Mais à l'époque, on comptait déjà 10 millions de personnes dans la Corne de l'Afrique souffrant du fléau.
L'ONU indique à présent que la population somalienne ayant besoin d'une aide d'urgence est réduite. Le nombre est passé de 4 millions en 2012 à 2,9 millions à la fin de 2013. Cette réduction est en grande partie due à ce que l'UNOCHA a appelé « des améliorations modérées en matière d'accès aux financements ».
Pour la Somalie néanmoins, seul des solutions à long terme pourront mettre fin au cycle prévisible de la famine. Le rapport de juillet 2014 de l'Overseas Development Institute (ODI) fait valoir que les organismes d'intervention, en cas de catastrophes humanitaires, peuvent faire mieux par des solutions durables adossées sur des modèles économiques viables. Interrogé par CHINAFRIQUE, l'ambassadeur de la Somalie au Kenya, Mohammed Nur, est de cet avis. Il estime en effet que des solutions durables combinées à l'aide qu'apporte la communauté internationale pour assurer la sécurité alimentaire, les infrastructures et l'emploi des jeunes sont nécessaires pour son pays. « Il y a des problèmes immédiats de nature humanitaire et sécuritaire, mais si vous regardez en profondeur, la cause inhérente est la pauvreté », dit-il.
Aussitôt que l'UNOCHA a mis en garde contre une crise imminente, la conférence des chefs d'État et de gouvernement de l'Union africaine en juin dernier à Malabo a publié un communiqué qui est revenu à plusieurs reprises sur la sécurité alimentaire et l'avenir du continent. Mais les dirigeants africains ont reconnu que les financements pourraient être un défi majeur pour lutter contre la malnutrition dans des pays comme la Somalie. En tant que tel, le 23e sommet de l'UA a néanmoins appelé à la disposition « de l'aide financière et socio-économique adéquate à la Somalie dans le cadre du New Deal Compact », en plus de sonner l'alarme sur la situation humanitaire qui prévaut dans ce pays.
(Reportage du Kenya) |