La Pape Benoit XVI, lors de sa visite au Cameroun en Mars 2009

Le retour à la démocratie au Cameroun au début des années 1990 a permis l'apparition d'un nouveau type d'associations confessionnelles, les Églises de réveil. Leur expansion fulgurante et leurs dérives suscitent des inquiétudes dans le pays. CHINAFRIQUE a enquêté sur ce phénomène religieux particulier.

Des pasteurs auto-proclamés

Les Églises de Réveil, issues du mouvement protestant Pentecôtiste, ont été autorisées au Cameroun après la mise en place du multipartisme, qui a abouti au rétablissement de la liberté d'association garantie par la loi des libertés du 19 décembre 1990. Elles ont proliféré au Cameroun et en Afrique dans les deux dernières décennies : ainsi, selon la radio officielle camerounaise, on ne dénombre pas moins de 500 Églises dans la seule ville de Douala, cité industrielle et grand centre d'affaires où vivent environ 4 millions de personnes. Dans les grandes villes du Cameroun, chaque quartier compte ses propres Églises de réveil, portant des dénominations différentes.

Contrairement aux Églises protestantes traditionnelles, les Églises de de Réveil se montrent peu soucieuses de la formation de leurs pasteurs. Il suffit souvent de transformer un appartement ou un hangar en lieu de culte pour s'autoproclamer pasteur. Le cursus théologique est souvent considéré comme superflu, puisque les pasteurs déclarent répondre à l'appel de Dieu, que certains disent avoir reçu à travers les songes. De ce fait, ces fondateurs d'églises s'érigent eux-mêmes au rang de « pasto », c'est-à-dire prophète ou Apôtre.

Claude Abé, sociologue et acteur de la scène publique au Cameroun, dénonce ce manque de formation : il constate que, sur le terrain, « de nombreux individus, eux-mêmes en proie à des difficultés quotidiennes, s'improvisent pasteurs sans aucun fondement doctrinal, sans aucune formation sérieuse sur le plan religieux ». Pour le sociologue, l'appellation de pasteur prête ainsi à confusion : « j'ai coutume de les appeler des entrepreneurs dans le champ religieux », explique-t-il.

Sans formation théologique, les prêcheurs s'appuient sur les émotions, le chant et les guérisons miraculeuses pour asseoir leur légitimité. Une méthode qui fait ses preuves dans la population camerounaise, puisque les Églises ont réussi à occuper la scène publique, y compris dans les marchés et les grands carrefours urbains.

La recherche du bien-être

Les églises évangéliques connaissent en effet une ascension exceptionnelle au Cameroun et en Afrique. Le contexte économique difficile et les insatisfactions quotidiennes de la population ont sans doute joué un rôle dans ce succès : selon le Pr Claude Abé : « Il faut globalement resituer le phénomène dans le contexte qui est le sien. Contexte social, économique et politique. Au niveau du contexte social, c'est une situation dans laquelle l'Afrique en général connait un relâchement du lien social. ».

Dans ce contexte, les Églises de Réveil proposent aux familles des repères simples, basés sur les chants et sur l'émotion. À l'église, on fait la lecture de la Bible à haute voix, en se tenant la main ou en s'embrassant. Les familles y trouvent une chaleur humaine et une proximité qui n'existent pas dans les Églises traditionnelles, plus hiérarchisées et plus procédurières. C'est le cas de l'Église Catholique, où pour rencontrer un prêtre, il faut parfois attendre la messe du dimanche matin, ou obtenir un rendez-vous. Au contraire, les Églises Evangéliques sont ouvertes en permanence, et certaines 24 heures sur 24. C'est peut-être ce qui explique la désertion des croyants de l'Église Catholique et des autres églises protestantes traditionnelles.

La rapide expansion de l'Église Pentecôtiste s'explique également par son grand prosélytisme, puisque les pasteurs demandent aux fidèles d'essayer de convertir de nouveaux adhérents. L'Église bénéficie en outre de programmes prosélytes menés par l'Église Universelle du Royaume de Dieu, une mouvance proche du Pentecôtisme née au Brésil en 1977.

Volontarisme ou business

L'importance de l'aspect financier est également une caractéristique essentielle de l'Église du Réveil. Les fidèles doivent en effet payer pour assister à l'office religieux, où les prédicateurs leur promettent la prospérité ou la stabilité conjugale. Rien de tel que le vœu de pauvreté dans ces Églises : au contraire, elles mettent en valeur « l'homme prospère » et incitent à la richesse et au confort. Dans les lieux de culte, la question de l'argent est prépondérante. Confrontées à une robuste concurrence, les églises se livrent à de grandes campagnes de publicité afin d'attirer plus de membres. Il arrive également qu'elles extorquent des fonds aux fidèles, un phénomène dont les femmes et les personnes touchées par le chômage ou la pauvreté sont les premières victimes. Pour les « entrepreneurs religieux », le culte peut s'avérer rentable : Claude Abé explique ainsi que la plupart considèrent leur action comme « une affaire » ou un « investissement ».

Des dérives sectaires

Les Églises du Réveil ont été récemment secouées par de nombreux scandales, qui obligent les autorités à réagir. À Douala, en en septembre 2014, un pasteur de l'« Assemblée du Christ » et cinq de ses fidèles ont été accusés d'avoir enterré vivant un nouveau-né de sexe masculin : la mère de l'enfant aurait affirmé que son fils était né de la sorcellerie, pour éviter d'avouer avoir eu des relations sexuelles. Toujours dans la même ville, un pasteur de 51 ans a été accusé d'avoir conservé pendant six mois les reliques de sa compagne dans la chambre conjugale. Lui et ses cinq enfants disaient attendre la résurrection de la mère de famille.

Ces fréquents dérapages religieux ont contraint le gouvernement à réagir. Les deux dernières années ont ainsi été marquées par une vague de fermeture d'églises du Réveil. Outre les accusations d'endoctrinement et de persécution, l'absence d'autorisation d'association religieuse et le non-respect de l'ordre public sont mis en avant lors de ces fermetures. Ces mesures sont jugées nécessaires par une grande partie de la population, qui s'inquiète des dérives sectaires des Églises Pentecôtistes.

(Reportage réalisé au Cameroun)