Depuis le tournant du siècle, la Chine est devenue le plus grand partenaire commercial de l'Afrique. Alors que les relations sino-africaines sont souvent présentées comme « gagnant-gagnant » par les dirigeants chinois et africains, elles ont été critiquées comme souffrant d'un déséquilibre, au motif que les ressources naturelles de l'Afrique sont négociées contre les biens de consommation fabriqués en Chine. Cette structure des échanges relativement inégale a conduit certains à suggérer que les exportations de produits manufacturés de la Chine sont un obstacle à l'industrialisation de l'Afrique.
Les critiques de la relation commerciale sino-africaine sont priés de noter que ce modèle n'est en rien différent du commerce de l'Afrique avec le reste du monde. Les ressources naturelles sous-tendent les exportations africaines vers la Chine, et les pays africains participent à la croissance économique de la Chine par le biais des matières premières. En 2012, le pétrole, les minerais, les pierres précieuses et le minerai d'or représentaient 93,5 % des importations chinoises en provenance de l'Afrique. Cela représente une hausse de 86,1 % en une décennie. Lors de l'évaluation du profil des exportations de l'Afrique vers les États-Unis, une tendance similaire se dessinait. En 2012, 87,5 % des importations américaines en provenance de l'Afrique étaient des matières premières.
Du côté des importations, l'Afrique reçoit des technologies et des produits manufacturés à forte intensité de main-d'œuvre, en dépit de l'existence d'un bassin de main-d'œuvre non qualifiée dans de nombreux pays africains. Ce n'est pas en accord avec la théorie économique et commerciale, qui suggère que les économies africaines aurait dû développer une base industrielle solide, s'éloignant de la production de ressources naturelles pour investir plutôt dans des entreprises de fabrication qui peuvent utiliser l'abondante main-d'œuvre.
Un déclin de l'industrie manufacturière
La valeur ajoutée de l'industrie africaine a diminué au cours des trois dernières décennies, et la diversification économique du continent reste limitée. La part de l'Afrique dans la valeur ajoutée manufacturière mondiale est passée de 1,2 % en 2000 à 1,1 % en 2008. Les exportations de produits manufacturés du continent ont contribué en 2008 pour seulement 1,3 % des exportations industrielles mondiales, une légère hausse par rapport à 2000, où elles représentaient 1 %. La région reste encore marginalisée dans les chaînes de valeur mondiales.
Pendant ce temps, le développement de la part de l'Asie dans la valeur ajoutée manufacturière mondiale est passée de 13 % à 24 % entre 2000 et 2008. La Chine a été à la pointe de ce développement. Qu'est-ce qui a conduit au succès de l'Asie, et qu'est-ce qui a contribué à l'échec relatif de l'Afrique ?
En Chine notamment, un ensemble de politiques constructives qui ont ouvert les marchés et permis de mettre en œuvre des politiques de taux de change favorables, un gouvernement solide et stable qui a fourni des droits de propriété sûrs et un environnement qui a attiré un investissement commercial favorable, ont été les pierres angulaires d'une stratégie économique axée sur l'exportation.
L'Afrique n'a pas réussi à reproduire ce succès car elle a manqué de l'environnement politique nécessaire. Les infrastructures déficientes sur le continent ont également conduit à une hausse des coûts de production et de transaction. Un manque de leadership et de gouvernance, la faiblesse des institutions et la prédominance des activités de rente ont également nui à la possibilité de construire un secteur à valeur ajoutée sur le continent. Malgré les préférences tarifaires importantes des États-Unis, en vertu de l' African Growth and Opportunity Act (AGOA), les industries africaines ne sont pas compétitives.
En revanche, la Chine est rapidement devenu le fixeur des prix mondiaux des exportations de produits manufacturés. Cela a affecté les parts de marché de l'Afrique sur les marchés intérieurs et d'exportation, en particulier dans le secteur des textiles et des vêtements, un secteur ayant une capacité importante d'exportation en Afrique (par rapport à d'autres sous-secteurs manufacturiers).
Pour mettre cela en contexte, les importations américaines de vêtements et de textile ont totalisé 79 milliards de dollars en 2008. Grâce à l'amélioration de sa compétitivité globale, la Chine a élargi sa contribution aux importations de vêtements aux États-Unis, passant de 11,4 % en 1990 à 14,6 % en 2000 et 34,5 % en 2008. L'Afrique a réduit sa participation dans le marché américain de 11,9 % en 1990 à 6,6 % en 2000 et seulement 2,5 % en 2008. Bien que les économies africaines aient connu une croissance rapide au cours de cette période et bénéficié de préférences tarifaires, elles ont été incapables de développer ou même de maintenir leur part de marché aux États-Unis.
Compétition
La Chine est un concurrent notable pour le secteur vestimentaire et textile de l'Afrique, un secteur créateur d'emplois et un tremplin pour la diversification. Cette concurrence, associée à une plus forte demande chinoise de ressources, a sans doute guidé certaines économies africaines vers une plus grande spécialisation dans la production de ressources naturelles. Pourtant, c'est Beijing qui a exprimé sa bonne volonté et pris des mesures pour corriger les déséquilibres dans le commerce avec certains pays africains.
Le déplacement de la structure de production de la Chine, associée à la poursuite d'une trajectoire de croissance plus durable pour Beijing, est le résultat des réformes de la capacité industrielle de la nation. La Banque mondiale estime que plus de 80 millions d'emplois chinois bas de gamme dans la fabrication seront délocalisés à moyen terme en raison de la hausse des coûts de main-d'œuvre et des intrants. Comme les industries de forte main-d'œuvre semblent se déplacer vers les régions relativement moins coûteuses, les économies africaines devraient utiliser cette chance pour se positionner afin d'attirer les investissements.
Les zones économiques spéciales (ZES) financées par la Chine dans les pays tels que l'Éthiopie, Maurice, le Nigeria et la Zambie, suivent déjà cette tendance. Ces zones pourraient être des facteurs clés pour libérer le potentiel de diversification de l'Afrique et des industries basées sur la valeur ajoutée. Ces régions géographiques spécifiques attirent des industries de production. Soutenues par l'amélioration des transports, de l'énergie et de l'infrastructure, ainsi que par des structures tarifaires préférentielles, ces zones, si elles sont gérées efficacement, pourraient servir de catalyseur dans la progression de l'Afrique vers la diversification. Les ZES sont positionnées pour attirer les IDE à travers diverses incitations fiscales et autres, et générer des réserves en devises provenant des exportations à valeur ajoutée. En fin de compte, elles ont pour but de créer des opportunités d'emplois, des compétences et des transferts de technologie.
Avec la Chine agissant déjà comme contributeur majeur à l'avancement de l'infrastructure en Afrique, et comme sponsor du développement du continent, les dirigeants africains devraient chercher activement à attirer la production chinoise dans les secteurs de l'industrie, de l'assemblage et de l'agro-industrie en attirant des capitaux, des compétences et des technologies chinois, que ce soit par le biais des joint-ventures ou des partenariats. La Chine a déjà apporté un soutien financier à ces entreprises. Et comme les changements structurels en Chine s'accélèrent, les perspectives d'industrialisation pourraient s'améliorer pour les pays qui reconnaissent cette occasion et se positionnent en conséquence.
(Hannah Edinger est responsible de la recherche et de la stratégie chez Frontier Advisory. Ron Sandrey est associé au Centre sud-africain de droit commercial).
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