C'est le genre de titre qui fait vendre des magazines : « La Chine achète la Terre », affirmait The Economist en novembre 2010. Les reportages qui accusent le gouvernement chinois d'acheter des centaines de milliers d'hectares de terres en Afrique pour faire pousser les denrées qui nourriront ses citoyens, ou pour protéger des intérêts politiques ou militaires, sont tout simplement faux, ont conclu les participants à la conférence parrainée par l'École des études internationales avancées (SAIS) de l'Université Johns Hopkins à Washington le 16 mai.
« L'agriculture est une partie du cadre général des politiques et des préférences pour l'internationalisation, mais il n'y a pas une réelle attention portée sur cela. Je pense que ces questions sont encore controversées en Chine, pour déterminer à quel point la sécurité alimentaire est un sujet national qui peut être contrôlé à l'intérieur des frontières et à quel point on doit s'appuyer sur le commerce international », a estimé Deborah Brautigam, professeur et directrice de l'Initiative de recherche Chine-Afrique de la SAIS (SAIS-CARI).
Il est facile de surestimer l'intérêt agricole de la Chine en Afrique, selon Mme Brautigam. La Chine abrite 20 % de la population mondiale, mais seulement 9 % des terres de la planète et 6 % des ressources en eau douce. La classe moyenne en pleine croissance a accru la demande de viande et de soja qui est utilisé pour nourrir le bétail.
Les alertes des médias sur des projets agricoles à grande échelle financés par le gouvernement chinois sont cependant manifestement fausses. Les accusations d'accaparement des terres peuvent être divisées en cinq catégories, selon Mme Brautigam : les mythes médiatiques et les faux reportages ; les projets d'aide qui ont ensuite été privatisés ; les contrats de construction ; les projets gouvernementaux lancés il y a plus d'une décennie, et les intérêts réels et actuels.
On peut citer en exemple un accord de joint-venture signé en 2010 entre le Groupe de développement national agricole de Chine et le Fonds de développement africain dans le cadre d'investissements agricoles en Afrique.
« Ce fonds a été décrit à tort comme un fonds d'investissement de 5 milliards de dollars dans l'agriculture en Afrique, alors que la réalité était bien différente », a rappelé Mme Brautigam. « Il s'agissait en réalité d'un fonds de 1 milliard de yuans, soit 161 millions de dollars. C'est aussi une somme importante, mais seulement une fraction des 5 milliards annoncés. »
Selon une étude publiée par les économistes Jean-Jacques Gabas et Xiaoyang Tang pour le groupe français de recherche agronomique CIRAD, la Chine est considérée comme l'un des principaux donateurs d'aide agricole en Afrique subsaharienne, même si le montant de son aide reste bien inférieur à celui des pays de l'OCDE (environ 130 millions de dollars de 2009 à 2012).
Y a-t-il dans tout cela un accaparement des terres ? Absolument pas, concluent Jean-Jacques Gabas et Xiaoyang Tang. Selon les données de Land Matrix, les acquisitions publiques et privées de terres par la Chine représentent 290 000 hectares, soit 15 fois moins que la superficie acquise par les États-Unis et près de 10 fois moins que les Émirats arabes unis. Les entreprises agricoles chinoises développent presque exclusivement des cultures vivrières pour les marchés locaux africains.
« Contrairement à l'idée que le gouvernement chinois orchestre une poussée des entreprises et entrepreneurs en Afrique, la coopération chinoise est marquée par la multiplication, le plus souvent de manière non coordonnée, de divers opérateurs. Jusque dans les années 1990, le gouvernement chinois contrôlait toutes les interventions dans le secteur agricole en Afrique. Mais depuis, le paysage institutionnel est devenu plus diversifié et complexe », écrivent les deux chercheurs.
La SAIS de l'Université Johns Hopkins a lancé l'Initiative de recherche Chine-Afrique cette année pour mieux comprendre les dimensions économiques et politiques des relations sino-africaines, ainsi que leurs conséquences en matière de sécurité humaine et de développement mondial. Les premières recherches ont été axées sur l'agriculture, un sujet qui touche à de multiples préoccupations, des chaînes d'approvisionnement, de la production, au commerce, au maintien de la paix et à la coopération stratégique entre les grandes puissances en Afrique, a déclaré David Lampton, professeur d'études chinoises à la SAIS.
Outre l'organisation de conférences, l'initiative s'attache au développement de nouveaux cours pour les étudiants, de séminaires, d'opportunités éducatives et d'efforts pour corriger les perceptions erronées des médias et du public sur les relations sino-africaines, a expliqué Robert Thompson, professeur en agriculture mondiale pour la SAIS, dans une interview à CHINAFRIQUE.
(Reportage effectué à New York) |