Un passager utilise Uber pour rentrer chez lui à Beijing
Les enquêtes s'intensifient sur les opérations d'Uber en Chine, alors que ses services - des propriétaires de voiture privées offrant des services de taxi - semblent aller à l'encontre des régulations locales.
Le 6 mai, les autorités de transport à Chengdu, capitale de la province du Sichuan au sud-ouest de la Chine, ont visité le bureau local d'Uber dans le cadre d'une nouvelle enquête sur les services de taxis en ligne. Après l'enquête, l'entreprise a informé les chauffeurs de la ville que leurs services n'avaient pas été affectés.
C'était la deuxième visite récente des autorités de transport dans les bureaux d'Uber en Chine. Le 30 avril, les autorités de transport à Guangzhou, capitale de la province du Guangdong dans le sud de la Chine, sont passées au bureau d'Uber pour vérifier des soupçons d'opérations illégales. Plusieurs téléphones portables ont été saisis pour l'enquête. Cette descente des autorités dans le bureau d'Uber suivait des plaintes des chauffeurs de taxi de Guangzhou après que l'entreprise a lancé un nouveau service de covoiturage, People's Uber, en octobre de l'année dernière.
Les services d'Uber sont disponibles dans neuf villes de Chine et sont devenus très populaires dans les villes les plus encombrées, notamment à Beijing, la capitale, et Shanghai, grand hub financier, où trouver un taxi aux heures de pointe est quasiment mission impossible.
Face à une croissance explosive des applications de taxis en Chine, le gouvernement cherche à réguler le secteur. En janvier, le ministère du Transport a déclaré que les propriétaires de voitures privées avaient l'interdiction de prendre des passagers contre de l'argent. En outre, seules les entreprises de location de voitures peuvent louer des véhicules.
Un chauffeur d'Uber, qui a donné seulement son nom de famille, Chen, explique qu'Uber offre une somme d'argent substantielle aux chauffeurs de taxi pour les persuader de rejoindre leur service : « Si vous prenez plus de 70 commandes par semaine et que votre revenu total est inférieur à 7 000 yuans (1 130 dollars), Uber paie un supplément pour que votre salaire hebdomadaire soit de 7 000 yuans ».
Chen ajoute qu'Uber se situe dans une zone grise de la législation chinoise. « En Chine, une voiture privée peut facilement s'enregistrer dans une entreprise de location de voiture. Est-il alors illégal pour ces voitures d'offrir des services similaires à ceux d'un taxi ? demande Chen. Par ailleurs, People's Uber est une plate-forme non lucrative où les chauffeurs sont les partenaires d'Uber. Ils n'ont pas de commission à payer et se voient offrir une somme d'argent attractive. Et People's Uber est fait pour encourager le covoiturage, que le gouvernement veut également promouvoir. »
A en juger par les explications de Chen, il est aisé de comprendre pourquoi aucune action décisive n'a été prise pour le moment. « Ce n'est pas une question facile à trancher, beaucoup d'aspects sont polémiques », affirme-t-il.
Un voyage mouvementé
Créé en 2009, Uber, dont le siège est établi en Californie, permet aux utilisateurs de prendre un taxi, une voiture privée ou de faire du covoiturage en appelant depuis leur téléphone portable. Le service permet aux utilisateurs de trouver des véhicules privés disponibles à proximité et de payer via l'application Uber, dans plus de 250 villes dans le monde.
Selon un reportage du Wall Street Journal, Uber pourrait devenir la start-up valant le plus cher au monde, après un nouveau financement qui portera sa valeur à plus de 50 milliards de dollars. Elle pourrait ainsi dépasser le record d'offre initiale publique de 50 milliards de dollars de Facebook en 2011.
En dépit de cette valeur sans précédent, Uber fait face à de multiples défis légaux dans son expansion internationale. Où qu'elle aille, l'entreprise voit sa légitimité remise en question. Si les utilisateurs apprécient ses services, les entreprises de taxi et les législateurs ne voient pas son arrivée d'un bon œil.
Les revers rencontrés en Chine figurent parmi une série d'obstacles légaux auxquels Uber doit faire face dans le monde entier, notamment en Inde, Espagne, Thaïlande, Corée du Sud, France et Allemagne, ainsi que dans plusieurs états des Etats-Unis.
Uber a fait une apparition relativement tardive en Chine, où le nombre d'utilisateurs d'applications de taxi devrait tripler entre 2013 et 2015 et atteindre 45 millions en 2015, selon l'entreprise de conseil sur Internet iResearch. En décembre, Uber a reçu un investissement stratégique de Baidu, l'un des géants de l'internet chinois.
En Chine, comme partout, l'application a provoqué la colère des chauffeurs de taxi enregistrés, qui protestent contre les pertes commerciales occasionnées par la compétition avec des chauffeurs particuliers. Uber rencontre en outre une importante compétition de la part des applications locales chinoises, qui sont soutenues par des investisseurs majeurs.
Les entreprises locales comme Kuaidi Dache et Didi Dache, soutenues respectivement par le géant de l'e-commerce Alibaba et le géant d'internet Tencent, se sont taillé la part du lion dans le marché des taxis en ligne. Les deux entreprises ont annoncé en février des projets de fusion, ce qui aurait pour conséquence une domination indiscutable sur le marché.
Selon un rapport publié par l'institut d'études de marché Analysys International, Didi Dache et Kuaidi Dache représentaient à eux deux 78,3 % du marché en termes de commandes au premier trimestre 2015, tandis qu'Uber en représentait 10,9 %.
Le modèle commercial d'Uber consiste à mobiliser les voitures privées non utilisées pour offrir des services similaires à ceux d'un taxi. Bien que ce modèle commercial ait de bonnes perspectives commerciales, il a un défaut majeur : les voitures n'ont pas les qualifications pour offrir des services de taxi et elles sont beaucoup moins contrôlées par le gouvernement, ce qui augmente les risques.
Didi Dache et Kuaidi Dache affirment, en revanche, que leurs voitures proviennent d'entreprises de location de véhicules et non pas de propriétaires privés.
Une voie sans-issue
Bien que les voitures privées sans licence ne puissent pas offrir des services de taxi, la demande élevée de taxis rendu les fournisseurs de services privés très populaires.
Cao Zhiwei, directeur d'une entreprise d'immobilier et membre de la Conférence consultative politique du peuple chinois de la municipalité de Guangzhou, estime que le secteur des taxis est à blâmer.
« Le secteur des taxis parvient à peine à satisfaire la demande et il nécessite une réforme totale, affirme Cao. Auparavant, les départements du gouvernement donnaient aux taxis leur licence. A présent, le marché devrait décider de l'attribution des ressources. » Il estime donc que le monopole gouvernemental sur les licences de taxi devrait être supprimé.
Wang Limei, secrétaire général de China Road Transport Association, estime que les applications de taxi ne devraient pas être totalement supprimées.
« Internet est seulement un outil. Le fait que certaines personnes l'utilisent à des fins illégales ne signifie pas qu'internet doive être visé. Un cadre légal plus strict pour réguler les applications de taxi pourra donner aux voitures une chance d'être régularisées », ajoute-t-il.
Li Yuheng, analyse dans l'entreprise d'études de marché CIConsulting, estime que l'utilisation de voitures privées est la meilleure manière de mobiliser les ressources et d'étendre le marché des taxis.
« Les véhicules d'entreprises de location de voitures peuvent difficilement satisfaire la demande. C'est pourquoi autant de voitures rejoignent les applications de taxis, et ces applications acceptent de mettre en circulation des voitures illégales », explique-t-il.
Pour l'analyste, le gouvernement devrait relâcher son contrôle sur le marché.
Chen, le chauffeur de taxi Uber à Beijing, conclut en disant qu'Uber a encore du chemin à faire en Chine : « il n'y a pas assez d'effort marketing en Chine, donc Uber a encore une très petite part de marché ». |