La culture chinoise envahit-elle l'Afrique ?
En Afrique, la Chine cherche à promouvoir sa culture grâce aux écoles de langue comme l'Institut Confucius et à travers d'autres initiatives. Mais son succès s'accompagne d'accusations d'« invasion culturelle ». Voici ce qu'en pensent les experts chinois et africains.

Conde Sekou,
Professeur guinéen à l'Université des Nationalités de Beijing
Avec la découverte de l'Amérique en 1492, les Européens ont diffusé leur culture dans le monde entier grâce à la colonisation. De nos jours, même avec des organisations internationales d'échanges culturels comme l'UNESCO, les plus grands contributeurs restent les États-Unis et l'Europe. Aujourd'hui, Noël est célébré partout ; les Chinois portent des jeans. Le soft power occidental et américain est partout.
La Chine est une grande puissance et devient de jour en jour plus forte économiquement et politiquement. Elle a le droit de faire connaître sa culture au monde. Tout pays en ferait de même. Mais ses concurrents, à savoir les pays occidentaux, n'en sont pas contents. Même après la décolonisation, les puissances occidentales continuent à voir l'Afrique comme leur arrière-cour. Ils espèrent que tout reste occidental, et il leur est difficile de voir d'un bon œil des endroits comme l'Institut Confucius. Mais je ne pense pas que les Africains aient la même opinion.
Les Africains ne considèrent pas les Instituts Confucius comme une menace. La Chine est venue ici non pour exporter, mais pour faire mieux connaître la civilisation chinoise. Avec ces instituts, les intellectuels chinois peuvent apprendre beaucoup au contact des intellectuels africains. Ils découvriront des similarités et des différences. Reconnaître les différences peut aider à combler les distances et à réduire les incompréhensions.

Vallai M. Dorley,
Doctorant libérien en politiques publiques étudiant à l'Université de Pékin dans le cadre d'un programme d'échange d'un an
Selon moi, la Chine n'est pas en train de faire passer l'Afrique d'une base idéologique occidentale à une base idéologique marxiste. Les Chinois ne croient pas à l'ingérence dans nos affaires politiques intérieures. Leur stratégie culturelle consiste à montrer que la Chine ne se limite pas à des étiquettes comme « communiste », « maoïste » ou « marxiste ».
Je ne pense pas que la culture chinoise puisse causer du tort à la culture africaine. Pendant les 200 dernières années, la culture occidentale s'est imposée en Afrique mais les Africains ont gardé leur culture. Je viens du Liberia, un pays de culture traditionnelle. Je continue à garder ma culture, ma religion, et les traditions de ma tribu et de ma société.
Je ne crois pas que la Chine y changera quelque chose. Mais elle va essayer de donner aux Africains une nouvelle idée concernant sa présence en Afrique, pour se débarrasser que l'idée que les Chinois sont « arriérés ». C'est une nouvelle approche de la culture africaine.

Ezemaduka Anastasia Ngozi,
Nigériane, responsable de l'association des étudiants africains de l'Université de Pékin
Je ne vois pas ce qu'il y a de mal à ce que des gens cherchent à vous faire connaître leur culture. Si j'en avais connu plus sur la Chine avant mon arrivée ici, j'aurais pu mieux comprendre certaines choses et éviter certaines confusions.
Je pense que les gens viennent en Chine pour des raisons variées. Si ce n'est pas pour étudier, c'est pour venir faire du commerce. La connaissance de la langue peut être utile dans les deux cas. Si les Africains peuvent l'apprendre grâce à des écoles comme les Instituts Confucius, c'est positif.
Tout enfant africain veut devenir médecin ou avocat, et avant d'aller à l'école j'estimais qu'il n'était pas utile d'étudier la langue. Mais quand je suis arrivée en Chine, j'ai trouvé que les talents linguistiques étaient très importants. Grâce à ma maîtrise de la langue, j'ai plus d'opportunités d'emploi, plus que de devenir médecin ou avocat. Outre la langue, les Chinois ont d'autres talents à offrir. Il y a beaucoup de choses à apprendre. Je ne vois pas en quoi donner des compétences aux Africains peut être considéré comme une invasion culturelle.

Yu Youbin,
Vice-doyen de l'Institut des Sciences humaines et sociales de l'Université polytechnique de Beijing
« Invasion culturelle » relève du registre du colonialisme. Quand cette expression est utilisée, elle signifie forcer quelqu'un à faire quelque chose. Mais l'Institut Confucius est basé sur la bonne volonté des deux parties. Son but est d'aider des Africains à apprendre mieux le chinois pour éviter les incompréhensions possibles dans leurs communications ou leurs affaires en Chine.
L'Institut offre un tremplin pour quiconque a besoin d'apprendre le mandarin et la culture chinoise. Ce n'est guère différent que d'aider l'Afrique à construire des chemins de fer. De plus, les instituts ne sont pas uniquement la propriété de la Chine. Ils sont le fruit de la coopération avec les universités africaines. Personne ne tire de bénéfices financiers de l'Institut. Tout ce que nous y gagnons, c'est de l'amitié et des opportunités de communication.
Les Africains apprennent non seulement la culture chinoise, mais les enseignants chinois sont également encouragés à apprendre les langues et les habitudes locales. Ils tirent profit de leur apprentissage des cultures et communautés africaines.

Xu Lin,
Présidente du Siège des Instituts Confucius à Beijing
La culture chinoise restera une étendue d'eau calme si elle n'essaye pas de toucher les autres cultures. Si nous ne promouvons pas notre culture, nous ne pourrons pas absorber les autres. Nous avons créé les Instituts Confucius dans plus de 100 pays, et les cultures de ces centaines pays reviennent en Chine grâce à nos enseignants. Ces cultures peuvent nous aider à nous mettre à jour, et à améliorer la tolérance de la culture chinoise.
Les Chinois aiment découvrir les aspects positifs des cultures étrangères. Il fut un temps où ne croyions qu'en Confucius, mais nous avons assimilé les philosophies occidentales comme le marxisme.
Certains s'interrogent sur nos intentions derrière notre promotion culturelle. Mais si nous interrogeons l'histoire, qu'ont fait les Chinois auparavant ? Ils n'ont jamais envahi d'autres pays, et la Chine est tout sauf une culture agressive. Notre promotion culturelle est uniquement destinée à aider les gens à se comprendre. Tout ce que nous voulons est que le monde ait une compréhension juste de la Chine, sans la sous-estimer ni la surestimer.

Huang Lizhi,
Doctorante en relations internationales à l'Université de Pékin
J'ai appris des étudiants africains de l'Université de Pékin que les Africains étaient reconnaissants à l'égard de ceux qui les aidaient. Contrairement à ce que je sais, ces allégations lancinantes d'invasion culturelle sont destinées à salir le rôle de la Chine en Afrique. Et les enseignants volontaires chinois sont les meilleurs exemples contre ces allégations.
Depuis 2002, la Chine a envoyé plus de 360 volontaires en Afrique, un chiffre qui ne frappe pas les esprits. Mais c'est un point de départ, qui prépare le futur. D'après une étude menée par mon équipe de recherche sur les volontaires en Afrique, les fonctionnaires et les citoyens ordinaires des pays africains approuvent grandement leur travail. Il y a une véritable demande pour plus de volontaires. L'ambassadeur du Malawi en Chine a déclaré que les volontaires renforçaient les relations bilatérales des deux pays, et un des Africains que nous avons interrogés nous a dit que dans l'esprit des gens, l'amitié avec la Chine était bien réelle. Je crois en ce proverbe chinois qui dit que la rumeur ne résiste pas à la vigilance du sage. |