
Un juste équilibre
Grace O'neill, un ancien employé du distributeur de films indépendant Hopscotch, a déclaré que les cinéastes chinois étaient donc confrontés à un exercice d'équilibre extrêmement difficile consistant à garder « à la fois l'authenticité chinoise tout en étant accessibles à l'échelle internationale ».
Par conséquent, les cinéastes chinois semblent marcher sur le fil du rasoir. Afin de plaire au public américain, ils doivent s'assurer que leurs films ne sont ni trop étrangers, ni trop communs. Trop étranger, et le film pourrait aliéner les téléspectateurs américains. Trop familier, et les Américains feront une croix sur le film en le voyant comme un vulgaire substitut hollywoodien.
Une étude menée par le Los Angeles Times a révélé que si les recettes au box-office américain de l'été 2013 ont augmenté de 14 % par rapport à l'année précédente, ce fut principalement grâce au succès des films de moindre envergure comme Despicable Me 2 plutôt qu'à la sortie des « blockbusters incontournables » prisés par Hollywood.
O'neill estime que le recours croissant des studios hollywoodiens aux blockbusters « prêts à l'emploi, standards » qui présentent « les mêmes récits, les mêmes acteurs » est mal perçu. Le public semble en effet avoir envie d'un peu plus de diversité dans son régime cinématographique.
Par conséquent, les cinéastes chinois ont une occasion unique de s'affirmer à l'étranger. La question à 3 milliards de dollars demeure : comment les cinéastes chinois peuvent-ils percer sur le marché nord-américain ? Et découvrira-t-on un jour un nouveau Tigre et Dragon ?
La réponse peu inspirée d'Hollywood fut de couper et de modifier les films étrangers afin de les rendre plus attractifs pour le public américain. Alors que Rosen estime que ces coupes sont parfois un mal nécessaire, elles nuisent souvent à l'intégrité artistique des films eux-mêmes.
L'auteur et critique Peter Biskind décrit ce processus comme « un désossement des films étrangers pour en faire des filets faciles à digérer », les privant de la caractéristique essentielle que les Américains recherchent dans un film étranger : ils constituent une « fenêtre sur des mondes inconnus ». Apparemment, Hollywood ne possède pas toutes les réponses.
En conséquence, la nécessité pour les producteurs et les réalisateurs chinois de trouver des idées fraîches va certainement être une bataille difficile. Un rapport publié par l'ACICC à l'Université normale de Beijing à la mi-2013 fournit cependant quelques éléments de réflexion.
Ce rapport suggère que les cinéastes désireux de remettre en cause les canaux traditionnels de production et de distribution peuvent pénétrer le marché international. Les distributeurs non-gouvernementaux ont rencontré un énorme succès en 2012 – à l'image des Frères Huayi – en représentant près de 25 % du chiffre d'affaires de la Chine à l'étranger.
Bon nombre de distributeurs indépendants ont séduit le public en ayant recours à Internet. 58 % des personnes interrogées ont ainsi déclaré visionner des films chinois en ligne.
Les cinéastes ont également tenté de surmonter les principaux obstacles dus aux mauvaises traductions et au caractère flou de certaines histoires en établissant des partenariats avec des sociétés de production hollywoodiennes.
Alors que les véritables coproductions sont notoirement hasardeuses, elles offrent une foule d'avantages aux cinéastes chinois : scénaristes hollywoodiens, techniques de postproduction, effets spéciaux à gros budget et, bien sûr, intégration du milieu.
Comme l'a expliqué Yin Hong, vice-président de l'École de journalisme et de communication à l'Université de Tsinghua, lors de son entretien avec le Global Times, le cinéma chinois a aujourd'hui besoin de coproductions « authentiques », et non pas simplement d'ajouts ponctuels des chinois dans les films hollywoodiens, comme ça a été le cas dans Iron Man 3 et Looper.
« Nombre d'entre elles [les coproductions] échouent parce qu'elles mélangent simplement l'argent, les stars et le marketing », a-t-il déclaré.
En combinant le professionnalisme d'Hollywood avec le style culturel du cinéma chinois, peut-être que la magie ayant fait de Tigre et dragon un film si irrésistible aux yeux du public américain pourra opérer de nouveau.
Pourtant, même si les jours des méga-blockbusters comme Tigre et dragon sont, comme s'en inquiète Rosen, derrière nous, il semble clair que l'histoire de Li Mubai ne sera pas la dernière que l'industrie du cinéma chinois apportera à Hollywood. |