Lorsque je devins mère, au Canada en 1965, je perdis mon poste d'enseignante, alors nécessaire à l'alimentation du bébé; la vie n'était pas facile. L'année suivante, je mis au monde mon deuxième enfant. Je recevais une maigre allocation familiale du gouvernement canadien pour chaque enfant. Quelques années plus tard, cette allocation devint proportionnelle au nombre d'enfants. Comme le Canada avait besoin de population, et que la plupart des familles s'arrêtaient à deux enfants, on décida d'offrir une allocation alléchante à la naissance d'un troisième rejeton. Malgré tout, bien peu s'en prévalurent.
La Chine, au contraire, a tout fait pour diminuer sa population. Elle se retrouve maintenant avec un grave problème de vieillissement. Par ailleurs, la loi chinoise impose aux enfants le soin de leurs parents âgés. D'une part, la moyenne de longévité augmente; d'autre part, de plus en plus d'enfants uniques ont la charge de deux parents et quatre grands-parents, un poids financier non négligeable.
Pour pallier à cette situation, voilà qu'on vient d'élargir le cercle des parents urbains qui auront droit à une seconde naissance. Il suffit qu'un des deux parents (et non les deux comme c'était le cas) soit lui-même un enfant unique. Mais voilà que seulement 60 % des ayant-droit songent à profiter de ce nouveau privilège. C'est qu'il en coute une fortune pour élever un enfant en Chine!
On doit aussi s'arrêter aux inconvénients causés par une image sociale déjà ancrée dans les cerveaux et les cœurs. Les six adultes qui tiennent dans leurs bras l'unique enfant de la famille sauront-ils partager l'attention et l'amour avec un nouveau-venu, surtout si celui-ci est de sexe féminin ? Surtout s'il est moins beau, ou peut-être même infirme ?
Et le petit empereur qui, depuis sa naissance, se trouve au centre de tous les regards, de tous les compliments, de tous les cadeaux, comment verra-t-il l'arrivée, sous le toit où il régnait en maitre, d'un bébé rougeaud et braillard qui prend toute la place et retient l'attention ? Déjà dans les familles de deux, trois ou quatre enfants des pays où la population n'est pas limitée, un nouveau-né cause toujours une certaine jalousie. Et cela même quand les parents y sont préparés, même quand ils impliquent le grand frère ou la grande sœur dans les soins du tout petit; on peut donc s'imaginer ce qui se passera dans les familles chinoises où ni les parents ni le « petit empereur » n'est préparé au dédoublement des biens et services.
Avant d'ouvrir la porte au deuxième enfant, il serait bon que des séances de formation en psychologie familiale soient mises en place, et que les parents soient invités ou même obligés d'y prendre part. Mais où sont les spécialistes qui donneront ces cours ?
On a calculé que 15 à 20 millions de couples chinois sont favorisés par la nouvelle mesure, et qu'environ 13 millions de bébés de plus naîtront dans les cinq ou six prochaines années, pour un total annuel de 40 millions environ.
En outre, de jeunes grands-mères d'un enfant unique voudront jouir du privilège, privant ainsi leur fils ou leur fille (qui ne sera plus unique) du privilège de mettre au monde deux enfants, d'où litiges familiaux. Ira-t-on jusqu'à voir des courses à la naissance entre parents et enfants ?
Jusqu'ici, qu'arrivait-il des couples qui, contre la loi, mettaient au monde un second enfant? Ils payaient une « amende » pour le garder; mais l'on sait très bien que dans la plupart des cas il s'agissait de pots-de-vin. Cet argent, au lieu d'aller dans les coffres de fonctionnaires corrompus, pourrait ou aurait pu servir à instituer des cours gratuits pour les parents de deux enfants, un phénomène nouveau qui ne peut qu'apporter de graves problèmes sociaux s'il n'est pas sérieusement préparé.
En 2012, la Chine comptait 150 millions d'enfants uniques. Et en 2010, on estimait à plus d'un million le nombre de familles qui avaient perdu leur enfant unique. En bon père, le gouvernement chinois avait adopté une mesure permettant à ces couples de mettre au monde un nouveau « bâton de vieillesse », en remplacement de l'aide gouvernementale octroyée de 150 yuans par mois. Et l'on ne parle pas de couples dans la vingtaine, mais de mères de 40 ans et plus! Récemment on a vu un cas de maternité gémellaire d'une femme âgée de 63 ans.
Par ailleurs, bien des couples qui se plaignaient de ne pouvoir engendrer un second enfant y repensent sérieusement maintenant qu'ils en ont le droit, et plusieurs décident de renoncer au privilège, vu le coût de la vie et de l'éducation. |