
En 2000, lorsque l'ancien professeur d'anglais originaire du Zhejiang, dans l'est de la Chine, est entré dans un auditorium de Berlin pour faire un discours majeur lors d'une grande conférence sur Internet, un spectacle déconcertant s'est offert à ses yeux. Dans l'immense hall pouvant accueillir 500 personnes, seules trois personnes étaient assises.
« Nous avons cru que nous nous étions trompés d'endroit », se souvient Porter Erisman, qui accompagnait le conférencier. « Mais Ma Yun ne s'est pas laissé déconcerter. Il a fait un excellent discours de 45 minutes. Quand nous sommes sortis, sa confiance était intacte. Il m'a dit : 'Ne t'inquiète pas, la prochaine fois que nous viendrons, l'auditorium sera plein'. »
C'était une affirmation prophétique. L'année dernière, Erisman est retourné à Berlin pour projeter son documentaire sur le professeur qui était devenu l'un des hommes les plus riches du monde. L'auditorium était plein. « Cela montre que les gens s'intéressent maintenant à Alibaba », affirme Erisman avec satisfaction.
De l'enseignement à l'entreprise
La transformation de Ma Yun, ou Jack Ma, d'un professeur médiocre qui avait raté plusieurs fois l'examen d'entrée à l'université, à l'empereur de l'e-commerce chinois, est une histoire fascinante.
Erisman, un américain diplômé de l'école de management de Kellogg qui est venu en Chine pour la première fois en 1986 avec sa mère, est sans doute l'une des personnes les plus aptes au monde à raconter cette métamorphose. Vice-président d'Alibaba pendant huit ans, Erisman a assisté aux débuts de l'entreprise, lorsqu'elle venait de déménager de l'appartement de Ma vers un petit bureau.
« En 2001, j'ai écrit la première page » (d'un roman qu'il voulait commencer sur Alibaba), raconte Erisman, depuis Tokyo où il est désormais basé. « Mais j'ai pensé que l'entreprise pourrait péricliter et que ce n'était pas la peine d'écrire un livre ».
Pourtant, sept ans plus tard, l'entreprise Alibaba, qui offre une plateforme de vente en ligne aux petites et moyennes entreprises chinoises, faisait compétition au géant Ebay et consolidait sa position en lançant le site de shopping en ligne Taobao, puis la plateforme de paiement en ligne Alipay. D'autres innovations allaient suivre, comme eTao, un engin de recherche sur le shopping en ligne, et Tmall.com, un site Internet de vente au détail. L'année dernière, Alibaba a réalisé une entrée en bourse fracassante, éclipsant celle de Facebook avec une capitalisation boursière de 228,5 milliards de dollars.
« Lorsque j'ai signé mon contrat, Ma disait qu'il partirait dans quatre ans, car il n'était qu'un professeur d'anglais sans expérience des affaires, se souvient Erisman. Il disait qu'il confierait l'entreprise à un manager professionnel. Ce qui est incroyable, c'est que Ma a gagné en confiance au fur et à mesure des années, et son équipe s'est rendu compte qu'elle pouvait gérer une entreprise similaire aux grandes compagnies occidentales sans faire appel à de grands gestionnaires. Je voulais décrire cette transformation. »
Erisman a donc décidé de faire un film. Crocodile dans le Yangtze a été réalisé à partir de près de 200 heures de tournage, filmées pendant les 9 ans de sa présence chez Alibaba. « J'ai senti que le fait de raconter l'histoire de l'intérieur, de la manière la plus candide possible, en montrant les hauts et les bas de l'équipe, offrirait un excellent cas d'étude pour les entrepreneurs qui poursuivent leur propre rêve », écrit-il sur son site.
Lorsque Erisman a confié son projet à Ma, celui-ci lui a répondu : « tu es sans doute la meilleure personne pour l'accomplir ». Il est alors parti d'Alibaba pour réaliser ce « docu-mémoire », en collaboration avec l'Italien Giuseppe de Angelis, et il a voyagé dans le monde entier pour raconter l'histoire d'Alibaba.
Lors de la projection en mai dernier, un éditeur lui a demandé s'il pensait écrire un livre sur Alibaba. Il lui a répondu que oui, lui a envoyé son projet et a finalement signé un contrat avec Palgrave Macmillan. Son livre, Alibaba's World, vient de paraître ce mois-ci et sera bientôt suivi par une version chinoise.
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