Je ne me souviens plus comment le sujet est formulé dans le grand livre des Droits de l'homme de la plupart des pays, mais les êtres humains ont le droit fondamental d'avoir un lieu où habiter, à l'abri du froid et des bêtes sauvages, et où leur intimité est sauvegardée.
Or, même dans les pays de civilisation avancée ou les pays qu'on dit « riches », de nombreuses personnes n'ont pas d'habitation. Le jour, ces gens se promènent trainant un grand sac plastique qui contient tout ce qu'ils possèdent, et la nuit, ce sac leur sert d'oreiller, tandis qu'il se couvrent du manteau en guenilles qu'ils portaient dans la journée, ou de cartons défaits, sales et malodorants.
À Montréal, ma ville natale, un soir de janvier où je me rendais au cinéma par -30 degrés, j'ai aperçu en descendant de ma voiture une masse humaine (homme ? femme ?) qui s'apprêtait à passer la nuit sur des journaux étendus au-dessus de la bouche d'air du métro souterrain. J'étais saisie de malaise ; que faire ? Renoncer au film et inviter cette personne à venir chez moi ? Là, lui faire prendre un bain chaud, lui fournir des vêtements propres, lui préparer un repas, puis un lit douillet pour la nuit ? Pour « cette » nuit-là ? Car il y aurait demain, aussi, et après-demain…
Il existe la « soupe populaire » où les sans-abri peuvent faire la queue pour un bol de soupe chaude. Il existe aussi des refuges où l'on peut se présenter après 18h, sans rendez-vous, pour occuper un des lits anonymes mis à la disposition des démunis. Mais il n'y en a pas pour tous, et l'on ne peut vivre là en permanence.
Au début de janvier dernier, je lisais dans de China Daily que des fonctionnaires avaient installé un appareil à jets d'eau sous l'avant-toit d'un hôtel de Guangzhou de manière à chasser les sans-abri qui s'y réfugiaient pour dormir. Et je me suis souvenue alors du jour où, lors de la halte-repas d'un autocar que j'avais pris au Yunnan, les passagers déjeunaient dans une immense salle à manger. Comme toujours, j'étais la dernière car je mange lentement, et j'aperçus un homme aux cheveux longs et sales, portant seulement un imperméable et un vieux pantalon, pieds nus, qui se faufilait à quatre pattes, comme un chien, vers les poubelles où l'on déversait les restants. Au moment où il allait prendre quelque chose, un employé du restaurant le chassa à coups de balai. Mais le pauvre resta là, accroupi, dans l'espoir de tenter sa chance de nouveau, peut-être. Je ne pouvais plus rien avaler. Alors, je mis tout ce qui me restait sur une seule assiette, et j'allai la déposer par terre, près de l'homme. Il la prit de ses deux mains et y engouffra la bouche. Le gardien s'approcha; je lui barrai le chemin et lui ordonnai de laisser le pauvre homme manger.
Bien entendu, je n'avais pas réglé le problème. Les sans-abri vivent sous les ponts, sous les balcons, ou à l'abri des poubelles. On les tolère s'ils ne commettent pas de méfaits. Mais le problème doit être résolu par les municipalités. Ces personnes sont privées de sécurité. En plein hiver, combien meurent de froid ? À Montréal, oui, tous les matins d'hiver on en trouve pour qui le froid a été fatal.
Il faut que les gouvernements locaux construisent des abris pour ces personnes, qui sont des citoyens comme les autres. Et il faut aussi des gens qui détectent ces malheureux et les dirigent vers les services auxquels ils peuvent avoir accès.
On investit dans des constructions fabuleuses pour de grands évènements internationaux comme les Jeux olympiques, dans des hôtels de plus de cinq étoiles, comprenant tout le luxe imaginable, et j'ai moi-même logé, aux frais des organismes qui m'invitent, dans de tels appartements. Chaque fois, j'ai le cœur gros en regardant, par ma fenêtre du 26e étage, le quartier de taudis qui s'étend en bas, avec des pierres pour empêcher les tuiles du toit de s'envoler.
Que faut-il faire ? Que doit-on faire ?
Et vous, qu'en pensez-vous ? |