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Le docteur Diarra Boubacar (deuxième en partant de la gauche) lors d'une session de traitement |
Quand Diarra Boubacar a commencé à travailler dans un hôpital privé dans la province du Sichuan au sud-ouest de la Chine, il a tout d'abord été très déconcerté. Pendant trois jours, pas un patient ne s'est montré. Le quatrième jour, une imposante matrone a ouvert la porte, jeté un coup d'œil, et s'est enfuie en le voyant.
« Elle est allée se plaindre aux infirmières », se souvient le docteur Boubacar en riant. « 'Je voulais voir un docteur chinois et à la place, j'ai trouvé un homme noir assis dans la pièce', a-t-elle dit aux infirmières. 'Mais c'est notre spécialiste', lui ont-elles répondu. Elle n'était pas convaincue et n'a accepté de se laisser soigner qu'une fois que je lui ai promis qu'elle serait remboursée si elle n'était pas satisfaite du traitement. »
Près de deux décennies après l'incident, le docteur âgé de 50 ans se souvient encore de la maladie qu'il lui a diagnostiquée - un cancer du col de l'utérus - et de sa réaction après le traitement : "elle a amené sa mère et son mari pour que je les examine".
La vocation du docteur Boubacar lui vient de son père, le docteur Thiemoko Diarra, qui travaillait pour le Comité international de la Croix Rouge à Segou, une ville au centre-sud du Mali, où Boubacar a grandi. « Quand mon père recevait des patients à la maison, il ne leur demandait pas d'argent, raconte Boubacar. Il me disait que le métier d'un docteur est d'aimer ses patients et de servir la communauté. »
Un passage en Chine
Boubacar est venu en Chine animé de la même passion. Pour lui, il n'y a aucune différence entre une personne pauvre et malade au Mali ou en Chine.
Son aventure chinoise a débuté en 1984, quand il est venu étudier le chinois à l'Université des Langues et des Cultures de Beijing, dans le cadre d'un programme d'échange. Deux ans après, une fois diplômé, il a pensé à s'inscrire en médecine à l'Université de Médecine de Beijing, mais a finalement changé d'avis.
« Cela aurait impliqué que je recommence la biologie et l'anatomie depuis le début, alors que j'avais déjà étudié ces matières au Mali », explique-il. « J'ai pensé que, tant qu'à être en Chine, je ferais mieux d'apprendre quelque chose de typiquement chinois. D'où l'idée de la médecine traditionnelle chinoise (MTC). J'ai rencontré beaucoup d'obstacles. Les gens essayaient de me dissuader, me disant que ce serait très difficile. »
Il est toutefois entré à l'Université de la MTC de Guangzhou, où de réelles difficultés l'attendaient en effet. « Il y a une grande différence entre la médecine occidentale et la médecine chinoise, explique-t-il. L'approche du corps humain et des maladies est complètement différente. La médecine chinoise est également liée à l'histoire chinoise et à sa culture, aussi nous devions étudier beaucoup de textes en chinois ancien. Même les chinois trouvaient cela difficile, alors imaginez pour un étranger comme moi ! »
Mais il a persévéré, aidé par les similarités entre la médecine chinoise et la médecine traditionnelle africaine, qui utilisent souvent les mêmes herbes pour traiter les mêmes maladies. Beaucoup de méthodes sont également semblables, comme par exemple la saignée. La mentalité des patients a été un problème plus difficile à surmonter. « Quand j'ai commencé en 1991, les gens associaient généralement la médecine chinoise avec de vénérables docteurs chinois aux cheveux blancs. Ils se méfiaient d'un jeune étranger : comment pourrait-il connaître la médecine chinoise ? Comment pourrait-il nous comprendre ? Peut-il parler le dialecte local ? ».
Boubacar a donc eu du mal à trouver son premier patient. Mais une fois que le premier est venu, les autres ont suivi, attirés par le bouche-à-oreille élogieux.
Combattre une image négative
En 1997, Boubacar est devenu le premier étranger à obtenir un doctorat en acuponcture de l'Université de Médecine chinoise de Chengdu. Il a ensuite travaillé dans un hôpital privé, où il gagnait un bon salaire, avait une voiture et un appartement, mais n'était pas heureux. Il trouvait que les docteurs souffraient d'une image négative. « Ils voulaient toujours gagner plus d'argent et ne se souciaient pas des patients. J'ai décidé de démissionner. Les professionnels de la santé devraient se concentrer sur le bien-être de leurs patients, les aimer, et ne pas penser qu'à l'argent. »
Il a alors rejoint Médecins Sans Frontières, une organisation médicale humanitaire internationale qui l'a amené à travailler dans des villages sous-développés, frappés par des maladies causées ou aggravées par la pauvreté, comme la tuberculose et la lèpre.
Selon l'organisme humanitaire britannique The Leprosy Mission, 14 pays ont reporté plus de 1 000 nouveaux cas de lèpre en 2013. Les trois pays les plus touchés étaient le Bangladesh, le Brésil et la Chine. Rien que dans la province du Yunnan, on rapporte 400 à 500 nouveaux cas par an, selon Boubacar. La peur et l'infamie attachées à cette maladie la rendent en outre particulièrement difficile à traiter. « Les patients lépreux sont confrontés à la même discrimination que les patients atteints du SIDA », explique-t-il.
En 1999, il a commencé à travailler sur un projet de lutte contre le SIDA au Sichuan, qui a été étendu au Yunnan. « Nous avons enseigné aux travailleurs médicaux, aux membres de la communauté et aux travailleurs du sexe ce qu'était le SIDA et comment il se répandait, raconte-t-il. Ils ne savaient pas tout cela. Au cours des dernières années, la prévention et le traitement du SIDA se sont beaucoup améliorés en Chine et la médecine traditionnelle chinoise est utilisée efficacement pour renforcer le système immunitaire. »
Son travail dans la communauté lui a valu des surnoms comme le « docteur pieds-nus de Chine » ou « le Norman Bethune africain », du nom du docteur canadien qui prodiguait des soins ambulants en Chine du Nord dans les années 1930. Sa réputation a grandi, il a reçu une récompense du gouvernement yunnanais en 2009 et a été reconnu comme l'un des 10 plus importants travailleurs humanitaires en Chine par un vote public organisé par une grande chaîne de télévision chinoise. En 2013, il a reçu une récompense nationale des mains du premier ministre Li Keqiang.
L'un des moments les plus mémorables de la vie de Boubacar est sa rencontre, en 1994, avec une jeune femme chinoise, Yang Mei, dans une église de Chengdu. Le couple s'est marié trois ans plus tard, et a aujourd'hui un fils de 16 ans et une fille de 8 ans, qui parlent tous les deux mandarin, français (la langue maternelle de leur père) et le dialecte yunnanais. La famille vit à Kunming, même si le travail de Boubacar l'amène à voyager souvent dans des zones rurales où il forme le personnel médical et les docteurs chinois et donne des conférences sur la santé dans des écoles et d'autres institutions.
Guérir l'Afrique
Lorsqu'il ne travaille pas, Boubacar poursuit ses recherches post-doctorales sur un traitement antiviral à base de plantes. Une fois sa recherche achevée, il souhaite s'engager dans un projet qui lui tient à cœur : faire connaître la médecine chinoise en Afrique. Boubacar travaille avec un collègue gabonais, le docteur Jean Pierre Gomo, qui a construit en Afrique un hôpital combinant médecine chinoise et médecine traditionnelle africaine.
« La médecine chinoise et la médecine traditionnelle africaine peuvent être d'une grande aide pour les programmes de santé africains, en offrant des soins de base beaucoup moins chers que la médecine occidentale, affirme-t-il. La Chine a très bien réussi cela avec sa médecine traditionnelle. »
Son long séjour en Chine lui a permis d'acquérir de l'expérience dans la pratique de la médecine chinoise. Il veut à présent apporter cette connaissance en Afrique pour, dit-il, « aider mon pays, mon continent ».
Les deux docteurs ont discuté avec les autorités de leur pays, ainsi que de l'Ethiopie et de la Guinée Equatoriale. Ils reprendront les discussions en octobre, et si le projet aboutit, il pourrait se faire en collaboration avec des instituts de médecine chinoise en Chine.
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