À l'issue des deux « grandes réunions » de mars dernier, divers niveaux de gouvernement chinois ont encore une fois tenté de réduire le fardeau scolaire des enfants. Des enquêtes montrent que les jeunes du primaire et du secondaire manquent de sommeil ; des écoles ont entrepris de limiter les devoirs quotidiens à 90 minutes (plusieurs y mettent quatre heures), de couper les examens de mi-session, de retirer des manuels scolaires les notions trop difficiles pour le niveau en cours, ou de définir des jours sans devoirs.
Au début des années 1990, seuls les universitaires semblaient subir la pression de leurs parents. Graduellement, la compétition s'est étendue au niveau secondaire, puis primaire, et maintenant, afin d'obtenir une place à l'école maternelle, même les petits doivent suivre, dès l'âge de trois ans, des cours de chant, de danse, de dessin et d'anglais. Pis encore, les jeunes couples s'installent dans un quartier où leur enfant à naitre pourra fréquenter une bonne école.
Si les mères tigresses et les pères loups sont la règle en Chine, dans les pays occidentaux, les parents et l'école accordent une place essentielle aux loisirs des enfants. Pourquoi ? Tout le monde veut s'instruire aujourd'hui, et la Chine, avec 20 % de la population mondiale, ne peut ouvrir suffisamment d'écoles de qualité.
La plupart des écoles « Montessori » chinoises n'ont que le nom de la célèbre pédagogue. À preuve, on y trouve des tableaux, des pupitres et des manuels. Suivant ma critique du programme scolaire des tout-petits, le fondateur du premier kindergarten tibétain privé au Qinghai me disait que s'il n'enseigne pas les langues et les maths, les parents le blâmeront d'abuser du temps de leurs enfants.
Mais il y a une façon informelle, agréable et efficace d'enseigner à parler et compter : le jeu. Sans se rendre compte qu'ils sont en train d'étudier, les enfants apprennent les noms des animaux, et des fruits, dans leur langue et en langue étrangère. Ils découvrent que les trois couleurs primaires peuvent en former une multitude d'autres par le mélange, et les noms de toutes ces couleurs. À l'âge de trois ans, ma fille connaissait les capitales d'une soixantaine de pays, parce que, à l'heure du bain, nous « jouions aux capitales ».
Pendant le weekend et après l'école, les enfants devraient pouvoir s'ébattre librement, d'une part pour secouer leur fardeau, et d'autre part, pour développer leur imagination, leur créativité, leur sensibilité, leur interaction sociale, et pour développer leur corps par l'exercice physique en plein air. Mais si les écoles chinoises se libéraient de quelques charges intellectuelles et les remplaçaient par une part de jeu, les parents ne seraient pas d'accord.
Pourtant, on peut comprendre cette mère qui me disait récemment que sa fille « n'avait pas de temps à perdre à jouer ». Des parents qui permettraient à leur enfant de jouer avec d'autres, d'apprendre à faire des compromis, à s'engager et à tenir ses promesses, à partager et à trouver des solutions aux mésententes, ces parents-là seraient pointés du doigt comme privant leur enfant de sa chance de se préparer un bel avenir. Car dans le système actuel, axé sur les examens de classification, peut-on faire autrement ? Alors, c'est le système qu'il est urgent de changer.
Non seulement les enfants ont-ils le droit de jouer, mais le jeu est un besoin essentiel pour leur développement mental, social, psychologique et physique. Et le jeu avec ses pairs est d'autant plus important en ce pays où les enfants, sans frères ni sœurs, sont constamment entourés d'adultes qui les dorlotent comme de « petits empereurs ».
Dans mon livre Work in Progress sur l'éducation en Chine (Beijing, Intercontinental Press, 2012), j'ai élaboré sur la nécessité pour une croissance saine et équilibrée que l'enfant ait son monde à lui, son territoire où les grands n'ont pas leur place. Car un enfant n'est pas un adulte en miniature. S'il brule l'étape de l'enfance et du jeu, il deviendra asocial, introverti, privé du sens de la communication comme de l'esprit de responsabilité, incapable d'accepter la défaite autant que d'affronter avec audace des situations difficiles.
Les enfants chinois qui jouent le font seuls, avec des jouets électroniques dont ils sont les seuls opérateurs. Le manque d'interactivité – cette grave tare de l'éducation chinoise – est facile à constater : on peut compter sur les doigts d'une main les jeunes qui, dans le métro, ne sont pas rivés à un appareil électronique.
Tant qu'on ne changera pas radicalement l'enseignement orienté sur les examens, on aura beau annoncer des mesures pour alléger la tâche des écoliers et étudiants, on ne fera que tourner en rond. Dès l'école accorde un peu d'espace et relâche la pression, les parents ont tôt fait de prendre la relève et de remplir le temps libre de leurs enfants par de nouveaux apprentissages compétitifs. Je ne crois à aucune amélioration possible sans une réforme fondamentale. |