Il y a près d'un quart de siècle que je vis en Chine. Le terme « échanges culturels » est fort utilisé ici. Depuis que la Chine a commencé à s'ouvrir au monde en 1978, son peuple s'est davantage intéressé à voir comment vivent les autres que cette même curiosité s'est exercée en sens contraire. La véritable ouverture remonte toutefois aux années 1990.
Quand j'étais enfant, mon père avait un collègue chinois. Les petits objets utilitaires ou décoratifs qu'il nous donnait furent ma première école sur la Chine. Un de ces objets est une représentation de trois singes; le premier se cache la bouche de ses mains, le deuxième, les yeux, et le dernier, les oreilles. Si bien que j'ai toujours cru que ce conseil – ne pas parler pour rien, ne pas chercher à voir comment agit le voisin, et ne pas écouter les médisances – relevait de la philosophie occidentale. Ce n'est que cinquante ans plus tard que j'ai su que ce principe émanait du bouddhisme, et concernait le principe de ne pas regarder, parler ou écouter ce qui ne répond pas aux rites.
Nous avions aussi à la maison de petits éventails, des décorations en coquillages peints ou gravés, et même une paire de baguettes dont l'utilité m'intriguait tellement puisque j'ignorais la façon de les tenir.
Vers la fin du siècle dernier, les Chinois – disposant de meilleurs revenus – se sont mis à adopter pêlemêle tout ce qui venait de l'Occident. Et en même temps, les étrangers ont commencé à débarquer de plus en plus nombreux en Chine.
Les visiteurs trouvaient bizarre que dans les couchettes des trains on trouve des draps et une « serviette », mais pas de taie d'oreiller, ignorant que le couvre-oreiller chinois était justement une serviette de ratine étendue sur un coussin souvent rempli de millet ou de son de blé.
Par contre, les Chinois se déplacent de plus en plus à l'intérieur du pays et à l'étranger. Dans les nouveaux hôtels de modèle occidental, ils ont découvert les lits avec deux draps (dessous et dessus) et une couverture ou douillette pour deux, et des oreillers moelleux dans une taie. Ces modèles sont vite devenus des matières commerciales.
En fréquentant des maisons de commerce comme Carrefour et Ikea, les Chinois se sont mis à acheter des cafetières espresso ou des range-ustensiles conçus pour cuillers, fourchettes et couteaux, pourtant sans utilité pour les baguettes et le hachoir chinois. La caffettiera sert souvent de bibelot ramasse-poussière puisqu'on sait rarement s'en servir.
Les modes de vie des uns ne sont ni supérieurs ni inférieurs à ceux des autres. Pourtant, Occidentaux comme Chinois considèrent souvent les habitudes les uns des autres comme exotiques, bizarres, quand ce n'est pas barbares et retardataires.
Il ne faut pas confondre le degré de développement moderne avec les manières de faire d'un pays. Bien sûr, dans les pays développés, les cuisines jouissent d'espace et d'appareils sophistiqués; les salons, de chauffage invisible et de confort; les salles de bains, de lampes chauffantes, d'un ventilateur électrique et de fenêtres. Il est normal que dans ce domaine, le pays le moins développé emprunte à l'autre.
Par exemple, les Chinois ont toujours bu du thé chaud en été, ce qui équilibre la température interne et externe et empêche que le froid et le chaud se combattent. Mais avec l'arrivée massive de visiteurs étrangers qui réclament eau, bière, ou Coca glacés, les Chinois ont perdu cette vieille habitude tellement plus saine pourtant! Dès 1985, j'ai expérimenté l'avantage de boire chaud ou tiède en été. On dira que de ma part, c'est aussi un changement pour l'habitude des autres, mais un changement consciemment adopté, basé sur la constatation que « l'autre » était mieux.
Adopter sans comprendre conduit à des situations souvent risibles ou grotesques. Toute chose a son pourquoi et son comment; quant à saisir la chose sans ses attributs, mieux vaut s'en tenir à ce que l'on connaît. |