Plus qu'une victoire du bien sur le mal, le journaliste Cheng Yi voit dans la mort de Oussama Ben Laden le début d'une série d'attaques de représailles du groupe terroriste Al-Qaeda, qui à n'en pas douter utilisera la mort de son chef pour justifier un nouvel appel aux armes. Selon lui, l'action irresponsable et unilatérale des États-Unis lors de cette opération a ajouté au chaos et à l'instabilité et finalement, la victoire d'une nation pourrait bien signifier la douleur d'une autre. Nous reproduisons ici son opinion.
Oussama Ben Laden a été tué par les forces spéciales américaines au Pakistan. C'est un moment historique qui amènera certainement un peu de réconfort aux familles des victimes des attaques du 11 septembre. Il a été célébré par des jubilés enflammés dans les rues de New York et Washington.
Mais cette victoire n'est pas beaucoup plus que symbolique.
Après les attaques du 11 septembre, Ben Laden a endossé un rôle essentiellement emblématique dans son réseau de terreur. La structure organisationnelle d'Al-Qaeda a également beaucoup évolué après les attaques.
Sa structure en pyramide a laissé place à un système plus éclaté, en réseau, avec des cellules régionales capables de lancer des attaques indépendantes à travers le monde.
Cela minimise l'impact de la mort de Ben Laden sur le groupe, qui pourrait néanmoins vouloir venger son exécution.
Ma préoccupation première selon laquelle la mort de Ben Laden pouvait déclencher des représailles à travers le monde a trouvé confirmation dans le communiqué immédiatement publié par la Maison blanche après l'annonce de la mort du chef d'Al-Qaeda, mettant en garde tous les citoyens américains à l'étranger contre de possibles attaques à leur encontre.
Les extrémistes et partisans d'Al-Qaeda sont actifs dans de nombreuses régions, comme l'Afrique du Nord et l'Asie du Sud-Est, où des attaques contre les intérêts américains pourraient être menées.
Globalement, le terrorisme international ne disparaîtra pas avec la mort de Ben Laden et je doute que le paysage de la lutte contre le terrorisme ne soit modifié en quoi que ce soit.
Les États-Unis disposent à présent d'une excellente raison de retirer leurs troupes épuisées d'Afghanistan. Mais après tout ce que nous avons connu, je pense qu'il est grand temps de se consacrer au traitement des symptômes et à l'élimination des causes de cette guerre contre la terreur.
Alors que le monde avait été contraint de soutenir le conflit en Afghanistan, puis plus tard la guerre injustifiée contre l'Irak, nous devrions enfin poser la question que nous avons si longtemps éludée : qui a, en fait, créé Ben Laden ?
Et qui doit assumer la responsabilité d'avoir mené le monde dans cette guerre sans fin contre la terreur ?
À cause des motifs égoïstes et des intérêts d'élites politiques, une superpuissance qui était chargée de veiller à la paix et au bien-être dans le monde a, au lieu de cela, instauré le chaos et l'instabilité. Ils ont profité de cette situation, mais nombreux sont ceux qui ont payé le prix fort.
Certes, « aucun Américain n'a été blessé », s'est félicité Obama évoquant l'opération. Mais il a oublié de mentionner les milliers de jeunes soldats améri-cains qui ont déjà perdu la vie dans ces guerres. Et si l'on pense aux nombreuses pertes civiles enregistrées en Irak, en Afghanistan, au Pakistan et maintenant en Libye, la remarque d'Obama selon laquelle les troupes américaines ont « pris soin d'éviter de faire des victimes civiles » semble dérisoire.
Après cette longue guerre contre la terreur, le monde est paradoxalement plus terrifié et moins sûr.
Les grandes villes des États-Unis et d'Europe ont été mises en alerte maximum contre de possibles attaques terroristes, tandis que des cafés et bars populaires auprès des touristes occidentaux ont été touchés par des explosions. Des innocents sont morts, qu'il s'agisse de victimes de bombes terroristes, de frappes aériennes américaines ou de jeunes soldats américains morts à l'étranger.
Malgré les leçons douloureuses d'Afghanistan et d'Irak, nous avons aujourd'hui la Libye. Nous avons été témoins d'une escalade des actions entreprises, d'un soutien purement oral à des frappes aériennes puis à une aide terrestre aux rebelles et maintenant à des frappes visant à décapiter l'exécutif ayant entraîné la mort d'un des fils et de petits-enfants de Kadhafi. Tout cela a donné aux partisans d'Al-Qaeda et aux sympathisants de Ben Laden d'excellentes raisons pour reprendre les hostilités.
Peut-être devrions-nous à la place nous unir pour éviter de futurs actes politiques irresponsables et pour aider à corriger les erreurs du passé. À défaut, nous pourrions nous rendre compte qu'il est encore bien trop tôt pour rédiger la nécrologie de Ben Laden. |