Vivre avec le
monde
La puissance de la Chine
augmente continuellement, avec le développement rapide de sa force
nationale, et influence subtilement le monde de façon visible et
invisible. Comment la Chine doit-elle interagir avec le monde au
cours de ce processus, et comment le monde doit-il vivre avec une
Chine en pleine croissance ? Au cours du cinquième Forum
mondial sur les études en Chine organisé à Shanghai en mars, des
chercheurs chinois et d'ailleurs ont échangé leurs vues sur les
relations de la Chine avec le système international dans la
décennie à venir. Extraits choisis :
Zhang
Weiwei
(Professeur à l'Université de
Fudan, basée à Shanghai et chercheur au Centre d'études asiatiques
de Genève) :
Avec la poursuite de son
développement au cours de la prochaine décennie, la Chine devrait
asseoir de façon considérable son poids politique. L'idée chinoise
de « bonne gouvernance contre mauvaise gouvernance »
permet peut-être de mieux comprendre ce monde compliqué que l'idée
occidentale de « démocratie contre autocratie ». Le
concept de méritocratie de la Chine contribue à surmonter les
divers défauts liés à la foi aveugle dans les élections. La
philosophie de l'économie mixte de la Chine remet en question le
Consensus de Washington. Le poids politique de la Chine devrait
interagir et rivaliser plus avec celui de l'Occident actuel et,
grâce à cela, la Chine devrait se développer plus tranquillement,
pour un avenir plus juste, pacifique et cohérent.
Vairo
Lionel
(PDG de l'entreprise de conseil
CEC basée au Luxembourg et ancien diplomate
français) :
Le monde est entré dans une ère
de désoccidentalisation causée par une crise majeure d'impuissance.
Les puissances occidentales ont abusé de leur pouvoir à tous les
égards : les guerres et les invasions injustifiées,
l'incapacité à surmonter une crise économique et financière
majeure, car le vrai pouvoir leur échappe et se concentre dans
« les marchés », dans les mains d'acteurs financiers
invisibles, et elles demandent aux puissances émergentes de payer
la dette du climat et les dommages à l'environnement.
Quelques puissances montantes,
ici et là, ont également commencé à remettre en question
l'idéologie libérale occidentale dominante, même pour ceux ayant
des liens historiques forts avec les États-Unis et l'Europe comme
l'Inde ou le Brésil. De nouvelles instances internationales se sont
formées, comme les BRICS ou le Sommet de l'Asie orientale, avec ou
sans la participation des puissances occidentales, afin de s'unir
pour changer progressivement les règles définies par
l'Occident.
Dans ce nouveau cadre des
relations internationales, la Chine est probablement le principal
acteur face à l'Occident. Au vu de sa puissance économique et
financière, il est impossible pour les pays occidentaux d'ignorer
ses sentiments ou ses politiques. Mais elle soulève également une
question essentielle : la Chine s'occidentalisera-t-elle
progressivement comme l'annoncent les médias occidentaux ou se
prépare-t-elle à désoccidentaliser le monde en inventant un nouveau
modèle de domination politique, économique et
sociétal ?
Le soft power de la Chine est
actuellement très faible et repose principalement sur sa puissance
économique. Le soft power est l'art de faire rêver. Dans la plupart
des pays et plus particulièrement dans les pays en développement,
les jeunes rêvent de l'Amérique. Actuellement, peu sont ceux qui
rêvent de la Chine, même lorsqu'ils s'intéressent sérieusement à la
culture chinoise ou au processus de développement du pays. Cela n'a
aucun impact sur leur imagination ; elle influence plutôt leur
vision des possibilités de développement, sans le rêve. Le défi
pour la Chine dépend peut-être de cette dimension, qui n'a pas été
prise en compte jusqu'à présent.
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