Sur la carte du monde de Ross Dawson, l'Amérique du Nord est une pagaille de rouge et d'orange foncé. De l'autre côté de l'Atlantique, l'Afrique baigne dans un bleu profond, tandis que des rayures vertes et turquoise recouvrent la partie continentale de la Chine. Ces couleurs ne sont pas là sans raison. Le futurologue Dawson utilise le spectre des couleurs chaudes et froides pour dresser la carte de l'information imprimée.
La carte du « compte-à-rebours de la fin des journaux » a provoqué des remous l'an passé en prévoyant que vers 2017, les journaux américains tels que nous les connaissons seront devenus obsolètes. Le développement des technologies numériques relègue à la corbeille les supports imprimés plus vite qu'ils ne sont publiés. L'Afrique, en revanche, ne récoltera pas les bénéfices des journaux imprimés avant les années 2040. Les journaux chinois vont connaître encore quelques décennies de développement, les rayures indiquant qu'ils mourront d'abord dans les grandes métropoles comme Beijing ou Shanghai, avant de perdre de leur influence dans les plus petites villes et les zones rurales.
Alors qu'Internet et les outils qui lui sont attachés: ordinateurs de bureau, portables et tablettes sont accusés de la mort des empires de presse occidentaux, bien peu de choses n'ont encore été dites sur l'influence du web en Afrique. Les ordinateurs individuels sont rares en Afrique. Dans une liste dressée en 2008 par l'Union internationale des télécommunications, Maurice et la Namibie étaient les seuls pays africains figurant parmi les 48 premiers pays du monde en terme de nombre de propriétaires d'ordinateurs. Mais ces données passent sous silence une autre tendance, qui pourrait invalider le pronostic optimiste dressé par Dawson sur la presse imprimée en Afrique, à savoir le développement du téléphone portable.
Un continent de portables
Là où les ordinateurs portables font défaut, les téléphones mobiles comblent le vide. Equipés de la technologie 3G et d'une connexion à Internet, ils sont 16 fois plus nombreux sur le continent que les ordinateurs, d'après un rapport publié par MobileMonday.
Cette réalité a un impact important sur les communautés technologiques africaines. En 2015, l'Afrique sub-saharienne comptera plus de personnes équipées d'un accès Internet que de maison pourvue de l'électricité, et de plus en plus, les développeurs de programmes choisissent de créer des applications pour les téléphones plutôt que pour les ordinateurs. On voit fleurir les sociétés dédiées au développement des applications mobiles telles que m:Lab à Nairobi, Kenya.
Jon Gosier est à la tête d'une société appelée Appfrica Labs, dont le siège est situé à Kampala, Ouganda. Il estime que les professionnels des médias devraient garder un œil sur la vague d'applications qui déferle sur le continent. « Si vous êtes un groupe de presse en Afrique et que vous cherchez à suivre les évolutions futures, vous devez penser à vous positionner avant le virage », conseille-t-il. « Ou alors, vous resterez sur le bord de la route, comme bon nombre de groupes de presse en Occident. »
Depuis 2008 et 2009, un certain nombre de journaux américains ont suspendu leurs éditions imprimées, et les magazines hebdomadaires, pour faire face à la baisse de la publicité, ont fait des coupes dans leurs pages. C'est un tableau bien différent en Afrique, où le journalisme imprimé possède toujours une « forte composante sociale ».
Le genre d'applications qui fleurissent actuellement en Afrique rende cette transition plus compliquée. Exploiter les besoins locaux, comme le faisait Mpesa, géant des services bancaires aux particuliers, est la clé. Beaucoup pensent que les médias participatifs (dont la tendance est à l'hyperlocalisation) vont prendre le pas sur les principaux groupes d'information dans le paysage africain des applications pour téléphones portables.
« À l'heure actuelle, les médias avec un contenu de qualité sont les stations de radio et les journaux », souligne Hersman. « Le problème est qu'ils n'ont pas encore trouvé comment passer à une version purement numérique ». Pour cela, poursuit Hersman, les médias dominants devront au bout du compte séduire leur public ou plutôt offrir à leur public les moyens d'être séduits.
Les gens recherchent des moyens pour « s'engager avec les médias sur des questions qui leur semblent importantes. Le mégaphone est encore du côté des médias », explique Hersman. « Il faut se brancher sur des canaux sociaux déjà existants, et permettre aux gens ordinaires de n'avoir pas seulement un canal de lecture mais un canal de lecture et d'écriture. »
Toutefois, les possibilités offertes aux applications des médias dominants n'en sont qu'à leurs débuts. « Comment interagir avec 40 millions de personnes et conserver un équilibre, alors que tout un chacun fait des commentaires, et qu'il y a beaucoup d'interactivité, c'est ce qui n'a pas encore été trouvé. »
Défis et transformations
Tout d'abord, les smartphones posent quelques problèmes. Chaque marque a son propre langage de code. Au contraire de ce qui existe sur le web, il est impossible de construire une application pour téléphone portable pouvant fonctionner sur tous les systèmes d'exploitation. Nokia, Android de Google, iPhone, BlackBerry, Hitachi et Windows Phone 7 sont juste quelques-unes des plate-formes recherchées par les développeurs africains (Hersman qualifie la situation de « ridicule »).
De plus, la connexion Internet est loin d'être bon marché. D'après le Centre de recherche canadien sur le développement international, les coûts de l'Internet sont plus de 100 fois supérieurs au reste du monde. « Même s'il y a un accès Internet, il reste peu abordable pour le consommateur moyen, c'est inadapté », estime Gosier.
Les frais qu'évoque Gosier sont liés aux coûts pour la licence satellite, qui sont répercutés sur les consommateurs. Plus de 50 satellites sont en orbite au-dessus du continent pour fournir un accès Internet. Les réalités géographiques rendent difficiles l'installation de lignes terrestres ou de fibres optiques, qui sont potentiellement les solutions les moins coûteuses.
Mais l'obstacle principal est la durée de vie. La longévité des applications mobiles n'est pas garantie, et une application qui fonctionne sur Android aujourd'hui pourrait ne pas fonctionner sur la prochaine génération de téléphones. Car ce sont les entreprises de télécommunications mobiles, et non les fabricants, qui décident du système d'exploitation dont ils veulent équiper un téléphone. Hersman déclare que les entreprises de télécommunications mobiles en Afrique opèrent dans une « atmosphère de far west », mais que cela commence à changer. Les opérateurs de réseaux dans l'Afrique de l'Est, par exemple, commencent à mettre en commun leurs infrastructures. Les gens de la région peuvent désormais utiliser leur téléphone sans changer de carte SIM dès qu'ils franchissent la frontière d'un pays.
Pour les médias papiers cherchant à se numériser, la réponse tient peut-être dans ces puces téléphoniques. « Si j'étais à la tête d'un groupe de presse, je distribuerai du contenu en vendant une sorte de carte SIM », considère Gosier. Envoyer des données directement sur un appareil de cette manière, explique-t-il, permet de contourner la fragmentation des réseaux de téléphones portables. « Je n'ai vu personne essayer de penser à cela. Cela permettrait de délivrer du contenu grâce à l'objet que tout le monde achète en masse, à savoir la carte SIM. » |