法语词典:
中文 ANGLAIS
ACCUEIL Chine Monde Economie Culture Environnement Chinafrique Documents
  2020-03-06
 

La femme, un puissant levier de développement africain

CHINAFRIQUE  ·   2020-03-06
Mots-clés: femmes en Afrique

Christiane Bokpe Adovelande

 

Le continent africain a enregistré un taux de croissance relativement élevé au cours de la dernière décennie. Mais, quoique la contribution des femmes à cet essor ne soit plus à démontrer, les études révèlent qu’il existe encore de graves inégalités entre les sexes. 

  

À l’occasion de la Journée internationale des femmes 2020, CHINAFRIQUE a invité Christiane Bokpe Adovelande, épouse de l’Ambassadeur du Bénin en Chine, à faire le point sur les luttes et les réalisations passées, mais aussi sur ce que réserve l’avenir aux futures générations de femmes en Afrique. Titulaire d’un Master en genre, paix et sécurité, Madame Adovelande est aujourd’hui consultante en management et genre. Voici la version complète de son interview. 

  

CHINAFRIQUE : Vous êtes très investie dans les questions relatives aux femmes. Pourriez-vous nous en dire plus ? 

  

Christiane Bokpe Adovelande : Le moment où j’ai pris conscience que nous vivions dans un monde où les hommes ont tendance à prendre les décisions importantes à tous les niveaux – national, professionnel ou familial – sans tenir compte des intérêts des femmes, j’ai ressenti le besoin d’agir autant que possible pour changer cela. C’est ce qui me pousse à m’investir partout où je suis, dans les cercles féminins. 

  

J’ai foi en la force intérieure de la femme ainsi qu’en sa capacité à apporter des transformations positives dans toutes les sphères de développement de la société. Et ce potentiel est encore plus positif lorsque les femmes parviennent à se mettre ensemble pour des objectifs nobles car il y a une sorte de synergie qui naît de leur volonté d’apporter des changements. 

  

Je suis juriste d’entreprise de formation et j’ai beaucoup travaillé dans les ressources humaines. Mais après dix ans de carrière, j’ai décidé de reprendre mes études et d’obtenir une spécialisation en gestion des ressources humaines afin de répondre aux besoins du monde professionnel. Cependant, au moment de m’inscrire, j’ai pris connaissance de l’existence d’un centre de formation qui permettait de passer un Master dans le domaine du « genre ». Mon intérêt pour la cause féminine m’a donc poussée à m’inscrire au KAIPTC (Koffi Annan International Peacekeeping Training Center, Accra-Ghana, ndlr) pour suivre des études approfondies en genre et développement. 

  

Je ne suis pas pour autant une féministe parce que je suis convaincue qu’il faut d’abord un changement de mentalités, pas seulement de la gente masculine mais aussi de la gente féminine ; il faut parvenir à une sorte de consensus social pour amener les hommes à comprendre que leur rôle de chef de famille implique d’abord des responsabilités, sans que cela ne donne le droit d’écraser la femme. 

  

Le débat pour réduire les inégalités passe par le dialogue et la négociation. L’extrémisme ou le recours à la force ne peuvent pas fonctionner. 

  

Les femmes également doivent prendre conscience de leurs forces et sortir de leur zone de confort. Leur atout majeur, c’est leur détermination innée qui les pousse à mettre tout en œuvre pour atteindre leur objectif. Mais pour cela, elles ont besoin de l’appui de leur famille ou de leur partenaire. L’essentiel, c’est donc de prendre conscience que l’on peut réussir à changer sa destinée en brisant les obstacles tels que la coutume, les tabous, les discriminations de toutes sortes, etc. 

  

Quel rôle pensez-vous que les femmes jouent dans le développement économique et social en Afrique ? 

  

Sur le plan social, je voudrais d’abord parler de la femme africaine en tant que mère et épouse. Dans toutes les nations du monde, la plus petite cellule reste la famille. De fait, quand les familles sont fortes, la nation est forte. Mais la force d’une famille repose surtout sur la femme. Lorsque la femme est éduquée, cela a un impact très positif sur ses enfants parce qu’elle peut les aider dans leurs études et leurs activités. Elle est également à même de mieux conseiller son mari dans sa vie professionnelle et de mieux gérer la santé et la nutrition du foyer. 

  

En dehors de son ménage, la femme, dans sa vie publique, contribue de plusieurs manières au développement socio-économique de la nation. En Afrique particulièrement, les femmes sont très présentes dans l’agriculture, dans le commerce, dans l’artisanat ainsi que dans la fonction publique. Dans les zones rurales, beaucoup de femmes africaines travaillent aux champs au même titre que les hommes et participent ainsi à augmenter la production agricole ; ce sont encore elles qui vont sur les marchés pour vendre les produits frais et générer des revenus supplémentaires. 

  

Au Bénin, je me suis rendu compte que les femmes sont devenues très influentes socialement, de par les activités associatives qu’elles développent et par lesquelles elles ont un impact très positif sur la vie communautaire rurale et urbaine. Les associations de quartier organisent des activités artisanales qui aident les petits commerces ; elles sensibilisent les familles, en collaboration avec les ONG, pour la scolarisation des filles, l’éducation professionnelle des jeunes déscolarisés ; elles facilitent l’accès à la santé et la formation des jeunes mères, et bien d’autres choses. Les responsables de ces associations de femmes sont également très actives sur le plan politique et influencent énormément les votes des populations lors des campagnes électorales. 

  

Les femmes qui ont reçu une éducation travaillent autant dans le public que le privé, et pénètrent de plus en plus dans les secteurs qui étaient autrefois réservés aux hommes, comme l’ingénierie et la technologie. Au Bénin, je constate que de plus en plus de femmes se lancent dans l’entreprenariat avec beaucoup de succès, ce qui est le signe de leur volonté d’être financièrement autonomes. Car il est incontestable que le travail est un facteur de libération de la femme. 

  

En Afrique, il est également à noter que de plus en plus de femmes s’engagent dans les métiers du droit et dans la vie politique, contribuant ainsi à l’exercice des trois principaux pouvoirs que sont le législatif, le judiciaire et l’exécutif. 

  

Et concernant leur implication en matière de paix et de sécurité ? 

  

L’Afrique a malheureusement connu beaucoup de conflits internes. Ces guerres menacent la sécurité des populations et continuent d’entraver le développement. Encore aujourd’hui, nos pays traversent des troubles politiques durant les périodes électorales, et des groupes terroristes sillonnent les zones reculées de notre continent. Ce sont autant de réalités qui créent de l’insécurité. Dans toutes ces situations, les femmes sont celles qui souffrent le plus, parce qu’elles se retrouvent seules, après le départ des hommes au front. Elles doivent défendre leurs familles, parfois au prix de leur vie. 

  

Cependant, l’aspect le plus dévastateur des conflits sur les femmes restent les violences sexuelles et les sévices de toutes sortes dont elles sont l’objet. Malheureusement, les combattants utilisent souvent les abus sexuels comme arme de guerre. C’est cette réalité qui a conduit le Conseil de sécurité de l’ONU à adopter plusieurs résolutions relatives à la situation des femmes dans les conflits. Mais c’est principalement la Résolution 1325, en 2000, qui a d’abord permis de reconnaître l’importance de protéger les femmes et les filles contre les violences sexuelles dans les conflits armés, et renforcé la nécessité de faire participer les femmes aux processus de règlement des conflits et de consolidation de la paix. Grâce à cela, les femmes ont eu la possibilité, au cours des procédures de justice transitionnelle, d’obtenir la condamnation de ceux qui avaient perpétré des sévices sexuels contre elles. Elles ont également pu, grâce à cette résolution, être valablement représentées dans les discussions et les recherches de solutions au cours des règlements pacifiques ou des processus de désarmement. Elles ont aussi participé à la reconstruction économique des pays après la guerre. Nous devons cependant reconnaître, 20 ans après l’adoption de cette résolution, que son application est loin d’être satisfaisante. En effet, dans bien des cas, les pressions sociales et politiques sont fortes.  

  

Néanmoins, les femmes ne sont pas seulement victimes des conflits. Parfois, ces situations les poussent à travailler pour assurer la subsistance de leur famille, et l’absence des hommes leur vaut l’accès aux cercles décisionnels des collectivités locales, ou même au niveau politique lorsqu’elles sont élues. C’est ce qui explique le nombre élevé de femmes au parlement de certains pays d’Afrique de l’Est, comme l’Ouganda. 

  

De toutes façons, que cela soit légalisé ou pas, les femmes jouent un rôle incontestable dans les procédures et les négociations de paix. Les coalitions féminines ont largement influencé la signature d’accords de paix dans plusieurs conflits qui ont secoué notre continent. Les femmes usent de leur influence sociale pour jouer le rôle de médiatrices dans les crises au niveau local. Il est même arrivé que dans certains conflits civils qui se prolongeaient, les femmes soient sorties dans la rue pour manifester. 

 

Christiane Bokpe Adovelande (milieu) avec des diplomates de l'ambassade du Bénin en Chine et une interprète lors d'une célébration pour la Journée internationale des femmes le 8 mars 2019.

  

Qu’en est-il des progrès réalisés en matière d’égalité des sexes et d’autonomisation des femmes sur le continent ? 

  

Certes, des efforts ont été faits, surtout concernant les droits des femmes, puisqu’en dehors des textes de loi, les États africains ont placé l’égalité des sexes et le besoin d’autonomie des femmes au rang des politiques prioritaires de développement durable. Néanmoins, les résultats sont encore faibles dans plusieurs secteurs. 

  

Les femmes africaines sont actrices et créatrices dans tous les secteurs, sans pour autant profiter des résultats qu’elles contribuent à produire. Les hommes et les femmes ne bénéficient pas toujours des mêmes conditions et opportunités sur les plans économique, professionnel et social. Dans le secteur agricole, les femmes représentent près de 70 % de la population active mais très peu d’entre elles possèdent des terres. Dans l’administration publique, à fonction et compétence égales, les femmes sont beaucoup moins payées que les hommes. Dans le domaine du commerce, plus de la moitié des femmes actives restent dans le secteur informel et ne peuvent toujours pas créer une entreprise ou ouvrir un compte bancaire. En matière de recherche scientifique, la présence des femmes est 30 % inférieure à celle que l’on retrouve dans la plupart des pays. 

  

Pourtant, la quasi-totalité des pays africains ont ratifié la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, adoptée par les Nations unies en 1979. Plus encore, en 1995, les pays africains ont adopté le Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, relatif aux droits de la femme en Afrique. Enfin, 2015 a été déclarée année de l’autonomisation des femmes et du développement.  

  

Mais il ne suffit pas d’adopter des textes de lois ou des mesures calquées sur les modèles du colonisateur. Il faut une véritable volonté politique d’améliorer la condition de la femme en recherchant des stratégies mieux adaptées à nos réalités. Il faut également de la persévérance parce que le changement des mentalités est un processus lent, qui dure dans le temps. 

  

Je me rappelle avoir conduit une évaluation sur l’efficacité des textes de lois dans la lutte contre les inégalités de genre avec, comme cas spécifique, les lois contre la violence domestique. En dépit du fait que mon pays – tout comme la plupart des pays africains – se soit doté d’un véritable arsenal juridique destiné à punir les auteurs de violence domestique, le nombre de cas n’a pas diminué. La raison est simple : dans la société africaine, les femmes victimes de violences n’osent pas dénoncer leurs maris. Au pire, elles préfèrent recourir à l’arbitrage familial plutôt qu’à celui des tribunaux. Ainsi, c’est le chef de famille qui convoquera le couple en dernier ressort pour convaincre le mari de cesser ses abus. Voilà comment la réticence des femmes elles-mêmes, avec la pression sociale, rend difficile l’application des lois. C’est pourquoi nous devons travailler à changer les habitudes patriarcales ancrées dans la société traditionnelle africaine, plutôt que de vouloir plagier les solutions et les méthodes qui s’appliquent à la société occidentale. 

  

Il est cependant à noter que de nombreux pays africains ont fait des progrès notables pour faciliter l’accès au crédit, à la santé et à l’éducation aux femmes, et ce dernier secteur est d’ailleurs celui où les progrès les plus importants ont été enregistrés. Il faut également relever que les femmes africaines sont de plus en plus encouragées à accéder aux postes à responsabilités, que ce soit au niveau gouvernemental comme dans les parlements nationaux. 

  

Au Bénin par exemple, l’école est gratuite pour les filles depuis plus de dix ans, et les femmes n’ont plus à assumer les frais engendrés par une césarienne dans les hôpitaux publics depuis quatre ans déjà. La toute nouvelle Constitution du 1er novembre 2019 donne aux femmes un accès plus large aux fonctions politiques et à des postes au sein des institutions dirigeantes du pays. 

  

Quels sont les défis à relever ? 

  

Le principal obstacle à l’émancipation et l’autonomisation des femmes africaines, ce sont surtout les croyances et les coutumes qui les assimilent parfois à des « esclaves du mariage », régies par les traditions familiales et ethniques. Cet étau est d’autant plus serré que le droit coutumier qui est toujours discriminatoire, demeure applicable dans certaines zones rurales, en dépit des Codes des Personnes et de la Famille. En plus de ce facteur culturel, les facteurs économiques tels que la pauvreté et l’analphabétisme doivent également être pris en compte. 

  

En fait, il faut une véritable prise de conscience au plus haut niveau : la promotion de la femme dans tous les secteurs est un puissant levier de développement des économies africaines. 

  

Quels conseils avez-vous pour les jeunes femmes en ce qui concerne le développement personnel ? 

  

Les jeunes femmes doivent comprendre très tôt qu’elles peuvent prendre leur destinée en mains. Ce n’est pas un mari qui viendra tout mettre à leur disposition. Nous devons éduquer nos filles dans la réalité des défis liés à leur condition féminine et les pousser autant que possible à rechercher l’autonomie. Il est vrai qu’un mari peut parfois ouvrir des opportunités à son épouse de par son nom, sa position sociale ou sa disponibilité à aider sa partenaire à réussir. Mais si nous ne sommes pas équipées, si nous ne sommes pas habiles, nous ne pouvons pas profiter de ces avantages. Il est primordial que les femmes elles-mêmes réalisent que leur situation n’est pas une fatalité, et qu’elles peuvent changer beaucoup de choses en commençant par elles-mêmes. Généralement, les femmes africaines ne sont pas conscientes de leurs capacités et se laissent limiter par les lourdeurs de la société qui les entoure. 

  

Le mariage ne devrait pas être un obstacle à l’épanouissement de la femme. Toute femme devrait avoir la possibilité de s’adonner aux activités auxquelles elle aspire, et mener de front sa vie affective et familiale, ainsi que sa vie professionnelle, car son épanouissement personnel en dépend. 

  

Nous ne pouvons pas réclamer simplement l’égalité. Il faut l’arracher. Les efforts des Etats pour intégrer les femmes dans les divers organes ne seront pas toujours faits sur la base de quotas mais de plus en plus sur le mérite. Il faut donc que les femmes se battent pour accéder à l’éducation sous toutes ses formes et sans limitation ; qu’elles recherchent un minimum d’autonomie financière ; qu’elles se fixent des objectifs pour accéder aux postes à responsabilité sans se sous-estimer ; qu’elles s’engagent dans l’entrepreneuriat et qu’elles s’aventurent dans les secteurs et les métiers tels que les STIM (Sciences, Technologie, Ingénierie et Mathématiques, ndlr) ; enfin, qu’elles soient candidates à des postes politiques et qu’elles s’insèrent dans les hautes sphères de l’État. 

  

Face au nouveau coronavirus qui sévit en Chine, que pensez-vous des mesures prises par les autorités chinoises ? 

  

D’abord je voudrais exprimer toute ma compassion, ainsi que celle de l’Ambassade du Bénin et de la communauté béninoise en Chine, à la nation chinoise qui est frappée par cette épidémie au moment même où elle s’apprêtait à célébrer la nouvelle année. Nous déplorons les décès, mais nous nous réjouissons du nombre de guérisons qui ne cessent d’augmenter.  

  

Je dois dire que nous sommes frappés par la réactivité des autorités chinoises et l’efficacité des mesures qui ont été mises en place, notamment à Wuhan, pour limiter la propagation du coronavirus. Ces mesures énergiques sont très rassurantes pour le corps diplomatique en Chine et nous félicitons les autorités chinoises pour leur prise en charge responsable de la situation. 

  

C’est la raison pour laquelle nous avons indiqué à nos étudiants et à toute la communauté béninoise en Chine, qu’il n’était pas nécessaire à l’heure actuelle, de paniquer ou de se faire rapatrier, mais plutôt de respecter les consignes de protection et d’organisation qui sont données. 

  

Nous avons la conviction que la Chine va sortir très bientôt de cette crise. 

  

À tout le peuple chinois nous disons : Bon courage ! Zhongguo, Jiayou ! 

  

Pour vos commentaires : lixiaoyu@chinafrica.cn 

Imprimer
Lire aussi:

24 Baiwanzhuang, 100037 Beijing République populaire de Chine


京ICP备08005356号-8 京公网安备110102005860