2025-02-05 |
Des récits qui voyagent |
VOL. 17 / FÉVRIER 2025 par LI XIAOYU · 2025-02-05 |
Mots-clés: La rihla d’Ibn Battouta ; récits ; en Chine |
L’Espace d’exposition de la mémoire d’Ibn Battouta à Borj En-Naâm, à Tanger au Maroc, aouvert ses portes le 3 février 2022, pour rendre hommage à ce personnage légendaire du Moyen Âge. (PHOTOS : COURTOISIE)
Un petit cratère d’impact situé dans la mer d’Abondance, sur la face visible de la Lune, a été nommé « cratère Ibn Battouta » par l’Union astronomique internationale en 1976. Ce nom rend hommage à l’explorateur marocain Ibn Battouta, considéré comme l’un des quatre grands voyageurs médiévaux. Originaire de Tanger, sa ville natale, il consacre près de 30 ans à explorer plus de 30 pays en Afrique, en Europe et en Asie, y compris la Chine, parcourant quelque 120 000 kilomètres. En 1355, il dicte sa célèbre rihla, un récit de voyage qui suscite un vif intérêt académique grâce à la richesse de son contenu et à la pertinence de ses observations interculturelles.
La première monographie retraçant l’intégralité du processus de traduction et de publication de ce récit en Chine au cours du dernier siècle, intitulée La rihla d’Ibn Battouta en Chine, sera bientôt publiée. Comptant environ 200 000 mots, cet ouvrage est structuré en cinq sections : l’introduction de La rihla en Chine, l’origine de sa traduction, les différentes versions traduites, le processus de publication, ainsi que l’appréciation des lecteurs et l’impact international de l’œuvre. Son auteur, Wu Fugui, s’appuie sur une longue expérience dans les domaines de la diplomatie, de la recherche et de la littérature pour offrir une analyse approfondie, enrichie de perspectives historiographiques, culturelles et sociologiques. À travers ce livre, les lecteurs découvriront également la profonde affinité entre Ibn Battouta et la Chine, ainsi que les liens d’amitié qui unissent ces deux nations à travers le temps et l’espace.
Mémoire des routes
Reconnu comme spécialiste de l’arabe moderne, expert des questions liées au Moyen-Orient et ancien diplomate chevronné de Chine dans cette région, M. Wu nourrit depuis longtemps une profonde admiration pour Ibn Battouta. Cependant, c’est au cours des années 1990, pendant son mandat au Maroc, qu’il a pleinement réalisé l’importance de cette figure emblématique. L’influence d’Ibn Battouta est en effet omniprésente dans le pays : ses statues ornent musées, écoles, aéroports et théâtres, et un festival lui est même consacré. Ce respect profond, exprimé par le peuple marocain, a poussé M. Wu à étudier avec attention l’œuvre qui a consacré la renommée de cet explorateur.
M. Wu a particulièrement été captivé par l’expérience d’Ibn Battouta en Chine. Arrivé en 1345 par la Route de la soie maritime, l’explorateur marocain a visité des villes telles que Quanzhou, Guangzhou, Hangzhou et Beijing. Dans son récit, il brosse un tableau vivant de la société chinoise sous la dynastie des Yuan (1271-1368), abordant ses multiples dimensions et évoquant ses rencontres avec des mandarins, lettrés et commerçants. Il loue la stabilité politique, la prospérité économique et l’effervescence culturelle de l’époque, tout en exprimant son admiration pour les principes confucéens. Ibn Battouta met également en lumière les avancées scientifiques et technologiques de la Chine, notamment dans le domaine de la navigation. Ces observations constituent une précieuse source d’information pour les générations futures intéressées par l’histoire sociale de cette dynastie.
L’ouvrage, intitulé La rihla d’Ibn Battouta en Chine, retrace l’histoire de traduction et de publication de ce récit de voyage dans le pays au cours du dernier siècle.
La rihla en Chine
L’ouvrage La rihla d’Ibn Battouta, reconnu à l’échelle mondiale, a été traduit dans de nombreuses langues et occupe une place particulière dans le cœur des lecteurs à travers le monde. En Chine, son introduction remonte à un siècle, lorsque le professeur Zhang Xinglang traduisit et annota la section consacrée à la Chine à partir des versions allemande et anglaise en 1924. Son ouvrage, La Collection des matériaux historiques sur les échanges entre la Chine et l’Occident, publié en 1930, constitue la première version chinoise de ce récit de voyage.
En août 1985, une traduction de l’arabe vers le chinois, basée sur l’édition révisée égyptienne de La rihla d’Ibn Battouta, fut publiée pour la première fois. Son traducteur, Ma Jinpeng, éminent professeur d’arabe à l’Université de Pékin et islamologue de renom, a ainsi légué aux générations futures une œuvre majeure.
Publiée en novembre 2008 et conservée à la bibliothèque de l’Académie du Royaume du Maroc, la version chinoise de l’édition intégrale de ce chef-d’œuvre, élaborée par le professeur Li Guangbin et comprenant 1,8 million de mots, est désignée comme une « traduction emblématique ». Le 4 décembre 2009, le roi Mohammed VI a apposé sa signature sur une lettre de récompense en reconnaissance de son ouvrage de recherche relatif à cette rihla, intitulé Recherche sur le récit de voyage d’Ibn Battouta du Maroc à la Chine.
De retour en Chine, M. Wu a eu l’opportunité de rencontrer les descendants de ces trois traducteurs. Profondément marqué par l’importance de leurs contributions aux échanges amicaux entre la Chine et le Maroc, il s’est immergé dans l’étude de leurs travaux. Pendant près de dix ans, il a analysé l’essence, la qualité et la pertinence de leurs traductions à partir d’exemples concrets. « En tant qu’expert en langue arabe, il est de mon devoir de documenter les réalisations de leurs travaux de recherche afin de les transmettre aux générations futures », partage M. Wu avec CHINAFRIQUE.
Wu Fugui, spécialiste reconnu de l’arabe moderne, expert des questions relatives au Moyen-Orient, et ancien diplomate chevronné de Chine dans cette région.
Immortaliser l’héritage
Selon M. Wu, Ibn Battouta et sa rihla incarnent l’esprit des nations arabes et constituent un patrimoine spirituel universel. La statue de l’explorateur, exposée au Musée maritime de Quanzhou, dans la province chinoise du Fujian, illustre cette reconnaissance. En compilant et analysant méthodiquement les recherches académiques chinoises sur ce sujet, M. Wu ambitionne de renforcer l’amitié sino-marocaine et de promouvoir les échanges ainsi que l’inspiration mutuelle entre les civilisations chinoise et arabe.
Depuis l’établissement des relations diplomatiques entre la Chine et le Maroc en 1958, les deux nations entretiennent une amitié traditionnelle solide. Le célèbre voyageur Ibn Battouta et son récit de voyage, véritables ponts culturels entre les deux pays, sont régulièrement évoqués lors des rencontres bilatérales. Ainsi, ils furent mentionnés lors de la visite du Premier ministre Zhou Enlai au Maroc en 1963, et plus récemment, lors de celle du roi Mohammed VI en Chine en 2016.
Le Président chinois Xi Jinping a lui aussi salué la mémoire d’Ibn Battouta à plusieurs reprises, le décrivant comme un « ambassadeur bienveillant » des échanges entre la Chine et le monde arabe, et une figure marquante de la Route de la soie maritime. Il a souligné l’importance pour les peuples chinois et marocain de collaborer pour perpétuer et faire rayonner l’esprit d’Ibn Battouta, tout en approfondissant leurs relations bilatérales dans la nouvelle ère.
M. Wu prévoit de créer une agence de voyage sino-marocaine, dédiée à la mise en place de circuits thématiques en hommage à Ibn Battouta pour les touristes chinois. Cette initiative vise à renforcer les liens entre les secteurs touristiques et culturels des deux pays. Selon lui, la politique marocaine d’exemption de visa pour les visiteurs chinois, associée à la réouverture de la ligne aérienne directe entre Casablanca et Beijing, dynamise ces échanges.
M. Wu se remémore encore sa première visite à Tanger, où il s’était recueilli en hommage au célèbre explorateur marocain. En se tenant sur les lieux où Ibn Battouta entama son pèlerinage, il eut l’impression de revivre ce moment historique, imaginant l’explorateur, il y a plus de 600 ans, s’élancer dans un périple extraordinaire à travers le monde. Aujourd’hui, ce souvenir nourrit son désir de suivre les traces d’Ibn Battouta en renforçant les échanges humains et culturels entre la Chine et le Maroc.
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