2025-06-03 |
La carte et la boussole |
VOL. 17 / JUIN 2025 par ZHANG CHUN · 2025-06-03 |
Mots-clés: Agenda 2063 de l’Union africaine ; intégration |
Célébration à Beira de la première opération commerciale du Mozambique dans le cadre de la ZLECAf, le 27 avril. (SECRÉTARIAT DE LA ZLECAF)
Lancé par l’Union africaine (UA), l’Agenda 2063 constitue une feuille de route d’une durée de 50 ans, conçue pour porter l’Afrique vers un développement socio-économique à la fois inclusif et durable. Structuré en cinq plans de mise en œuvre décennaux, ce vaste projet a connu une première phase de 2014 à 2023 ; la deuxième, désormais en cours, couvre la période 2024-2033. Sur le plan thématique, l’Agenda repose sur sept aspirations, chacune déclinée en objectifs précis visant à conduire le continent vers l’ambitieuse vision de 2063.
Au cœur de cette ambition se trouve l’Aspiration 2 : « Un continent intégré, uni sur le plan politique et ancré dans les idéaux du panafricanisme et la vision de la renaissance africaine. » Cette noble quête se traduit en actions concrètes articulées autour de trois grands axes.
Le premier appelle à une Afrique unie, moteur d’une intégration continentale renforcée, favorisant une croissance durable, un commerce dynamique, la libre circulation des biens et services, ainsi qu’une mobilité sans entrave des personnes et des capitaux – avec la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) comme socle central.
Le deuxième vise à édifier des infrastructures de classe mondiale à l’échelle continentale, en misant sur une meilleure connectivité grâce à des projets d’envergure dans les domaines ferroviaire, routier, maritime et aérien, tout en accélérant l’interconnexion énergétique et numérique du continent.
Le troisième, plus politique, revendique une décolonisation achevée : il s’agit d’effacer les derniers vestiges coloniaux, de libérer les territoires occupés et de défendre le droit à l’autodétermination, notamment pour l’archipel des Chagos, l’île comorienne de Mayotte et le Sahara occidental.
Des avancées concrètes
Depuis son lancement, l’Agenda 2063 a connu des progrès tangibles. Sur le front de la décolonisation, 2024 a été marquée par un « accord de principe » entre l’île Maurice et le Royaume-Uni en vue de la rétrocession de l’archipel des Chagos – un tournant historique, encore en attente de confirmation officielle.
Sur le plan économique, la ZLECAf, entrée en vigueur le 1er janvier 2021, affiche des débuts prometteurs, en dépit des turbulences liées à la pandémie. Selon les chiffres du Fonds monétaire international, le commerce extérieur africain a bondi de 81,39 % entre 2020 et 2022, passant de 780 milliards à 1 400 milliards de dollars. Le commerce intra- africain, quant à lui, a progressé de 124,3 milliards à 209,1 milliards de dollars, un signal fort du potentiel d’intégration économique.
Institutionnellement, l’UA a engagé une réforme structurelle, inspirée du rapport présenté par le Président rwandais Paul Kagame en 2017. Une première phase a permis de consolider l’architecture africaine de paix et de sécurité. En février 2024, le Président kényan William Ruto a succédé au Président Kagame en tant que champion des réformes de l’UA, amorçant une nouvelle étape stratégique.
En matière d’infrastructures, les résultats sont également notables : entre 2005 et 2022, le stock global d’infrastructures du continent a presque doublé. Si la croissance dans les transports reste mesurée, les infrastructures énergétiques ont augmenté de 60 % et celles des TIC ont explosé, multipliées par près de 46.
En approfondissant la mise en œuvre de l’Aspiration 2, on constate que ses objectifs étaient initialement regroupés sous l’intitulé des « Trois connectivités ». La Coordination des politiques (Objectif 8), visant à établir un cadre de gouvernance unifié et à guider l’Afrique vers une confédération ou une fédération, a atteint un taux d’exécution remarquable de 98 % selon le rapport d’étape 2022 de l’UA – contre seulement 12 % en 2019. Le lancement de la ZLECAf en est un jalon majeur. L’Intégration financière (Objectif 9), qui vise la création d’institutions financières continentales comme une Banque centrale africaine ou une Bourse panafricaine, affichait un taux de réalisation de 92 % en 2019. Toutefois, le rapport de 2022 ne fournit pas de données chiffrées à ce sujet, en raison d’un changement méthodologique. La Connectivité des infrastructures (Objectif 10), dédiée au développement de réseaux d’envergure, notamment ferroviaires, routiers et aériens (notamment le Marché unique du transport aérien en Afrique – MUTAA), a atteint un taux de 70 % en 2022, contre 29 % en 2019, avec une progression rapide dans le transport aérien, les communications mobiles et la couverture Internet.
Des passagers s’enregistrent au terminal 3 de l’aéroport Abeid Amani Karume, construit par la Chine, à Zanzibar, en Tanzanie, le 10 décembre 2024. (XINHUA)
Les défis de l’intégration
Cependant, la réalisation globale de l’Agenda 2063 progresse plus lentement que prévu, d’où une approche plus prudente et ciblée dans le deuxième Plan décennal de mise en œuvre. Si l’objectif fondamental – une Afrique plus intégrée et connectée – demeure central, sa concrétisation s’oriente désormais selon deux axes stratégiques. Le premier vise à renforcer les cadres de mise en œuvre continentaux et à accélérer l’adoption nationale des accords liés à l’Agenda 2063, avec une attention particulière à l’opérationnalisation de la libre circulation des personnes, de l’Union monétaire africaine et du MUTAA. Le second cherche à accroître la connectivité par des objectifs concrets : achever au moins 80 % des réseaux routiers prévus et 50 % des réseaux ferroviaires, garantir à 80 % de la population africaine un accès à un Internet d’au moins 6 Mb/s, et créer un marché numérique africain unifié.
Cette nouvelle phase a profondément réorganisé les objectifs de l’Aspiration 2. L’Objectif 8 conserve une portée continentale, mais son centre de gravité se déplace vers les infrastructures. L’Objectif 9 est intégré dans un ensemble plus vaste lié à la croissance économique. Quant à l’Objectif 10, il devient la pierre angulaire de la stratégie, porté par trois projets emblématiques : le passeport de l’UA et la libre circulation des personnes, le MUTAA, et le Réseau intégré de trains à grande vitesse africains. Ce glissement des « Trois connectivités » vers une focalisation sur les infrastructures illustre une inflexion stratégique nette : faire de la connectivité physique le levier de l’unité politique, dans un contexte marqué par de fortes contraintes.
Cette réorientation et les difficultés rencontrées traduisent une dynamique complexe, où se conjuguent pressions internes et incertitudes extérieures. Sur le plan intérieur, l’élan panafricain a changé de visage : des mouvements de libération aux puissances régionales, puis aux États de taille moyenne devenus de nouveaux moteurs de l’intégration. Le passage de relais entre le Rwanda et le Kenya sera observé avec attention, tant il symbolise un test de continuité dans l’impulsion politique.
Les tensions budgétaires pèsent lourdement, exacerbées par une série de crises – sanitaire, climatique, financière – qui grèvent les capacités de financement. Si des rencontres telles que le Sommet de Beijing 2024 du Forum sur la Coopération sino-africaine offrent des ouvertures, les marges budgétaires resteront probablement étroites à court terme.
La situation sécuritaire, elle, reste préoccupante. Les attaques terroristes récurrentes et la dégradation de l’ordre public dans certaines régions sapent la confiance des investisseurs et ralentissent la mise en œuvre des projets.
À l’échelle mondiale, les recompositions géopolitiques et le regain de protectionnisme dans certaines puissances occidentales restreignent l’autonomie stratégique de l’Afrique et compliquent les trajectoires d’innovation. L’incertitude économique, amplifiée par une reprise fragile et des tensions internationales, ajoute à la difficulté.
Dans ce contexte, les principes d’égalité, de respect mutuel et de coopération gagnant-gagnant – piliers du partenariat sino-africain – offrent un socle relativement stable pour l’action extérieure. Ils permettent aux pays africains de préserver leur flexibilité stratégique dans un environnement mouvant, tout en continuant à tracer des voies concrètes vers l’unité et la renaissance du continent.
ZHANG CHUN, professeur à l’Institut des relations internationales de l’Université du Yunnan
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