2025-06-03 |
Itinéraire d'une reconquête |
VOL. 17 / JUIN 2025 par GE LIJUN · 2025-06-03 |
Mots-clés: entreprises exportatrices ; marché intérieur |
Des visiteurs parcourent et sélectionnent des produits lors de la Tournée en Chine des produits de qualité du commerce extérieur, à Wuhan, dans la province du Hubei, le 26 avril. (XINHUA)
En flânant récemment sur certaines plateformes d’e-commerce ou entre les rayons des supermarchés, de nombreux consommateurs chinois ont vu apparaître un nouvel espace : celui des « produits de qualité issus du commerce extérieur ».
Ce changement, loin d’être anecdotique, s’inscrit dans un contexte tendu. Depuis avril, alors que les États-Unis renforcent les hausses tarifaires sur les produits chinois (mesure largement assouplie après des négociations entre les deux parties à la mi-mai), les entreprises exportatrices se trouvent face à des défis inédits. Pour amortir le choc et faciliter leur redéploiement, plusieurs gouvernements locaux, en partenariat avec les grandes plateformes numériques, ont lancé une série d’initiatives. Objectif : relier ces entreprises au marché intérieur, en organisant des événements de mise en relation, en publiant des politiques de soutien et en renforçant les services d’accompagnement – une inflexion stratégique porteuse d’opportunités.
Des soutiens venus à temps
Lorsque les surtaxes américaines sont tombées, le coup fut rude pour Silver Phoenix, entreprise céramiste depuis plus de 60 ans, dont 40 % du chiffre d’affaires dépend du marché américain.
« C’est la première fois que je me retrouve avec des marchandises valant plusieurs millions de dollars bloquées en entrepôt », confie Zhang Bin, responsable commercial fort de trois décennies d’expérience à l’export. Alors que la situation paraissait inextricable, un appel providentiel de JD.com a changé la donne. Moins de 24 heures plus tard, un agent de la plateforme se présentait sur place pour l’aider à ouvrir une boutique en ligne.
Silver Phoenix n’est pas un cas isolé. Sous l’impulsion du ministère du Commerce, plusieurs géants du numérique ont mis en place des politiques d’accompagnement pour réorienter les produits d’exportation vers la consommation nationale. JD.com, par exemple, s’est engagée à acheter pour au moins 200 milliards de yuans (28 milliards de dollars) de marchandises sur 12 mois. Résultat : des entreprises autrefois tournées exclusivement vers l’international découvrent un marché domestique foisonnant.
Pour s’adapter aux goûts locaux, Silver Phoenix a constitué une équipe dédiée à l’e-commerce, chargée d’analyser les tendances et de proposer des « box surprises » aux jeunes consommateurs. Aujourd’hui, l’entreprise est présente sur plus de dix plateformes, avec une trentaine de clients chinois ayant déjà commandé des séries personnalisées.
Selon le ministère, 15 principales plateformes ont lancé huit types d’initiatives – achats directs, rencontres fournisseurs-acheteurs, soutien logistique, etc. Plus de 20 000 usines exportatrices ont ainsi été mises en contact, et environ 2 600 d’entre elles ont ouvert une boutique en ligne. Début mai, les ventes cumulées sur ces espaces dépassaient les 600 millions de yuans (83 millions de dollars).
Le commerce physique n’est pas en reste. Le 7 avril, Yonghui Superstores a annoncé l’ouverture d’un « canal vert » pour les entreprises touchées par les restrictions à l’export : mise en rayon rapide, campagnes marketing, co-développement de produits, entre autres.
Parmi les premiers à réagir, Mu Longsheng, dirigeant d’une entreprise de brosses à dents et de fils dentaires. Avec 80 % de son activité tournée vers l’étranger, il a vu ses commandes américaines s’effondrer. Le jour même, il contacte Yonghui. Une semaine plus tard, un accord préliminaire est signé. Son entreprise discute désormais d’une production sous marque distributeur.
Le 13 avril, lors de la 5e Exposition internationale des produits de consommation à Haikou (Hainan), le ministère du Commerce a lancé la Tournée en Chine des produits de qualité du commerce extérieur. Cette initiative, ciblant dix provinces stratégiques, vise à mieux intégrer commerce intérieur et extérieur, avec un accent sur les biens de consommation courante.
À Nanjing (Jiangsu), lors d’un salon organisé dans ce cadre, l’entreprise Nantong Shield Bags, présente sur les marchés américain, européen et japonais depuis 1998, a écoulé presque toute sa gamme de 400 modèles en quelques heures. Séduites, des plateformes comme JD.com, Taobao & Tmall Group et Freshippo ont aussitôt manifesté leur intérêt pour nouer des partenariats.
Au 2 mai, dix régions – dont Shanghai, le Sichuan et le Jiangsu – avaient déjà organisé des salons similaires. Selon les premières données, plus de 2 400 entreprises exportatrices et 6 500 acheteurs y ont participé, générant des intentions d’achat totalisant 16,76 milliards de yuans (2,3 milliards de dollars).
Le rayon des produits d’exportation attire les consommateurs dans un supermarché de Beijing, le 25 avril. (CNSPHOTO)
Un pari sur l’avenir
Si cette réorientation vers le marché domestique s’est d’abord imposée dans l’urgence, les experts y voient désormais une stratégie à long terme.
D’après le Bureau national des statistiques, la Chine a enregistré en 2024 un total de 48 789,5 milliards de yuans (6 730 milliards de dollars) de ventes au détail de biens de consommation, en hausse de 3,5 % par rapport à l’année précédente. Une dynamique qui témoigne de la vigueur du pouvoir d’achat domestique, et qui constitue un terrain propice pour les entreprises exportatrices en quête de réorientation.
Selon des données relayées par le Quotidien du Peuple, près de 85 % des centaines de milliers d’entreprises tournées vers l’export développent désormais aussi des ventes sur le marché intérieur, qui représentent déjà 75 % de leur chiffre d’affaires. Une mutation discrète mais profonde est en marche : ces entreprises étendent leur empreinte domestique, investissent dans la construction de marques et s’efforcent de poser les fondations d’une croissance pérenne.
Le chemin, cependant, est semé d’embûches. Le premier obstacle ? Une notoriété de marque encore trop faible. Longtemps, les entreprises exportatrices ont fonctionné sur commande, sans jamais se soucier de l’image projetée auprès du consommateur. Zhang Jing, directrice générale de Sichuan Qianpinen Trading, l’illustre bien : « Nos pains et biscuits s’exportent bien en Europe et en Amérique du Nord, mais en Chine, la notoriété de notre marque est quasi nulle. » Pour gagner en visibilité, elle a pris l’initiative de contacter Hongqi Chain, misant sur le réseau des supermarchés physiques pour toucher rapidement les consommateurs.
Autre transformation majeure : l’évolution du modèle de commande. Passer de commandes massives à une multitude de petites commandes suppose une réorganisation complète de la chaîne d’approvisionnement. Fini la production en série sur chaînes automatisées : il faut ajuster les lignes, réintroduire de la main-d’œuvre et raccourcir les délais.
« On doit se préparer à une ère de petites commandes fréquentes. À terme, on ne pourra écouler les stocks qu’en s’appuyant sur la vente en ligne », estime Teng Buxiang, responsable de Zhongxin Environmental Protection Technology. Une mutation qui pousse de nombreuses entreprises à adopter un modèle hybride : une unité de production centralisée couplée à une équipe dédiée à l’exploitation des plateformes numériques.
À ces défis s’en ajoute un autre, plus discret : les écarts entre normes nationales et internationales. Dans le textile, notamment, les standards européens ou américains s’avèrent souvent plus exigeants que ceux en vigueur en Chine. « Les entreprises souhaitant conserver une présence sur les deux marchés doivent adapter leurs chaînes de production, ce qui alourdit les coûts », explique Cheng Weixiong, expert de l’industrie textile. Pour y remédier, les autorités agissent. Le ministère du Commerce a lancé une initiative visant à rapprocher les normes chinoises et étrangères, en menant des études comparatives et en favorisant l’harmonisation des certifications.
En définitive, réussir cette transition suppose une montée en gamme sur trois fronts : passer de la sous-traitance à la conception, de la guerre des prix à la quête de qualité, et de la dépendance aux plateformes à une stratégie de marque affirmée.
Pour les experts, cette stratégie s’inscrit pleinement dans la logique de la « double circulation », qui renforce les liens entre marché intérieur et commerce international. Le 25 avril, le Bureau politique du Comité central du Parti communiste chinois a réaffirmé sa volonté d’une ouverture de haut niveau. En misant sur le marché domestique, les entreprises exportatrices gagnent en valeur et en résilience, renforçant leur position à l’international.
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