Un livreur circule dans les rues de Binzhou, dans la province du Shandong, le 29 janvier. (PHOTOS : XINHUA)

Un simple clic sur votre téléphone, en chemin vers le travail, et votre café habituel vous attend déjà au bureau. Tandis que vous vous préparez pour une sortie en soirée, un nouveau fond de teint vous parvient en moins de 30 minutes, sans passer par la boutique. Lors d’un pique-nique dominical, les friandises pour animaux arrivent aussi aisément que le déjeuner. Vous vous réveillez à 2 heures du matin avec un enfant fiévreux ? Des médicaments vous sont livrés dans les minutes qui suivent. Tel est le quotidien rendu possible par un modèle commercial en pleine expansion en Chine, baptisé « commerce instantané ».

Évolution naturelle de la livraison de repas, le commerce instantané étend le service à pratiquement tous les produits de consommation. En combinant commandes en ligne et logistique locale ultra-rapide, il tisse un lien direct entre plateformes numériques et commerces physiques, s’appuyant sur des réseaux de livraison efficaces pour acheminer les marchandises en 30 à 60 minutes. Grâce à sa rapidité, sa flexibilité et la diversité de ses offres, il s’impose comme une composante essentielle de la vie urbaine et redéfinit les contours du commerce de détail.

Selon le Rapport 2024 sur le développement de l’industrie du commerce instantané, publié par l’Académie chinoise du commerce international et de la coopération économique (relevant du ministère du Commerce), le marché chinois du commerce instantané a atteint 650 milliards de yuans (89 milliards de dollars) en 2023, enregistrant une progression annuelle de 28,89 %, un rythme bien supérieur aux 11 % de croissance observés dans le commerce de détail en ligne. Le rapport prévoit que cette dynamique se maintiendra dans les années à venir, avec un marché appelé à dépasser les 2 000 milliards de yuans (274 milliards de dollars) d’ici 2030.

« Le commerce instantané est perçu comme un moteur clé de la croissance du secteur du commerce de détail », explique Hong Yong, chercheur associé à l’Institut du commerce électronique de l’Académie. Selon lui, au-delà d’une expérience client améliorée, ce modèle accélère la transition numérique des commerces traditionnels en intégrant harmonieusement les canaux physiques et en ligne.

Un nouveau champ de bataille

Le 15 avril, Meituan a officiellement lancé sa marque de commerce instantané, Meituan Shangou (« Achat éclair »), présentée comme une plateforme disponible 24h/24 pour répondre à la demande croissante de livraisons en moins de 30 minutes. Selon Xiao Kun, vice-président de Meituan, les commandes non alimentaires dépassent 18 millions par jour, avec une hausse de la fidélité et de la fréquence d’achat, notamment pour les produits frais, les boissons ou l’électronique.

Le réseau de mini-entrepôts de Meituan – ces centres de distribution implantés au plus près des consommateurs – compte aujourd’hui 30 000 sites, un chiffre appelé à dépasser les 100 000 d’ici 2027.

Lancée à titre expérimental en 2018, Meituan Shangou a vu ses commandes d’électronique grand public atteindre en 2024 près de 40 % du volume de JD.com. Cette année-là, Meituan a renforcé son partenariat avec Suning, en proposant la livraison et l’installation de climatiseurs en moins de deux heures – une initiative clé avant le lancement officiel de sa marque.

Alors que Meituan accélère son expansion dans les produits numériques – informatique, téléphonie, électronique –, JD.com, jusque-là leader incontesté de l’e-commerce, réplique en s’attaquant à la livraison alimentaire, terrain de prédilection de Meituan.

Quelques heures à peine après le lancement de Meituan Shangou, JD.com dévoilait sa propre plateforme de commerce instantané : Miaosong (« Livraison en secondes »). Celle-ci s’appuie sur un vaste réseau de plus de 100 000 magasins physiques affiliés à JD.com à travers tout le pays, assurant, selon l’entreprise, une livraison moyenne en moins de 30 minutes.

JD.com affirme livrer plus de cinq millions de commandes alimentaires par jour et prévoit de recruter plus de 50 000 livreurs supplémentaires au deuxième trimestre, dans le but d’élargir encore la portée de son service.

Ces investissements portent leurs fruits : le 24 avril, JD.com annonçait que Miaosong traitait plus de dix millions de commandes par jour dans 166 villes chinoises. Cette rivalité féroce entre Meituan et JD.com propulse le commerce instantané à de nouveaux sommets.

Chargement de commandes dans un véhicule autonome, à l’entrepôtde commerce instantané dans l’arrondissement de Shunyi à Beijing, le 22 août 2023.

Un jeu à plusieurs joueurs

Le commerce instantané ne se limite pas à une rivalité entre géants. D’autres acteurs majeurs s’y engagent, comme Douyin (version chinoise de TikTok), qui a lancé la fonction « Livraison à l’heure », alliant vidéos et achats en temps réel. En 2024, le volume de marchandises livrées via ce service a bondi de plus de 50 %.

Le géant de l’e-commerce Alibaba, de son côté, s’appuie sur sa filiale de livraison Ele.me pour jouer un rôle de premier plan. En partenariat avec des supermarchés et commerces de proximité, il propose des services express en soirée, notamment pour la livraison de médicaments et de produits de commodité.

Sous la pression croissante des plateformes numériques, les commerçants traditionnels n’ont d’autre choix que de se réinventer. Certains créent leurs propres écosystèmes de commerce instantané, à l’image de Sam’s Club, qui a adopté un modèle d’entrepôt de proximité, permettant des livraisons dans un rayon de six kilomètres autour de ses points de stockage.

Sur le front logistique, l’entreprise SF Express ambitionne de devenir l’« infrastructure de nouvelle génération » de ce marché à mille milliards de yuans. Déjà partenaire de plateformes telles que Douyin, Tmall (Alibaba) ou Weixin (WeChat), elle facilite notamment les livraisons à l’heure issues des ventes en direct de Douyin.

L’essor fulgurant du commerce instantané répond à une attente croissante : celle de remplacer la livraison en 24 heures par une réception en quelques minutes. Il contribue aussi à revitaliser les points de vente physiques. À titre d’exemple, la marque japonaise Muji a vu ses commandes en ligne multipliées par 68 en une seule semaine après avoir rejoint la plateforme Meituan Shangou.

Un appui politique

Ce modèle instaure une dynamique « gagnant-gagnant-gagnant » entre plateformes, commerçants et consommateurs, souligne M. Hong, contribuant à stimuler la consommation intérieure et à soutenir l’expansion de l’économie domestique.

Dans cette dynamique, de nombreuses autorités locales font du commerce instantané une priorité. Shenzhen, dans la province du Guangdong, l’a intégré à son plan d’action 2025. D’ici 2026, la ville prévoit d’aider plus de 40 000 commerçants à se lancer en ligne, de faire émerger cinq plateformes dépassant chacune 5 milliards de yuans (714 millions de dollars) de ventes annuelles, et de soutenir au moins 30 entreprises au-delà des 100 millions de yuans (14,2 millions de dollars).

Shenzhen mise sur une infrastructure logistique de pointe pour atteindre ces objectifs : technologies avancées, drones, systèmes optimisés par l’intelligence artificielle… autant d’atouts qui raccourcissent les délais de livraison et augmentent l’efficacité du service.

Selon l’Institut de développement intégré de Shenzhen, la diversité des profils de consommateurs et des scénarios d’achat offre un terrain particulièrement propice au développement de ce secteur, dont le potentiel de croissance est estimé entre 25 % et 35 %.

« Le marché devient de plus en plus concurrentiel, et les plateformes ne cessent d’améliorer leurs services », constate M. Hong. « Pour se démarquer, il faudra miser sur une expérience utilisateur fluide, une couverture étendue et une chaîne d’approvisionnement performante. »

Il appelle par ailleurs les pouvoirs publics et les associations professionnelles à mettre en place des normes claires et une régulation équitable, indispensables pour garantir les droits des consommateurs et libérer pleinement le potentiel du commerce instantané.

ZHANG SHASHA, journaliste de Beijing Review