2025-10-09 |
À hauteur d'animal |
VOL. 17 / OCTOBRE 2025 par CAO NAIYU · 2025-10-09 |
Mots-clés: exploration scientifique ; hommage vibrant à la vie sauvage |
Acacias dans la savane africaine. (LIU JIWEN)
Alors que 1,5 million de gnous transpercent la brume matinale de la vallée du Grand Rift est‑africain, et que les rugissements des lions se mêlent aux hennissements des zèbres sous les acacias clairsemés, cette terre dévoile la vie dans ce qu’elle a de plus brut : majestueuse et fragile.
De juillet à septembre, la grande migration déferle sur la savane avec une régularité presque rituelle. Des millions d’herbivores forment un fleuve tonitruant, du Serengeti, en Tanzanie, au Masai Mara, au Kenya, en quête d’eau et de verdure. Ce ballet immémorial se perpétue depuis plus d’un million d’années.
Pour Liu Jiwen, de l’équipe scientifique du Musée zoologique national de Chine, ces scènes sont bien plus que des images. Jeune chercheuse à l’Académie chinoise des sciences, elle a exploré à six reprises le continent africain, s’imprégnant du souffle du vivant.
Des éléphants du Serengeti aux hippopotames au crépuscule, sa caméra saisit les battements de la savane. Les données qu’elle récolte nourrissent la recherche comportementale et renforcent les liens de coopération écologique entre la Chine et l’Afrique.
Entre science et récit
Mme Liu décrit son engagement comme une manière de « s’appuyer sur les épaules de ceux qui nous ont précédés ». Récemment, elle a donné une conférence intitulée Retour en Afrique, dans le cadre de la série de conférences Tso‑hsin, pour partager avec le grand public le récit vibrant de son immersion sur le terrain.
Cette série rend hommage à Cheng Tso‑hsin, pionnier de l’ornithologie chinoise, qui abandonna en 1930 une carrière prometteuse à l’étranger pour servir son pays. Après deux décennies de recherches, il publia en 1947 le Répertoire des oiseaux de Chine, brisant le monopole occidental et posant les bases de l’ornithologie moderne en Chine.
Il poursuivit son œuvre avec des ouvrages comme Voler avec les oiseaux, éveillant chez les jeunes Chinois le goût de l’exploration et du devoir national. Cette tradition, mêlant science et transmission, inspire encore aujourd’hui des chercheurs comme Mme Liu.
Lors de sa conférence, Mme Liu a donné chair à la science par des exemples concrets : la chasse collective des lions, les savoirs des Maasaï capables de suivre les rhinocéros migrateurs, une sagesse en harmonie avec la nature. Ces récits transfrontaliers et inter-espèces deviennent des passerelles pédagogiques, rappelant que « la science n’a pas de frontières, et que l’écologie appelle une empathie partagée ».
Traversée d’une rivière par les gnous pendant la grande migration. (LIU JIWEN)
Une épopée de survie
La grande migration d’Afrique de l’Est est une odyssée saisissante. Chaque année, plus d’un million de gnous, de zèbres et de gazelles entament un périple de près de 3 000 km. En plus des embuscades tendues par les lions ou les léopards, ils affrontent les eaux infestées de crocodiles de la rivière Mara. En raison de sa dangerosité extrême, cette traversée est surnommée avec poésie « le passage vers le paradis ».
Jusqu’en octobre, leur marche vers le nord se poursuit, avant un retour vers le Serengeti. Malgré un taux de mortalité avoisinant 30 %, une étonnante harmonie émerge : zèbres, gnous et gazelles broutent chacun leur strate, formant une « moissonneuse écologique » en perpétuel mouvement.
Pour Mme Liu, la faune compose ici un système d’interdépendance intime. « Les gnous sont souvent surnommés le grenier de l’Afrique », explique-t-elle, soulignant leur rôle structurant dans la subsistance des carnivores. « Leur présence influe directement sur d’autres espèces, notamment par la compétition avec les antilopes pour l’accès au pâturage. »
Les routes migratoires elles-mêmes agissent comme des artères vivantes. Les prairies du Serengeti, abreuvées par la saison des pluies, et les oasis du Masai Mara en saison sèche, fonctionnent comme des relais vitaux. Même la poussière soulevée par les sabots des troupeaux en mouvement contribue à former les nuages, influençant les précipitations. Cette grande chaîne du vivant illustre un cycle vertueux dans lequel la savane nourrit ses habitants tout en se laissant façonner par eux.
Liu Jiwen lors de sa conférence Retour en Afrique. (CAO NAIYU)
Une vigilance partagée
Au cours de la dernière décennie, la Chine et l’Afrique ont intensifié leur coopération en matière de protection écologique. En mai 2013, l’Académie chinoise des sciences a approuvé la création, au Kenya, du Centre de recherche conjoint Chine-Afrique, première institution scientifique et éducative de la Chine dans un pays en développement. Depuis, ce centre œuvre pour préserver la biodiversité et promouvoir une utilisation durable des ressources biologiques à travers le continent.
Au cœur de cette collaboration s’impose un principe : la vigilance partagée. Ce cadre s’étend des infrastructures au développement communautaire, en intégrant la protection à chaque étape. Les grands projets chinois s’ancrent dans une approche fondée sur le principe « l’écologie d’abord ».
Mme Liu cite en exemple la ligne ferroviaire à écartement standard Mombasa‑Nairobi, conçue selon des normes chinoises. Son tracé intègre des dispositifs de protection de la faune : réduction du bruit, passages spécialement aménagés pour les animaux, autant de mesures visant à concilier progrès et préservation.
La Chine a également mis en place un modèle de lutte contre le braconnage fondé sur deux piliers : la surveillance par drones et la diversification des revenus. Grâce à l’écotourisme, aux coopératives artisanales ou aux postes d’observation, les communautés transforment la nature en alliée plutôt qu’en contrainte.
À la fin de sa conférence, Mme Liu a confié : « En vérité, aucun d’entre nous ne possède la Terre. Nous avons simplement la chance de cohabiter avec les autres êtres vivants. La valeur de la coopération sino‑africaine est là : elle nous rappelle que voyager en Afrique n’est pas une échappatoire à la vie urbaine, mais un retour à l’essentiel, à ce qui nous relie au vivant. »
Sous la lumière dorée de la savane, dans le silence à peine troublé par les pas des gnous et la silhouette dentelée des acacias, ses mots résonnent comme un écho à la migration. Celle‑ci n’est pas seulement une épreuve pour les troupeaux : elle est un appel lancé à l’humanité, pour qu’elle retrouve sa juste place dans le cycle éternel de la vie.
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