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Des étudiants camerounais se pressent pour répondre à une question posée par un professeur chinois de l'Institut Confucius |
Annie Sonwa veut être médecin. Elle a donc décidé de s'inscrire à un programme de formation en chinois.
Ce n'est pas aussi étrange qu'il n'y paraît. Beaucoup de jeunes Camerounais veulent étudier la médecine en Chine, et apprendre la langue est un grand atout. « Si je ne peux pas partir en Chine, je pourrai facilement trouver du travail ici », explique la jeune fille, étudiante à l'Institut Confucius de l'Université de Yaoundé II. « Il y a beaucoup d'entreprises chinoises au Cameroun et dans d'autres pays africains. Chaque semaine, des hommes d'affaires viennent à l'Institut pour chercher des étudiants parlant couramment le chinois. »
La langue et la culture chinoises sont devenues très populaires au Cameroun, où les étudiants se pressent pour les étudier.
Les Instituts Confucius sont similaires au British Councils ou à l'Alliance Française. Nommés après Confucius, le célèbre philosophe chinois qui a vécu de 551 à 479 avant J.-C. et a fondé l'école de pensée appelée Confucianisme, ces instituts sont des organisations non-lucratives destinées à enseigner la langue et la culture chinoises et à contribuer aux échanges culturels dans le monde.
L'Institut Confucius de Yaoundé II est le premier au Cameroun. Faisant partie de l'Institut de relations internationales du Cameroun (IRIC), il joue un rôle important dans le rapprochement culturel et la meilleure compréhension entre les deux pays.
Initiés en 1995, les projets pour établir l'Institut Confucius du Cameroun n'ont cependant abouti à une ouverture officielle qu'en 2007, explique Yu Guoyang, directeur de l'Institut. Créé en partenariat entre l'Université de Yaoundé II et l'Université normale supérieure du Zhejiang, cet Institut Confucius est co-dirigé par les recteurs des deux universités.
Le financement est également pris en charge par les deux parties, explique le professeur Oumarou Bouba, recteur de l'Université de Yaoundé II et directeur de l'Institut Confucius. « L'Institut est essentiellement financé par les deux parties : l'Université de Yaoundé, à travers l'IRIC, et le HANBAN (le siège social des Instituts Confucius, affilié au Ministère chinois de l'Éducation). Outre ces financements, l'Institut s'auto-finance aussi en partie, notamment grâce aux frais de scolarité ».
L'Institut Confucius a établi des cours de chinois dans plusieurs universités et écoles primaires et secondaires au Cameroun. Avec moins de 200 étudiants la première année, il a connu une augmentation d'environ 1 000 étudiants par an, atteignant un record de 8 000 apprenants en 2014.
« Je pense que la décision de Paul Biya (le président camerounais) de créer l'Institut Confucius en 2007 venait à point nommé, étant donné la longue amitié, les excellentes relations et les échanges intenses entre le Cameroun et la Chine. Le président a bien compris le besoin et l'importance d'une telle institution pour stimuler et faciliter ces relations et ces échanges. C'est un grand honneur pour notre université d'accueillir une institution aussi importante », se félicite Bouba.
Opportunités pour les étudiants
Seyi Pascal est entré à l'Institut Confucius car il estimait que connaître une nouvelle langue est toujours est avantage.
Pascal apprécie ses cours : « nos professeurs sont jeunes et nous pouvons facilement communiquer et nous comprendre. La barrière traditionnelle entre professeurs et élèves a été abolie ». Sa camarade de classe Annie Sonwa affirme que son frère, ancien étudiant à l'Institut, s'est vu offrir un travail alors qu'il n'était qu'à la moitié de sa formation.
Les étudiants du monde entier doivent passer le test de langue HSK (Chinese Proficiency Test). « Nous devons passer six tests, explique Sonwa. Nos copies sont notées à Beijing. Nous en passons cinq au Cameroun et le sixième en Chine. Mon frère, comme beaucoup d'autres étudiants, a trouvé un travail après le troisième niveau. La Chine est devenue une telle puissance que connaître le chinois est un atout pour toutes les économies ».
« Je voudrais être professeur de chinois », affirme une autre étudiante, Florence Ndeuchi. « Mes parents sont fiers de moi et me soutiennent. La Chine est une économie puissante, qui étend sa croissance en Afrique. Je veux en faire partie. Je sais que ce n'est pas facile, mais j'ai confiance, je sais que je pourrai voyager en Chine un jour. J'ai beaucoup d'amis en Chine ».
Ndeuchi s'intéresse à la culture et l'histoire chinoises. Certains étudiants s'inscrivent également pour étudier le kungfu ou la musique chinoise.
Diplomatie du langage
Evoquant l'influence croissante de la Chine en Afrique et en particulier au Cameroun, le professeur Bouba estime qu'il est normal pour une « superpuissance à la croissance aussi rapide que la Chine » de développer une institution de « puissance douce » (soft power) comme les Instituts Confucius, pour accompagner le développement de son influence politique et économique dans le monde.
« Il est bon qu'un pays comme la Chine s'efforce d'être mieux connu par les peuples des autres pays. La Chine a une longue histoire et une riche culture à partager avec le monde », affirme-t-il.
Il note d'ailleurs que la Chine n'est pas le seul pays à avoir créé une telle institution et cite d'autres exemples comme le Goethe-Institut allemand ou l'Instituto Cervantes espagnol.
Selon Yu Guoyang, l'institution a environ 470 branches dans le monde, dont 40 sont basées dans presque 25 pays africains. Les branches sont établies dans des universités de pays dont les gouvernements estiment qu'ils en ont besoin. « C'est le cas dans l'ensemble des 470 branches que nous avons dans 130 pays du monde », indique-il.
Outre les 18 centres de formation en chinois au Cameroun, l'Institut Confucius est en lien avec des écoles primaires et secondaires et avec le bureau du Fonds national d'assurance sociale, où les professeurs chinois offrent des formations courtes à la demande.
Yu ajoute que, reconnaissant l'importance de l'apprentissage de la langue et de la culture chinoises, le gouvernement camerounais a introduit le chinois dans l'Institut de Formation Avancée des Professeurs, une institution publique située à Maroua dans la région du Nord et où sont formés les professeurs du secondaire. Plus de 60 diplômés de cette école enseignent dans des écoles secondaires publiques au Cameroun. L'année dernière, un nouveau programme de licence de chinois a été également introduit dans la Faculté de lettres, d'arts et de sciences sociales à l'Université de Yaoundé I.
Selon Yu, les étudiants camerounais aiment étudier avec des professeurs camerounais. Cela nécessite de former des Camerounais à enseigner le chinois, pour qu'ils puissent exercer à l'Institut ou dans ses branches à Douala et Maroua, ou plus tard à Bamenda et Buea.
Des liens culturels
Apprendre leurs cultures et langues réciproques est très important pour la Chine et le Cameroun, qui partagent une longue histoire de coopération bilatérale, ajoute Yu. Un tel savoir permet d'éliminer les incompréhensions et les malentendus, et de favoriser une meilleure compréhension mutuelle.
« Tous les ans, 40 professeurs viennent enseigner le chinois au Cameroun. Lorsqu'ils retournent en Chine, ils ont acquis une meilleure connaissance de la culture camerounaise. Nous les considérons comme des ambassadeurs populaires », dit-il.
Ces professeurs réalisent rapidement qu'il existe des similarités culturelles entre les deux pays. Dans le cadre de ce processus d'intégration des deux cultures, les fêtes chinoises sont célébrées à l'Institut Confucius, tandis que les étudiants camerounais expliquent leurs propres fêtes à leurs professeurs chinois.
En plus de créer des liens entre les cultures, les Instituts Confucius facilitent l'obtention de bourses pour les étudiants dont les universités ont des partenariats avec des universités chinoises et qui souhaitent aller étudier en Chine. Les étudiants peuvent ensuite rentrer travailler dans leur pays ou trouver des opportunités professionnelles en Chine s'ils parlent couramment le chinois.
Yu ajoute enfin que connaître le chinois est très utile pour les hommes d'affaires camerounais qui veulent améliorer leur commerce avec les entreprises chinoises.
(Reportage du Cameroun) |