2016-12-16 |
Les mots ont une/des histoire/s |
par Lisa Carducci |
Mots-clés: Les mots ont une ou des histoires |
Si je vous demande de quelle langue et quelle région vient le mot mafia, vous me répondrez probablement de la langue italienne et de la Sicile. Eh bien, il semble que ce ne soit pas le cas ; ce mot viendrait de l'Italie du Nord, de la Toscane précisément, et dans cette région/langue, il signifiait « misère ». À l'origine, maffia s'écrivait avec deux ff. Ce que les Piémontais et les Toscans définissaient comme « misère », c'était la vie en Sicile, une région alors très pauvre. Les Siciliens, de leur côté, ont fait de la mafia leur orgueil, car l'organisation requérait de chacun de ses membres une « supériorité d'âme ». C'est le sens nouveau que le mot prit en sicilien. La mafia est donc née du rejet par la société sicilienne des préjugés et de la supériorité venue du Nord avec l'unité italienne (1871). Puis, le terme mafia s'est mis à désigner le crime organisé sicilien.
Mais les mots ont des histoires qui parfois se contredisent. Par exemple, on raconte que ce qui provoqua les « vêpres siciliennes » (soulèvement populaire, 1282) est le viol d'une jeune fille, à Palerme, par un jeune soldat français. La mère, bouleversée par l'incident, courait dans les rues en criant : « Ma - ffia, Ma - ffia! », prononciation dialectale pour « mia figlia » ou « ma fille »). Le cri de la mère fut répété par d'autres et se diffusa dans toute la Sicile. Le terme mafia devint ainsi le mot d'ordre des mouvements de résistance des Siciliens et des Italiens très pauvres. Mais on raconte aussi que le fiancé de la jeune fille, Jean de Procidia, cria « Morte alla Francia » (Mort à la France), d'où les cinq lettres du mot mafia.
Un autre mythe voudrait que mafia soit formé des initiales d'une secte de mercenaires regroupés autour de Giuseppe Mazzini : « Mazzini Autorizza Furti Incendi Avvelenamenti » (Mazzini autorise les vols, les incendies et les empoisonnements).
Un autre mot italien employé non seulement en français mais dans plusieurs langues, aujourd'hui, est pizza. Le mets lui-même est probablement le plus largement répandu autour du monde. Dès le Paléolithique supérieur (45 000 à 9 000 ans avant notre ère), nos ancêtres avaient des meules de pierre dont ils se servaient pour moudre des racines féculentes. Ils cuisaient cette poudre mêlée à de l'eau sur des pierres chaudes, ce qui représente les premières fouaces ou la première forme de pain. Les Égyptiens et les Grecs de l'Antiquité faisaient aussi du pain plat. Les Perses du Ve s. avant notre ère cuisaient des galettes sur leur bouclier. Les Étrusques, en Italie, 800 ans av. notre ère, consommaient aussi des fouaces garnies. Quelques siècles plus tard, les Grecs commencèrent à garnir la fouace avant de la cuire, et l'appelèrent planctunos. Le mot fouace ou fougasse vient de focus, le feu.
En latin on parla de panis (pain) focacius /focus (four/feu). Et des textes de 200 ans avant notre ère parlent de pain rond et plat, garni d'huile d'olive, de miel et d'épices, cuit sur la pierre. La « chose » prit différents noms selon les régions, comme pitta inchiusa en Calabre. Schiacciata en Toscane.
Ce pain plat se répandit avec ses divers noms : pitta, pizza, placuntos, schiacciata, fougasse, focaccia, et placenta. Le pain pita d'aujourd'hui a la même origine. La pizza, tout comme la nang des Ouigours, servait d'assiette aux aliments cuits en même temps et qui la garnissaient.
Si les mots ont une histoire, ils ont aussi des ennemis. On appelle faux amis des mots qui existent dans deux langues avec des sens différents. C'est un piège auquel il faut porter attention quand on apprend une langue étrangère. Les faux amis s'appellent en anglais des pittfalls. Prenons le mot altération. En français, ce mot désigne toujours un changement négatif : on dit d'un mets, d'un tableau, ou d'un vin qu'ils sont altérés quand ils sont gâtés. En anglais, le sens est neutre : un changement, une modification, que ce soit pour le mieux ou pour le pire. Donc, on peut faire en anglais une altération sur un vêtement trop grand, mais pas en français !
J'invite particulièrement les lecteurs qui connaissent aussi l'anglais à chercher la différence de sens entre les faux amis anglais et français suivants : to achieve et achever ; actually et actuellement ; presently et présentement ; eventually et éventuellement ; affluence et affluence ; battery et batterie ; commodity et commodité ; expertise et expérience.
Ainsi prend fin notre entretien de 2016 sur la langue.
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