2016-09-28 |
Les livres plus forts que les bombes |
par Sudeshna Sarkar | VOL.8 octobre 2016 |
Mots-clés: Mogadishu Book Fair |
Des livres sont exposés au Salon du livre de Mogadiscio
Jelle vit à Mogadiscio, la capitale somalienne toujours déchirée par la violence depuis le début de la guerre civile en 1991. Malgré l’insécurité permanente, la tenue du Salon du livre de Mogadiscio (SLM) a été reçue de manière extraordinaire.
La lecture a le vent en poupe
« Cela a créé une euphorie incroyable, notamment auprès des jeunes, souligne Jelle. La Somalie souffre encore de la guerre civile. Vous pouvez voir de nombreux jeunes en armes. Les enfants soldats ne veulent pas retourner à l’école et l’illettrisme est endémique. » D’après la Mission de l’Union africaine en Somalie, le pays affiche un des taux d’illettrisme les plus élevés au monde et seuls 37,8 % des Somaliens peuvent lire et écrire. « La lecture a commencé à décliner. Le SLM a cependant redonné aux jeunes l’envie de lire. Près de 2 000 personnes de moins de 30 ans sont venues. Le futur appartient aux jeunes et ils veulent participer à cette foire du livre. Cela m’a inspiré », ajoute-t-elle. Le SLM est d’après la jeune femme le nouveau visage de la Somalie que la population voudrait montrer au monde. « La Somalie est connue pour ses nombreux actes de terrorisme et de violence, ses armes et ses explosions. Personne n’aurait pu croire que 2 000 personnes se seraient réunies pour parler de livres. Le SLM donne une nouvelle image, nous donne une nouvelle identité. Nous donnons un exemple aux autres pays africains. »
Le SLM s’est déroulé au City Palace Hotel du 17 au 19 août en présence de trente auteurs, universitaires et mentors de Somalie, et notamment de la diaspora somalienne, mais aussi d’autres pays. L’ancien correspondant de la BBC en Afrique Andrew Harding, premier invité non africain, était présent. Il avait fait la Une dans les pays occidentaux quand il avait publié son livre Le maire de Mogadiscio : une histoire de chaos et de rédemption dans les ruines de Somalie. Ce roman, qui racontait l’histoire d’un orphelin nomade et bagarreur de rue devenu célèbre, était tiré de la vie de « Tarzan » – l’ancien maire de Mogadiscio, Mohamoud Nur – et avait été bien accueilli par la critique. Le Président somalien, mais aussi des ministres et des ambassadeurs ont aussi participé à ce salon. Dans son allocution de clôture, le Président somalien a déclaré qu’encourager une culture de la lecture et de l’écriture est le moyen le plus sûr de préserver et d’en apprendre sur le passé et le présent du pays, pour une Somalie meilleure. Et d’appeler les parents à donner des opportunités égales à leurs enfants dans l’éducation.
Le SLM, dans sa seconde année, est une création de Mohamed Diini Ahmed, un conférencier motivateur islamique de 33 ans somalo-américain qui gère New Horizon, une ONG basée à Mogadiscio se concentrant sur la culture, l’éducation civique et le développement personnel. L’idée du salon du livre lui est venue après une discussion avec des intimes il y a quelques années. « Ce groupe de professionnels de différents milieux et de différents pays, des gens qui avaient participé à des salons du livre dans le monde entier, ont tous convenu que de telles fêtes qui célébraient les livres, la littérature, la connaissance et le réseautage pouvaient contribuer à améliorer le récit sur la Somalie. Cela permettrait aussi de mettre en avant les talents souvent ignorés des Somaliens. New Horizon a fait de cette idée une cause et le SLM est son initiative la plus importante et la plus éminente. » Cela n’a pourtant pas été chose facile. « Organiser un festival de cette importance est difficile et demande beaucoup de travail partout dans le monde, explique-t-il. À Mogadiscio, c’est encore plus difficile. La logistique est un vrai cauchemar. C’est seulement la seconde édition du salon du livre et nous n’avons pas encore tout maîtrisé. Cependant, on peut être surpris de constater que nous avons des jeunes très talentueux dans la ville qui ont soif de livres et de littérature, une jeunesse éduquée pour la plupart qui émerge de Somalie et de la diaspora, elle est le véritable moteur derrière le succès massif du SLM », souligne-t-il.
Le public est venu nombreux assister au SLM
Une question de fierté africaine
Mohammed Kahiye, un journaliste somalo-kényan de 24 ans qui passe son temps entre Mogadiscio et Nairobi, estime que le SLM signifie énormément non seulement pour les Somaliens, mais aussi pour les Africains et les Africains de la diaspora. « Des réactions positives, des messages de félicitations, et le hashtag #MBF2016 [pour Mogadishu Book Fair, ou SLM en anglais] ont été suivis sur Twitter sur le continent durant cet événement de trois jours, souligne Kahiye. Pour un événement non politique d’une telle importance, c’est déjà une grande réussite et cela peut changer beaucoup de choses en ce qui concerne la région, notamment la sécurité et la reconstruction en Somalie. Les récits négatifs ont été supplantés par des récits positifs comme le SLM. C’est positif pour la Somalie et le continent dans son ensemble. »
Même si #MBF2016 a pris fin, les vagues qu’il a suscitées continuent de grossir. Ahmed prévoit de mettre en place un concours pour les jeunes écrivains et compte publier trois livres électroniques, qui seront proposés lors de l’édition 2017 du SLM. Il a aussi entamé un programme annexe, une séance de deux heures bimensuelle pour qu’un auteur présente son livre, suivie d’un débat. Par ailleurs, il explique que le SLM a fourni l’inspiration pour un second salon du livre, le Salon international du livre de Garoowe, la capitale du Pount, du 28 au 30 juillet.
D’autres changements vont aussi avoir lieu, comme la création de clubs de lecture à Mogadiscio. Kahiye est l’un de ces jeunes qui font campagne pour que la lecture se développe en Somalie. Il fait partie d’un groupe de jeunes, étudiants pour la plupart, qui réunissent des livres et des documents pour constituer un centre de lecture à Mogadiscio, le Centre culturel Ifiye. Ils sont aussi présents en ligne pour obtenir des dons de livres. La campagne a retenu l’attention en dehors de la Somalie. « J’ai récemment reçu des livres de Nairobi d’amis qui suivent la campagne et qui les ont fait livrer en Somalie, précise-t-il. M. Ahmed m’a invité au salon du livre et j’ai été ravi de faire partie de l’équipe des organisateurs durant ces trois journées magnifiques. »
L’autre Mogadiscio
Malgré les progrès réalisés, la violence reste un obstacle de taille. Peu avant le SLM, au moins 14 personnes avaient trouvé la mort lors de l’attaque d’un hôtel par des tueurs d’Al-Shabbaab. Après le SLM, il y a eu deux attentats à la voiture piégée, l’une près de l’aéroport international de Mogadiscio et l’autre près du palais présidentiel, tuant au moins douze personnes.
M. Ahmed reconnaît la gravité du problème. « Le dilemme sécuritaire en Somalie dure depuis des décennies. Rien de positif n’est arrivé depuis longtemps. Mais nous faisons aller, la vie continue, et nous nous concentrons sur ce que nous pouvons changer et prions pour ce que nous ne pouvons pas changer et prenons toutes les précautions nécessaires. Ce que le SLM et les autres institutions font, c’est d’établir un Mogadiscio parallèle, où de bonnes choses peuvent survenir. »
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