Une langue, à l’origine, repose sur son « fond », soit le latin en ce qui concerne le français. Puis, elle se construit par divers procédés, comme l’emprunt. Le français a emprunté de diverses langues étrangères et de dialectes. Le breton lui a donné les mots bijou et goéland ; du grec il a pris théologie (dieu + science), amphithéâtre (amphi = autour), biographie (vie + écriture).
Le français s’est également enrichi d’onomatopées (mot dont la prononciation reproduit le son évoqué). Ainsi en est-il de tictac, miauler, glouglou, chuchoter. Certains termes proviennent du langage enfantin, comme bonbon, dada, toutou, bobo et pipi. Puis, des mots qu’on pourrait qualifier de fantaisistes comme tralala, turluter, et saperlipopette prennent place à côté des mots plus nobles ou savants. C’est la période préscientifique.
Une fois son origine établie, une langue entre en période de formation. Les principaux moyens sont la composition à partir d’éléments surtout grecs et latins (agro = champ, et nomie = connaissance), biographie (vie + écriture). Un autre procédé est la dérivation ; souvent il s’agit d’un nom propre de personne, de déité, (céréale dérive du nom de la déesse Cérès) ou de lieu (un cognac) ; et l’emprunt est un procédé qui se poursuit à travers les siècles : agenda et fœtus du latin ; best-seller, match, boxe, club, golf, interview, tennis, tunnel et wagon de l’anglais.
Voici de quoi nous amuser. Il n’y a pas une langue qui n’ait donné au moins un mot au français. On peut le voir en feuilletant un dictionnaire. Par exemple, du suédois on a pris « dahlia » ; du persan, « bazar » ; de l’islandais « geyser », du scandinave « homard », du néerlandais « vacarme » et du norvégien « ski ».
Je vous laisse chercher de quelle langue parmi l’italien, l’anglais, le grec, l’allemand, l’américain, notre langue a emprunté les mots suivants : bibliothèque, thermomètre, dactylographie, piano, désastre, psychologie, opéra, vasistas, valse, trinquer, vermouth, bambin, valise, aquarelle, concerto, numéro, zinc, album, accordéon, suspense, camping, handicap, hobby, barman, gentleman, goal, basketball, cocktail, dollar, gang, kidnapper, jazz. (Réponse au prochain numéro de CHINAFRIQUE).
Quant à l’orthographe (ortho = droit + graphein = écriture) les réformes, en vue de rendre la langue plus logique, systématique et scientifique, se succèdent sans arrêt. Au début du XXe siècle, le trait d’union est venu remplacer l’apostrophe dans grand’mère, grand’messe, grand’rue, qui s’écrivent, jusqu’à aujourd’hui, grand-mère, grand-père, etc.
Chaque fois qu’une réforme se produit, des usagers de la langue protestent. Ainsi, en 1901, l’arrêté Leygues proposa-t-il de tolérer des orthographes multiples. Mais cette proposition ne fit pas l’unanimité et ne fut jamais appliquée. Ce n’est qu’en 1977 que l’arrêté Haby reviendra à la tâche, au sujet du tréma, par exemple. Lorsque j’étais écolière (dans les années 1950), on nous enseignait à écrire poète, mais quand nous voyions dans un livre, poëte, nos maitresses disaient, avec un soupir nostalgique : « Oui, on peut aussi l’écrire ainsi. »
Au XXe siècle, l’avènement de la radio, du cinéma, de la télévision, puis de l’internet devait redonner à la langue parlée une partie du prestige perdu. On continue de lire, mais on « écoute » aussi, et la langue change. Prenons l’exemple des temps des verbes, beaucoup plus nombreux à l’écrit qu’à l’oral. Si l’on continue d’écrire : « Il fallait qu’ils fussent bien fous pour se jeter à l’eau par un temps pareil ! », il devient acceptable, puis normal, de recourir au subjonctif présent à l’oral : « Il fallait qu’ils soient… ». Des tournures de phrase compliquées sont remplacées par de plus simples. Par exemple, au lieu d’employer « bien que », qui exige le subjonctif comme dans « Bien qu’il soit malade, il se rend à l’école chaque jour », on a tendance à recourir à « même si », qui se contente de l’indicatif : « Même s’il est malade, il se rend à l’école ». Si certaines tournures sont interdites à l’écrit, elles s’imposent peu à peu dans la langue parlée. Les jeunes d’aujourd’hui n’ont que faire du mode subjonctif…