 |
Wang Jianzhu avec le couple George. Catherine George est la première femme urbaniste du pays |
Beaucoup de doctorants font des recherches sur la planification urbaine dans la prestigieuse école d’architecture de l’Université de Tsinghua, mais ce qui distingue Wang Jianzhu est son choix de recherche : Lagos. À 26 ans, la jeune femme écrit une thèse sur l’urbanisation des mégapoles dans les pays en développement, et a choisi de faire son étude de terrain à Lagos, la capitale financière du Nigéria et la plus grande ville en Afrique sub-saharienne. La décision de Wang a étonné son directeur de recherche et ses camarades de classe. « Je suis la première de mon école à étudier la planification d’une ville africaine », raconte la doctorante avec joie. « Ce n’est pas uniquement une aventure mais une sérieuse tentative [pour découvrir quelque chose de nouveau] », ajoute-t-elle. Wang a remarqué que peu de chercheurs chinois en planification urbaine s’intéressaient à l’urbanisation africaine, et a alors pensé qu’elle pourrait combler ce manque. Avec seulement deux grandes valises, Wang part à Lagos en septembre 2015 pour mener à bien sa recherche. Elle y passe quatre mois.
Aventure solitaire
Ses parents et amis, bien qu’impressionnés par sa détermination, se demandent si elle s’en sortira seule au Nigéria. « Ils s’inquiétaient pour ma sécurité, mes conditions de vie, la nourriture et l’hygiène », raconte Wang. Malgré ces inquiétudes, la jeune femme s’adapte très bien à la vie de Lagos et apprécie son séjour. Et ceci en dépit de ses quatre déménagements, de l’université elle déménage à la maison d’un ami, puis à la zone de libre-échange et à deux hôtels. « Ma vie à Lagos semble avoir été pleine de retournements de situation, mais les déménagements m’ont aidé à découvrir davantage la vie locale », confie Wang. Par ailleurs, la jeune femme ne se sent pas seule. Aujourd’hui, elle a dans son téléphone les numéros de plus de 200 amis, rencontrés durant son séjour à Lagos. « J’adore me faire des amis. Mes amis du Nigéria m’ont amené acheter des vêtements dans les marchés locaux, m’ont invité à un mariage, une fête de Noël et même un enterrement. Tout ce que j’ai vécu faisait pleinement partie de la vie quotidienne des habitants, ce qui est essentiel pour les chercheurs voulant bien planifier le développement de n’importe quelle ville. » Quand Wang fait son stage auprès de ministère de Lagos pour la Planification physique et le Développement urbain, le président de l’organisation lui donne un nom nigérian, Omobowale Anifowoshe, ce qui signifie un enfant revenant à la maison. Elle espère faire honneur à son nom et dit vouloir retourner en Afrique après avoir obtenu son diplôme.
Une importante recherche
D’autres raisons expliquent le choix africain de Wang. Elle est certaine que le continent sera la principale façade pour l’urbanisation globale à l’avenir. Le Département des affaires économiques et sociales de l’ONU (DAES), prévoit que 2,5 milliards de personnes dans le monde s’installeront dans les villes d’ici 2050 et près de 90 % de cette migration aura lieu en Asie et en Afrique. De 2020 à 2050, l’Afrique devrait être la zone à plus forte croissance urbaine. « [Ce phénomène] mérité définitivement notre attention », assure Wang.
Par ailleurs, la relation Chine-Afrique a un immense potentiel. De plus en plus d’entreprises chinoises partent tenter leur chance en Afrique. Une bonne compréhension du développement urbain des villes africaines serait bénéfique à leurs investissements, particulièrement dans les projets terriens ou immobiliers, les projets d’infrastructures, et la planification et le développement de zones industrielles et des zones de libre-échange. L’augmentation des investissements chinois et l’implication dans la construction des villes africaines offrent aux habitants de ces mégapoles de meilleures infrastructures, un meilleur cadre de vie, de meilleurs services sociaux et plus d’opportunités professionnelles.
Les problèmes du progrès
La recherche de Wang à Lagos lui a permis d’apprendre dans les universités mais également de visiter de nombreux lieux de la mégapole : les banlieues, le port de Lagos, les zones industrielles et zones de libre-échange. Par ailleurs, elle a fait son stage auprès d’une agence des autorités de Lagos, acquérant ainsi une expérience plus pratique sur les infrastructures, transports, services d’intérêt public, gestion des déchets, et hygiène.
Malgré l’urbanisation rapide de l’Afrique, le ratio urbanisation-croissance économique est plus faible que dans des régions plus développées. Les spécialistes affirment que la croissance rapide de la population et l’expansion des grandes villes africaines mènent à une rapide détérioration de l’environnement. Ce qui met en question la durabilité du développement économique et social et exacerbe la désavantageuse position de l’Afrique dans la concurrence mondiale. Lagos, qui est également la ville la plus peuplée du Nigéria avec plus de 21 millions de personnes, n’est pas uniquement le cœur des activités économiques du pays, mais joue également un rôle important dans les activités socio-politiques sur le plan national, régional et même continental. Pourtant, elle est connue pour ses embouteillages, son manque d’infrastructures et ses problèmes environnementaux. « Tous les jours, les Lagotiens passent en moyenne trois à quatre heures sur la route. Il y a des embouteillages pour aller au travail, au marché ou même pour aller voir des amis », raconte Wang à CHINAFRIQUE. « Un plan scientifique pour le développement de Lagos devrait exister. C’est la solution pour améliorer la qualité de leur urbanisation et avancer vers une urbanisation durable. »
L’expérience chinoise
La Chine et l’Afrique ayant de nombreuses similarités, comme la forte population ou l’environnement économique, Wang pense que les pays africains ont beaucoup à tirer des expériences chinoises d’urbanisation réussies. L’urbanisation chinoise s’est accélérée dans les années 1980. En 2015, le taux d’urbanisation avait atteint 56 %. Aujourd’hui, l’Afrique s’urbanise aussi rapidement que la Chine dans les 30 dernières années. L’Afrique peut tirer de nombreuses leçons de l’urbanisation chinoise, par exemple l’importance de l’industrialisation, de la création d’emplois et la nécessité d’un secteur public proactif, éléments essentiels pour une urbanisation réussie dans les économies en développement.
Wang pense cependant que les villes africaines doivent garder leur propre personnalité, tout en s’inspirant de l’urbanisation chinoise. Selon la doctorante, la Chine n’offre pas seulement les moyens de l’urbanisation des villes africaines, mais exporte aussi sa propre version de l’urbanisation, créant des villes et des zones économiques ressemblant fortement aux chinoises. « Ce qui pourrait avoir comme résultat une homogénéisation et la perte de personnalité distincte dans ces villes africaines. » Wang espère que sa recherche pourra être appliquée sur le terrain. « J’espère que ma recherche poussera les chercheurs chinois à s’intéresser davantage à l’urbanisation africaine. […] Je veux être une ambassadrice de la promotion des échanges de connaissances sur l’urbanisation entre la Chine-Afrique. »