
Il est impossible de voyager en Chine sans avoir affaire à Confucius. Après un mois à Beijing, j’avais visité le temple de Confucius, assisté à un ballet sur la vie du sage et même parlé de lui à plusieurs reprises, il semblait surgir inévitablement dans les conversations sur la culture chinoise. J’avais honte de si mal connaître celui qui semblait pourtant avoir une importance capitale pour les Chinois. Mais mon ignorance ravissait mes interlocuteurs, toujours prêts à m’expliquer l’importance du personnage et ce qu’il représentait pour eux. « Les Chinois le connaissent depuis toujours, dès qu’ils ont 3 ou 4 ans », me racontait mon amie Chao Chao.
J’ai très vite perçu la fierté à l’évocation de Kongfuzi, ou maître Kong, dont Confucius est la latinisation. Et les Chinois ont de quoi être fiers, celui qui est né en 551 av. J.-C. dans le royaume de Lu, dans l’actuelle province du Shandong, est considéré comme l’un des acteurs de ce que le philosophe allemand Karl Jaspers a appelé la « période axiale », un âge d’or pour la philosophie entre les années 800 et 300 avant notre ère où apparaissent autour du globe de nouvelles manières de penser l’homme. Parmi les autres illustres esprits ayant marqué cette période on retrouve Bouddha, Platon ou Zoroastre. Selon l’historienne Anne Cheng, le succès de la pensée de maître Kong s’explique par son accessibilité : « C’est précisément dans la mesure où la Voie confucéenne est à la portée de tout un chacun qu’elle peut prétendre à l’universalité ».
J’allais en effet rapidement comprendre que le confucianisme est aussi un mode de vie, une morale individuelle. Confucius nous apprend « ce qu’il est juste de faire », m’expliquait Chao Chao. Kongfuzi pense que l’homme est perfectible à l’infini. Par l’apprentissage et les échanges, on devient un junzi, un « homme de bien ». Le développement de cette humanité a un caractère sacré puisque cette constante exigence individuelle doit suivre la Voie céleste (Dao), source de tout bien. Dans une société féodale (en pleine désintégration), ce pari sur l’homme, sans distinctions, était une réelle nouveauté. La vie de Confucius peut expliquer sa vision universaliste. Il vient en effet d’une famille modeste, bien qu’aristocratique, et c’est grâce à son éducation qu’il occupera de hautes fonctions au royaume de Lu où il deviendra même ministre de la Justice.
Sa pensée a ainsi sans aucun doute une facette politique. À la cinquantaine, il quitte le pays de Lu, fatigué par les querelles politiques et les compromissions. Il voyage pendant plus de dix ans dans l’espoir de trouver un souverain qui acceptera de suivre la Voie. Le souverain idéal « s’impose par sa bienveillance, non par la force », explique Mme Cheng dans son livre Histoire de la pensée chinoise. Mais Confucius ne trouvera pas ce souverain modèle, si bien que ses contemporains le décrivent comme celui « qui s’obstine à vouloir sauver le monde, tout en sachant que c’est peine perdue ». Confucius meurt à 72 ans (551-479 av. J.-C.), croyant avoir échoué dans sa mission céleste.
Mais les mots de maître Kong ont une très longue vie. Comme le fait remarquer le professeur de philosophie Roger T. Ames, « On ne peut pas penser la Chine, même aujourd’hui,
2 500 ans plus tard, sans faire référence à cet homme, Confucius ». À partir de l’empire, c’est une forme de confucianisme, avec de nombreuses influences, qui domine la pensée politique, avant de perdre en importance au milieu du XIXe siècle. Toutefois, les valeurs confucéennes demeurent très présentes dans la société chinoise et l’admiration pour l’œuvre de Kongfuzi est palpable. C’est un public enthousiaste qui applaudissait la troupe de ballet racontant la vie de Confucius, au théâtre Poly de Beijing. Mais l’engouement se fit réellement sentir lorsqu’on annonça que la chorégraphe, Kong Dexin, n’était autre que la descendante de maître Kong.