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Sun Xiaomeng |
Quand Sun Xiaomeng a quitté Zaria, une ville située dans le nord du Nigéria, après avoir reçu son diplôme de master de la célèbre Université Ahmadu Bello, elle a fait ses adieux à un groupe de connaissances un peu inhabituelles : les marchands haoussas du marché de voisinage où elle avait l’habitude de faire ses emplettes durant son séjour de deux ans. « Ce fut une expérience émouvante, se souvient cette femme de 38 ans qui est maintenant directrice de l’École d'études asiatiques et africaines de l’Université des Langues étrangères de Beijing (ULEB). Quand je suis arrivée au Nigéria en 2003, j’étais la seule Chinoise de la ville et une curiosité sur le marché. Quand ils m’ont entendu parler haoussa, leur langue maternelle, ils ont été stupéfaits. Ils me demandaient où je l’avais apprise et pourquoi je parlais avec tant d’aisance. Ils me posaient sans cesse ces questions et de là, nous sommes devenus amis. »
Sun Xiaomeng avait entamé ses études de haoussa en 1996 à l’ULEB. Le haoussa est la lingua franca de l’Afrique de l’Ouest, parlée au Nigéria, la plus grande économie africaine, mais aussi au Niger, au Soudan, au Tchad, au Ghana et au Togo. Une fois son diplôme en poche, elle a obtenu une bourse du Conseil des bourses de Chine pour améliorer ses capacités linguistiques et s’immerger dans la culture ouest-africaine. Elle a ensuite effectué des recherches aux côtés du professeur Li Anshan, spécialiste renommé des études africaines, avant d’obtenir son doctorat du St. Anthony’s College à Oxford. Elle prend maintenant sous son aile des étudiants chinois pour les aiguiller vers d’autres langues et littératures africaines.
Des langues au service de l’égalité
Un programme d’apprentissage des langues considérable est en cours en Chine, qui s’inscrit dans le cadre de l’initiative « une Ceinture et une Route » – la Ceinture économique de la Route de la Soie et la Route de la Soie maritime du XXIe siècle – annoncée par le Président chinois Xi Jinping pour le développement et la prospérité en commun de l’Asie, de l’Afrique et de l’Europe. « Pour que l’initiative se déroule de manière fluide, il est plus important d’approfondir la compréhension mutuelle entre ces pays plutôt que de se concentrer simplement sur un boom économique, explique-t-elle. La diplomatie publique est fondamentale à son succès et les langues jouent un rôle très important pour cela. »
Avec la croissance rapide de l’économie chinoise et l’approfondissement de la présence chinoise en Afrique, un nombre croissant de Chinois sont déployés dans les pays africains. « Nous sommes en retard quant à notre compréhension de l’Afrique, regrette Sun Xiaomeng. Si vous communiquez avec les Africains en utilisant seulement l’anglais, le français ou les autres langues imposées par les colonisateurs, vous perpétuez l’hégémonie. En apprenant les langues locales africaines, vous comblez l’espace qui existe entre présence et compréhension et dans le même temps, vous permettez aux Africains de préserver leur patrimoine et de conserver leurs valeurs culturelles. »
En collaboration avec le ministère de l’Éducation, l’ULEB étend son programme de langues étrangères. D’ici à 2020, leur nombre passera de 70 actuellement à 100. L’objectif est d’enseigner toutes les langues parlées dans les pays avec lesquels la Chine entretient des relations diplomatiques.
L’École d'études asiatiques et africaines de l’ULEB a été créée en 1961. Le swahili, la lingua franca d’Afrique de l’Est, a été l’une des cinq premières langues à y être enseignées. Vers la fin des années 1960, la Chine a signé un accord avec la Tanzanie et la Zambie pour les aider à construire le Tazara – la ligne de chemin de fer Tanzanie-Zambie – une ligne de 1 860 km, la première construite depuis leur accession récente à l’indépendance. La demande en swahili était importante.
Progressivement, le haoussa et l’arabe ont été ajoutés au programme de l’école. Cette année, 7 nouvelles langues africaines ont fait leur entrée : l’amharique, la langue officielle de l’Éthiopie, le tigrigna, parlé en Éthiopie et en Érythrée, l’afrikaans et le zoulou (en Afrique du Sud), le malgache, le somali et le comorien. Au XVe siècle, le navigateur chinois Zheng He avait atteint la Corne de l’Afrique et établi des contacts avec l’Afrique de l’Est. Six siècles plus tard, à partir du mois de septembre, 16 étudiants chinois de l’ULEB vont se rendre en Éthiopie, en Afrique du Sud, à Madagascar, en Somalie et aux Comores pour y apprendre les langues et se familiariser avec la culture locale, pour ensuite enseigner et effectuer de la recherche dans ces départements de langues nouvellement créés.
Des explorateurs des temps modernes
Il est bientôt 19 heures et Liu Hong (elle a souhaité conserver son anonymat) est encore à son bureau à Beijing, en train de consulter attentivement un manuel dactylographié. Cette jeune secrétaire de 27 ans apprend l’amharique. « Je voudrais progresser professionnellement, avoue-t-elle pour expliquer pourquoi elle apprend une langue difficile et quasi-inconnue en Chine, dont l’écriture diffère totalement de l’alphabet et des caractères chinois. L’apprentissage de l’amharique me donnera une compétence unique. Je pourrais aussi devenir enseignante d’amharique. »
Les jeunes Chinois sont encouragés à maîtriser plusieurs langues. Madagascar, par exemple, est une ancienne colonie française et le français est sa seconde langue officielle : les étudiants qui choisissent d’apprendre le malgache seront aussi envoyés à Paris pour y apprendre le malgache et le français dans le cadre d’un accord entre l’ULEB et l’INALCO (Institut national des langues et civilisations orientales). « Le multilinguisme est très important, explique Sun Xiaomeng. En Chine, nous avons 56 groupes ethniques. En Afrique, il y a 54 États [reconnus] et la langue de chaque groupe représente des valeurs culturelles propres. Quand vous apprenez une langue, cela montre que vous les respectez, leur culture et leurs valeurs. »
L’attitude des étudiants chinois à l’égard de l’apprentissage des langues étrangère et de l’Afrique change. Par le passé, l’apprentissage d’une langue étrangère était motivé par des considérations économiques et professionnelles et la plupart des étudiants choisissaient d’apprendre des langues parlées dans les pays développés. On constate actuellement un mélange d’aventure, d’empathie et de patriotisme. « Une langue ouvre une fenêtre importante aux jeunes Chinois pour comprendre l’Afrique, souligne Sun Xiaomeng. Ces 40 ou 50 dernières années, il était rare de voir des langues africaines dans les écoles de langues car l’attrait pour de nouvelles langues était économique et les étudiants pensaient plus à leur carrière. Maintenant, ils sont enthousiasmés à l’idée d’aller en Afrique [pour d’autres raisons]. »
Ainsi, par exemple, un étudiant a été sélectionné pour aller cette année à Mogadiscio, la capitale somalienne, y apprendre le somali. La Somalie est depuis longtemps victime des attaques des extrémistes, notamment ceux d’Al–Shabbaab. Le 28 février, cette organisation a posé une bombe dans un restaurant de Baidoa, tuant au moins 30 civils. Même si le gouvernement somalien a assuré que les étudiants chinois seraient en sécurité, l’incertitude reste présente. Cet étudiant (qui souhaite rester anonyme pour des raisons de sécurité) est cependant résolu. « Je sais par la télévision et les films ce qui se passe en Somalie, a-t-il dit à ses enseignants. Je veux néanmoins y aller. C’est mon devoir [national] de le faire. »