2016-06-01 |
Education parentale en Chine : la nouvelle normalité |
Jacques Fourrier |
Mots-clés: Education parentale; Chine |
« Ce qui est le plus facile à voir est souvent négligé. »
Milton H. Erickson
Les techniques d'éducation parentale et les pratiques d'éducation des enfants ont gagné en importance en Chine depuis le début des années 2000 dans les foyers urbains de la nouvelle classe moyenne. Des parents qui sont prêts à remettre en question leurs préjugés et ouvrir le dialogue avec leurs enfants.
Ben Furman pendant sa démonstration (Photo : Wei Yao/ Beijing Information)
Education parentale et thérapie brève
Dans ce grand hôtel international de Chaoyang, le quartier des affaires de Beijing, en ce samedi ensoleillé de la mi-avril, parents, éducateurs et professionnels de l'éducation parentale sont déjà réunis depuis trois jours pour écouter le docteur Ben Furman et mettre en pratique les techniques qui leur ont été transmises.
Ben Furman est un médecin psychiatre finlandais et psychothérapeute spécialisé dans la thérapie familiale. Dans sa jeunesse, les théories psychanalytiques étaient prédominantes. « Les enfants qui avaient des problèmes allaient voir un psychanalyste deux fois par semaine pendant parfois des années, note-il. Il y a déjà de nombreuses années, je me suis intéressé à la psychologie centrée sur la solution car je savais que je pourrais y trouver des applications pour de nombreux problèmes. » S'appuyant sur l'approche novatrice du thérapeute américain Milton H. Erickson, il a cofondé l'Institut de thérapie brève d'Helsinki en 1986 et enseigne depuis cette date la thérapie brève dans le monde entier. En trente années, ce voyageur infatigable a formé des milliers de thérapeutes, de conseillers familiaux et de parents et ses livres ont été traduits en une vingtaine de langues. Il se définit lui-même comme un « conditionneur ». « Mon travail est de conditionner l'information pour ceux qui ne sont pas des professionnels de façon à ce qu'elle puisse être plus digestible », explique-t-il avec cette touche d'humour qui ne le quitte jamais. Il a créé Kids' Skills for Parents and other carers, un programme de formation destiné à transmettre les compétences de base de l'éducation parentale au plus grand nombre.
Ben Furman a publié un livre à Taïwan il y a six ans qui a reçu un accueil favorable et la demande pour ses séminaires est forte. C'est à cette époque qu'il a rencontré Li Hongyan, formée à la thérapie brève éricksonienne. Cette Chinoise qui a vécu plus de 20 ans en Finlande a alors créé une organisation avec d'autres formateurs de la partie continentale de Chine pour propager l'approche de Ben Furman dans le pays.
Ben Furman estime qu'il n'y a aucune différence entre les enfants et les adolescents en Chine comme ailleurs. Il souhaite rendre l'éducation parentale plus agréable en y intégrant une dimension de joie et de créativité. « Les familles ont toutes les mêmes préoccupations. Les parents chinois sont néanmoins très angoissés et s'inquiètent davantage pour leurs enfants », remarque-t-il.
La responsabilité parentale, une source de préoccupation en Chine
Ben Furman a mis au point une série de programmes de formation pour aider les parents, les éducateurs et les enfants à acquérir des techniques simples et des compétences pratiques dans les plus brefs délais. Son séminaire Kid's Skills est très populaire en Chine. Il s'y rend deux fois par an pour le proposer dans plusieurs villes du pays.
Les styles d'éducation parentale ont connu de profondes transformations au cours des dix dernières années en Chine. Des études longitudinales et comparatives aux Etats-Unis ont été menées sur des parents de la première et de la seconde génération d'émigrants chinois et des parents américains d'origine européenne, notamment les recherches de Ruth K. Chao depuis les années 1990. Elles ont validé les intuitions de Ben Furman et montré que l'éducation parentale reposant sur l'autorité des deux parents donnait de manière générale des résultats plus satisfaisants sur le plan scolaire et psychologique. S'éloignant ainsi du paradigme qui oppose éducation autoritaire et éducation permissive, les chercheurs ont formulé le concept d'autorité parentale : il intègre respect mutuel, confiance et proximité affective.
Il faudra attendre la publication du livre de Yin Jianli en janvier 2009 pour qu'une véritable prise de conscience profonde s'opère en Chine. Dans « Une bonne mère, c'est mieux qu'une bonne enseignante », elle se base sur plus de 20 années d'expérience en milieu scolaire, mais aussi sur le bon sens, pour préconiser une interaction effective avec les enfants afin de développer leur potentiel sans les contraindre à obéir de manière autoritaire. Son livre a été un grand succès de librairie et ses effets dans les familles, le système éducatif et la société en général se font encore sentir. Les autorités chinoises ont d'ailleurs mis en place des organisations visant à venir en aide aux parents, reconnaissant ainsi le lien indéfectible qui existe entre l'éducation parentale et une société harmonieuse.
Le marché du conseil et du coaching parental connaît aussi depuis quelques années une explosion, proposant des formations et des certifications principalement aux éducateurs. L'éducation parentale n'est pas innée, elle s'apprend et nécessite une boîte à outils et un mode d'emploi que les conseillers parentaux vulgarisent. Li Hongyan en fait partie. Elle a connu la confusion et la détresse que vivent de nombreux parents et y a vu une opportunité d'apporter sa pierre à l'édification de leur bien-être quand elle a invité Ben Furman en Chine.
Résoudre les problèmes quotidiens étape par étape
Jessica est une petite fille de 9 ans avec un emploi du temps d'adulte avec ses cours du soir et ses classes le weekend. Elle a une petite sœur de 3 ans et sa mère, Mme Chen, la quarantaine, de Beijing, a quitté son travail dans la vente pour s'occuper des enfants. Son mari est un col blanc dans une société du numérique. Jessica joue du violon depuis quelques années et cette pratique est devenue une corvée. « Ma fille baisse les bras à chaque fois devant les difficultés. En plus elle ne supporte aucune de mes remarques », se plaint-elle en se faisant l'écho des difficultés quotidiennes que rencontrent les familles chinoises.
Pendant le séminaire, Ben Furman propose de faire une démonstration des techniques qu'il a enseignées avec Jessica et sa maman. Immédiatement, et de manière ludique, il établit un rapport privilégié avec l'enfant. « Nous devons apprendre à féliciter l'enfant car c'est un élément fondamental du bonheur familial, explique-t-il plus tard. C'est la première étape qui permettra d'influencer le comportement d'une manière constructive. » Le programme Kids' Skills a pour but d'aider les enfants à trouver eux-mêmes une solution à leurs problèmes et à surmonter des barrières émotionnelles et comportementales en apprenant des techniques fondamentales avec le soutien de leur environnement immédiat. Les problèmes ne sont pas traités comme tels, mais comme une insuffisance technique qu'il suffit de pallier. La coopération et la responsabilisation sont essentielles pour garantir le succès de cette approche.
Ben Furman écoute patiemment Mme Chen tout en gardant le contact visuel avec Jessica. « Je suis fatiguée d'avoir à lui répéter tous les soirs qu'il faut pratiquer son instrument », lui dit-elle avec exaspération. « Je n'aime pas que ma maman vienne toujours me répéter la même chose », répond la petite fille visiblement en colère. Ben Furman lui demande alors : « Cela te dirait d'apprendre à te servir d'une technique qui te débarrasserait de ce problème ? » Jessica sourit. Ben Furman a attiré son attention. « Il est plus facile d'influencer le comportement des gens par la douceur, en les respectant, en leur disant ce qu'on souhaiterait avoir demain, plutôt que de les critiquer pour ce qu'ils ont fait la veille, dit-il à l'assistance. Bien sûr, vous pouvez vous plaindre, vous pouvez critiquer, mais le résultat n'est jamais vraiment satisfaisant. »
Jessica et sa mère ont finalement trouvé le moyen de sortir de l'impasse, par le dessin. « Comment te sentirais-tu si maman dessinait un violon pour te rappeler que c'est l'heure de pratiquer le violon ? Ou si elle dessinait une casserole pour te rappeler que c'est l'heure du repas ? », lui demande Ben Furman qui commence à dessiner un violon. Jessica se détend un peu plus et commence même à se moquer des piètres talents de dessinateur de Ben Furman. Mme Chen est rassurée. « J'ai pu acquérir un savoir-faire et des techniques durant ce séminaire et ma fille accepte de jouer le jeu. »
Pour Ben Furman, il est possible de résoudre la plupart des problèmes avec une participation minimale d'experts. « La médicalisation et les thérapies longues doivent être le dernier recours. Nous essayons toujours de parler à l'enfant, à la famille, et de trouver des solutions ensemble », confie-t-il. La coopération et la responsabilisation sont les piliers de son approche de l'éducation parentale qu'il souhaite partager avec la Chine.
Beijing Information
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