Tunde Onakoya face à un étudiant lors d’une partie d’échecs dans l’État de Borno, au Nigeria, le 1 er septembre. (ALVIN PAUL THOMAS)

Tunde Onakoya est un échéquiste et un activiste social nigérian, dont l’influence transcende largement le cadre des 64 cases de l’échiquier. Fondateur de l’initiative Chess in Slums, il se sert des échecs comme un outil puissant pour éduquer, motiver et transformer la vie des jeunes dans les quartiers défavorisés du Nigeria. Son travail initié dans les bidonvilles de Lagos a suscité l’admiration internationale, devenant un symbole d’innovation sociale portée par une passion déterminée.

De pions à rois

Tunde a vu le jour à Ikorodu, une localité de Lagos, au Nigeria. Issu d’un milieu défavorisé dans un bidonville, il a découvert le jeu d’échecs durant ses années de scolarité primaire, alors qu’il observait une partie dans le salon d’un barbier. Dans un environnement où les perspectives pour les jeunes issus de milieux pauvres étaient peu nombreuses, les échecs sont devenus pour lui non seulement un refuge intellectuel, mais aussi un outil lui permettant de développer une pensée stratégique et d’envisager un avenir prometteur.

Malgré une enfance marquée par des conditions précaires, l’amour de Tunde pour les échecs a profondément influencé son parcours éducatif et professionnel. Sa mère, ne pouvant payer ses études secondaires, a travaillé comme femme de ménage dans une école en échange de son inscription. Grâce à cette résolution familiale, Tunde a pu poursuivre ses études et perfectionner son aptitude aux échecs. Cette persévérance lui a permis d’atteindre le rang impressionnant de treizième meilleur joueur d’échecs du Nigeria.

Tunde a décroché un diplôme en informatique au Yaba College of Technology. Durant ses études, il a brillamment représenté son établissement, remportant une médaille d’or aux Nigeria Polytechnic Games ainsi qu’au championnat d’échecs RCCG. Il a aussi triomphé lors du National Friends of Chess et du Chevron Chess Open. Fort de l’impact positif qu’ont eu les échecs sur sa propre vie, Tunde a commencé à percevoir ce jeu non seulement comme une passion mais aussi comme un moyen de transformation sociale pour les enfants confrontés à des défis similaires à ceux qu’il avait rencontrés.

« J’ai arrêté de jouer aux échecs de manière professionnelle [...] parce que j’avais trouvé un appel plus profond : utiliser mon amour et ma connaissance des échecs comme un outil pour autonomiser les enfants vivant dans la pauvreté », a-t-il partagé.

Ce choix, bien que risqué, a été le catalyseur d’un changement majeur dans sa vie, le conduisant à fonder une initiative qui changera la vie de nombreux jeunes.

Tunde Onakoya tentant d’établir un nouveau record lors d’un marathon d’échecs face à un joueur américain à Times Square à New York, aux États-Unis, le 19 avril. (FÉDÉRATION INTERNATIONALE DES ÉCHECS)

Échec et mat à la précarité

En 2018, Tunde a initié le projet Chess in Slums, animé par la conviction que les échecs pouvaient transformer l’éducation et impulser un changement social bénéfique pour les enfants des milieux défavorisés. Né à Makoko, un quartier pauvre de Lagos, ce projet a offert à des milliers d’enfants privés d’éducation une chance de développement et d’apprentissage. « J’ai choisi de suivre un chemin moins fréquenté, et cela a effectivement fait toute la différence. C’est ainsi qu’est né le projet Chess in Slums qui a offert à des milliers d’enfants, souvent oubliés par la société, une chance de se battre », a expliqué Tunde.

Le concept de Chess in Slums est à la fois simple et profondément transformateur : il s’agit d’initier les enfants des bidonvilles aux échecs tout en leur offrant des opportunités éducatives enrichissantes. Ce programme dépasse largement l’enseignement du jeu ; il vise à renforcer la confiance en soi des enfants, à affiner leurs compétences en résolution de problèmes et à élargir leur vision de la vie. En jouant aux échecs, ces jeunes acquièrent des outils précieux pour affronter les défis quotidiens et envisager un avenir meilleur, en développant notamment des qualités intellectuelles telles que l’attention, la mémoire, l’analyse et la créativité.

L’impact de ce projet est remarquable. Depuis sa mise en œuvre, plus de 1 000 enfants ont été initiés aux échecs, et plusieurs d’entre eux ont remporté des tournois à l’échelle nationale et régionale. Ces victoires ont non seulement boosté leur confiance mais ont également généré des fonds permettant d’attribuer des bourses scolaires. Grâce à ces opportunités, certains jeunes ont pu quitter les bidonvilles pour continuer leurs études dans des conditions nettement améliorées.

L’œuvre de Tunde a reçu une large reconnaissance pour son impact social. En 2021, il a été honoré par le Future Awards Africa dans la catégorie Éducation. De plus, son projet a fait l’objet de reportages dans de nombreuses publications internationales prestigieuses, telles que CNN, BBC et Al Jazeera. Cette reconnaissance mondiale a non seulement valorisé son travail exceptionnel, mais a également attiré l’attention sur les conditions de vie des enfants dans les quartiers défavorisés du Nigeria.

Ses hauts faits les plus notables restent son marathon de 60 heures d’échecs à New York, ou encore des parties jouées contre dix joueurs simultanément en Allemagne. Mais malgré les prouesses physiques et mentales nécessaires pour accomplir de tels exploits, Tunde reste humble et se concentre sur l’impact de ses actions : « Je ne veux pas qu’on se souvienne de moi comme l’homme capable de battre dix personnes aux échecs, mais plutôt comme celui qui a aidé des enfants à croire qu’ils pouvaient accomplir de grandes choses, même s’ils viennent de milieux modestes. »

Les tours de la résilience

Fort de ces succès, Tunde ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Il projette d’élargir son initiative à d’autres villes du Nigeria et à travers l’Afrique. Son ambition est de faire des échecs un outil éducatif mondial, capable de briser les cycles de pauvreté et d’ouvrir de nouvelles perspectives d’avenir pour les jeunes défavorisés.

Il œuvre actuellement à forger des partenariats avec des organisations internationales et à mobiliser des fonds nécessaires pour l’expansion de Chess in Slums. Pour lui, ce projet représente bien plus qu’une simple initiative d’aide aux enfants ; c’est également un modèle d’innovation sociale, prometteur et adaptable à divers contextes partout dans le monde.

Il adresse un message puissant à tous ceux qui ont des talents ou des compétences : « Lorsque vous utilisez ce talent uniquement pour vos ambitions personnelles, il vous apporte du succès. Cependant, lorsque vous choisissez de partager ce don avec les autres, en particulier ceux qui n’auront peut-être jamais les mêmes opportunités, il se transforme en quelque chose de bien plus puissant : il devient une mission. » C’est cette mission qui guide ses pas, alors qu’il continue d’inspirer et d’éduquer à travers les échecs.

Tunde incarne de manière éclatante comment passion et détermination peuvent remodeler le monde, même dans les contextes les plus défavorisés. Son initiative illustre avec force la manière dont un simple jeu d’échecs peut se transformer en un outil éducatif puissant et vecteur de changement social. L’histoire de Tunde est source d’inspiration, rappelant à tous le formidable potentiel de transformation inhérent à chaque enfant, indépendamment de son milieu d’origine.