2025-05-06 |
Modernité en terre d'ancêtres |
VOL. 17 / MAI 2025 par DONATIEN NIYONZIMA · 2025-05-06 |
Mots-clés: Vivre en Chine ; revitalisation rurale |
Les villageois de Nujiang ont adopté le développement économique sans renoncer à leurs coutumes ancestrales.
Scène de la Fête du mât aux couteaux à Nujiang. (COURTOISIE)
Nichée dans les montagnes escarpées de la province du Yunnan, la préfecture autonome Lisu de Nujiang a connu, ces dernières années, une profonde métamorphose. Autrefois classée parmi les zones les plus défavorisées de Chine, elle offre aujourd’hui le visage contrasté d’un territoire où cohabitent infrastructures modernes et traditions séculaires. Les minorités ethniques locales – Lisu, Nu, Derung – ont su saisir les opportunités offertes par le développement sans pour autant rompre avec leurs racines culturelles.
Les efforts déployés par le gouvernement pour améliorer les conditions de vie ont été colossaux. D’ambitieux programmes de lutte contre la pauvreté ont permis de reloger des milliers d’habitants de villages reculés vers des bourgs équipés d’écoles, de dispensaires et de routes carrossables. Des trajets jadis interminables, durant plusieurs jours, se parcourent désormais en quelques dizaines de minutes. Grâce à la formation professionnelle et à un meilleur accès à l’éducation, les jeunes générations entrevoient de nouveaux horizons.
Aujourd’hui, des routes sillonnent les versants autrefois inaccessibles, reliant les hameaux aux centres urbains, tandis qu’Internet pénètre dans des foyers naguère privés même d’électricité. Si les fruits du développement sont visibles, ce qui frappe tout autant, c’est la manière dont les habitants ont su préserver l’essence de leur culture, sans renier les bienfaits du progrès.
Un pont entre passé et présent
Malgré les changements profonds qui redessinent leur quotidien, les villageois de Nujiang perpétuent leurs savoir-faire et leurs coutumes ancestrales. Broderie, tissage, danse rituelle : ces pratiques demeurent bien vivantes. Ce mariage du passé et du présent n’est pas le fruit du hasard : il reflète une conception du développement où la modernisation ne doit pas effacer l’identité.
Le patrimoine culturel des groupes ethniques de Nujiang est perçu comme un atout, non comme un frein. Il fonde le sentiment d’appartenance, tisse le lien intergénérationnel, et permet aux communautés d’aborder l’avenir avec assurance. Ces traditions constituent également un levier économique, en attirant les touristes et en stimulant l’artisanat local. Cette dynamique s’inscrit dans la stratégie plus large de la Chine, qui vise à concilier diversité ethnique et progrès national.
L’exemple de Nujiang démontre qu’il est possible de conjuguer modernisation et préservation culturelle. Le développement ne signifie pas tourner le dos à son histoire, mais trouver les moyens de faire vivre les héritages dans un monde en perpétuel mouvement.
Longtemps enclavée, Nujiang où le taux de pauvreté atteignait 56 % avant 2020 a vu son isolement reculer grâce à la construction de routes. Certaines communautés, autrefois coupées du monde, peuvent désormais rejoindre la ville en deux heures à peine, contre six ou plus auparavant. Ces améliorations s’inscrivent dans une stratégie de développement global, qui a permis à environ 270 000 personnes de sortir de l’extrême pauvreté fin 2020. Comme l’a souligné le Président chinois Xi Jinping, il ne s’agit là que du « premier pas » vers une vie meilleure, et d’autres efforts restent nécessaires pour consolider ces acquis.
Dans un village lisu, il n’est pas rare d’apercevoir une femme à l’œuvre sur un métier à tisser, reproduisant des motifs complexes transmis de mère en fille. Chaque étoffe raconte une histoire, évoque une croyance, traduit un lien à la terre. Ces textiles ne sont pas de simples ornements : ils incarnent une identité, sont portés lors des fêtes, des mariages, des cérémonies. Loin d’être figées, ces traditions évoluent, s’adaptent, vivent au rythme du présent.
En 2023, le PIB de Nujiang atteignait 27,9 milliards de yuans (3,8 milliards de dollars), contre 25 milliards (3,4 milliards de dollars) en 2022. Mais au-delà des chiffres, c’est l’utilisation du patrimoine qui soutient un développement durable. Le tourisme se développe, attiré par les paysages et l’authenticité. L’artisanat s’adapte aux marchés modernes, assurant à la fois revenus et transmission culturelle.
Un exemple emblématique : la renaissance des couvertures traditionnelles, autrefois menacées. Grâce au soutien des autorités et à l’engagement des artisans, elles trouvent aujourd’hui preneurs en Chine et à l’étranger, offrant un revenu stable à de nombreuses familles.
La force de l’identité partagée
L’ascension de la Chine en tant que puissance économique repose sur une multitude de facteurs : investissements massifs dans les infrastructures, essor technologique, amélioration de l’éducation… Mais il serait réducteur d’en négliger les fondements culturels. La cohésion communautaire, le respect des anciens, le goût du travail bien fait sont autant de valeurs enracinées qui ont favorisé la stabilité sociale et soutenu la croissance. À Nujiang, ces valeurs s’expriment pleinement, à travers l’entraide et la solidarité.
L’insistance sur l’unité nationale a également joué un rôle moteur dans la mise en œuvre des réformes et la mobilisation des énergies. Alors que la Chine poursuit sa modernisation, préserver ces repères culturels est essentiel pour que le progrès économique n’affaiblisse ni la cohésion sociale ni la richesse de sa diversité.
Les valeurs propres aux cultures locales – respect de la nature, solidarité, transmission du savoir – ne sont pas cantonnées au passé. Elles irriguent les dynamiques sociales et économiques actuelles, et contribuent à l’émergence d’une société plurielle, où chaque identité renforce l’ensemble.
Nujiang offre ainsi l’image inspirante d’un développement inclusif, respectueux des cultures et tourné vers l’avenir. Il montre que préserver son identité ne signifie pas se replier sur soi, mais puiser dans ses racines la force d’inventer un futur partagé.
![]() |
|