2025-09-01 |
Le souffle du silence |
VOL. 17 / SEPTEMBRE 2025 par CAO NAIYU · 2025-09-01 |
Mots-clés: Maroc |
Muet mais éloquent, un spectacle a livré à un public marocain conquis l’essence même de la pensée chinoise.
Des comédiens interprètent Le Héron, l’Huître et le Poisson. (THÉÂTRE NATIONAL CHINOIS POUR ENFANTS)
Sur scène, un nuage flottant, quelques lotus délicats, une touche de bambous verts, un oiseau, une huître, un poisson et un couple de pêcheurs, composent un paysage rural paisible semblable à un rouleau de peinture traditionnelle.
En mai dernier, la pièce Le Héron, l’Huître et le Poisson du Théâtre national chinois pour enfants a été présentée dans trois villes marocaines : Tétouan, Kénitra et Rabat. Alliant la magie de l’opéra traditionnel chinois à une esthétique orientale, ce spectacle sans paroles, inspiré du proverbe chinois « Quand le héron et l’huître se disputent, c’est le pêcheur qui en tire profit », a su transcender les frontières linguistiques pour offrir aux spectateurs marocains une initiation poétique à la sagesse chinoise.
Des spectateurs assistent à la représentation de la pièce Le Héron, l’Huître et le Poisson à Tétouan, au Maroc. (SUN MING)
Une sagesse harmonieuse
« Certaines harmonies se ressentent plus qu’elles ne s’expliquent », confie le metteur en scène, Wu Xu. Dans son approche, chaque élément est étroitement lié au principe de « traiter la complexité par la simplicité », où le vide devient un espace de résonance plutôt qu’une absence. Inspiré par la peinture à l’encre classique, il applique cette sagesse millénaire : la vraie beauté se contemple à distance. Sa mise en scène atteint cette quintessence poétique des quatrains traditionnels chinois, où 20 caractères suffisent à évoquer l’infini. Cette simplicité, loin d’être une limite, devient la source même de la puissance évocatrice de l’âme de l’esthétique orientale.
À travers ce conte poétique aux couleurs chinoises, M. Wu souhaite transmettre une sagesse orientale intemporelle. Pour captiver les enfants, l’équipe a imaginé une scénographie interactive et ludique : des bancs de poissons aux textures douces, une huître à l’allure naïve, ainsi qu’un héron aux ailes et au bec expressifs. La pièce établit ainsi un pont de dialogue direct avec le jeune public.
« Ces éléments visuels, à la fois distinctifs et attachants, captent immédiatement l’attention des spectateurs tout en enrichissant la gestuelle des personnages », présente la scénariste, Feng Li. Basé sur un proverbe chinois qui fait référence à un pêcheur, le spectacle s’est enrichi d’un deuxième pêcheur, ce qui renforce encore la dimension humaine à cette fable.
La structure narrative déploie d’abord la querelle traditionnelle avant d’introduire le conflit conjugal des pêcheurs, pour finalement converger vers un message universel d’harmonie. Selon Mme Feng, cette dramaturgie illustre avec subtilité l’idéal de coexistence harmonieuse, par le biais du contraste figuratif entre « lutter » et « ne pas lutter », permettant aux jeunes spectateurs locaux de comprendre une philosophie orientale centrée sur la paix.
« L’absence de paroles exige que chaque émotion passe par le corps », souligne Song Jianlin, interprète du pêcheur. Il faut donc élargir le champ d’expression du langage corporel, tout en préservant l’exigence esthétique. En d’autres termes, il convient de dépasser les limites de la forme physique pour manifester pleinement le charme artistique. Cette performance a permis aux spectateurs étrangers de ressentir la créativité et la vitalité du théâtre chinois.
Signature d’autographes pour les enfants après la représentation. (SUN MING)
Un pont culturel
La pièce s’inspire d’une ancienne parabole chinoise consignée dans les Stratégies des Royaumes combattants. Dans le récit d’origine, une bécassine, un oiseau aquatique au long bec, aperçoit une palourde qui entrouvre sa coquille pour se réchauffer au soleil. Voulant en profiter, l’oiseau tente aussitôt de picorer la chair de la palourde, mais cette dernière referme brusquement sa coquille, emprisonnant le bec de l’assaillant. Aucun des deux ne veut céder, et tandis qu’ils luttent en vain, un pêcheur passe par là et les attrape tous les deux sans effort. L’histoire illustre l’idée que lorsque deux parties s’affrontent obstinément jusqu’à l’épuisement, une tierce partie peut en tirer parti.
Porté par la conviction de Zhang Yansheng, secrétaire du Comité du Parti pour le Théâtre national chinois pour enfants, cet échange artistique fut bien plus qu’une tournée. Croyant au pouvoir universel de l’enfance, il voit dans l’art un pont entre les peuples. C’est dans cet esprit que la troupe a partagé les trésors de la culture chinoise avec les enfants marocains.
Dans l’écrin historique du centenaire Théâtre espagnol, Le Héron, l’Huître et le Poisson a ouvert en grande pompe le 16e Festival international de théâtre pour enfants de Tétouan, déclenchant des rires joyeux parmi les petits spectateurs. Au Centre culturel de Kénitra comme au Théâtre Al Mansour à Rabat, la magie a aussi opéré : les expressions corporelles parlantes et les accessoires délicats ont captivé les enfants, créant une complicité immédiate au-delà des mots.
Plus qu’un spectacle, la tournée de la pièce Le Héron, l’Huître et le Poisson marque une étape importante dans le rapprochement culturel sino‑marocain. Elle reflète une Chine confiante et ouverte, partageant avec générosité son patrimoine artistique. Sans paroles, mais chargé d’émotions, ce dialogue scénique a permis aux jeunes Marocains de découvrir la richesse et l’humanisme de la culture chinoise.
L’événement s’inscrit dans le cadre des échanges culturels croissants entre la Chine et le Maroc. Après la pièce pour enfants, une représentation d’opéra chinois a été donnée en juin à Meknès, dans le nord du Maroc. Plus de 500 spectateurs ont assisté à ce festin culturel aux accents du sud de la Chine. La troupe Guangzhou Cantonese Opera Theatre a interprété des extraits classiques d’opéra cantonais, des ensembles de musique du Guangdong, ainsi que des démonstrations d’arts martiaux, le tout salué par des applaudissements nourris.
En janvier de cette année, une cérémonie a marqué la reprise de la ligne aérienne directe entre Casablanca et Beijing. Inaugurée en 2020, cette liaison avait été suspendue en raison de la pandémie de COVID‑19. Sa réouverture a permis de ramener la durée du voyage entre la Chine et le Maroc de plus de 20 heures à seulement 12. Les participants à la cérémonie ont exprimé leur optimisme quant à l’augmentation du nombre de visiteurs chinois au Maroc, qui a déjà dépassé les 100 000 en 2024.
Alors que les deux pays resserrent leurs liens, leur goût partagé pour les traditions culturelles riches promet d’ouvrir la voie à de nouveaux échanges, à une meilleure compréhension mutuelle et à des célébrations toujours plus nombreuses dans les années à venir.
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