| 2025-11-04 |
Cœur battant de la réforme |
| VOL. 17 / NOVEMBRE 2025 par BUSANI NGCAWENI · 2025-11-04 |
| Mots-clés: Xi Jinping : La gouvernance de la Chine |
La pensée de Xi Jinping oriente la gouvernance des entreprises publiques chinoises.

Un ouvrier installe des composants sur la chaîne de production de Voyah, marque publique de véhicules à énergies nouvelles, à Wuhan, province du Hubei, le 9 avril. (XINHUA)
La gouvernance des entreprises publiques (EP) occupe depuis longtemps une place centrale dans les débats politiques et économiques. Trop souvent, on associe les EP à l’inefficacité, à la recherche de rente ou à des pesanteurs idéologiques, les considérant comme des reliques d’un passé révolu. Pourtant, dans bon nombre d’États développementalistes, elles ont été de puissants leviers d’industrialisation, d’innovation technologique et de résilience nationale. La Chine en offre sans doute l’exemple le plus saisissant. Non seulement ses EP ont survécu, mais elles se sont transformées, certaines s’imposant désormais comme des multinationales compétitives dans des secteurs stratégiques comme l’énergie, les infrastructures ou les télécommunications.
Les cinq volumes de Xi Jinping : La gouvernance de la Chine, signés du Président chinois Xi Jinping, offrent une lecture singulière de cette évolution. Plus que des guides de gestion, ces écrits constituent une réflexion approfondie sur la mission et la gouvernance du secteur public dans une économie de marché socialiste. Leur progression est claire : réforme et efficacité d’abord, innovation et résilience ensuite, consolidation et compétitivité enfin. M. Xi y codifie une décennie d’expérience et appelle les EP à viser l’excellence mondiale.
Plutôt que la privatisation, sa pensée propose une redéfinition du rôle des EP : repenser leur mandat, moderniser leur gouvernance et élargir les critères d’évaluation. L’objectif est assumé : faire des EP non de simples entités économiques, mais des instruments stratégiques au service de la montée en puissance de la Chine.
Réforme et efficacité
Dans les volumes I et II, M. Xi dresse un constat lucide des maux qui affectaient durablement le secteur public : surcapacités, rendements faibles et inerties bureaucratiques. Il défend alors une réforme structurelle du côté de l’offre, destinée à réduire les coûts de transaction et à éliminer les surcapacités, notamment dans l’industrie lourde. Il soutient également la réforme en matière d’introduction de la propriété mixte dans les EP.
À ce stade, la performance est essentiellement envisagée sous l’angle financier. Il s’agit d’améliorer le rendement des actifs et de moderniser les structures de gestion. Pour combattre la recherche de rente et l’inefficacité, le Président Xi promeut un système de responsabilité de l’exploitation. Cette étape marque l’entrée du secteur public dans une logique de compétition, au sein même d’une économie de marché socialiste.
Innovation et résilience
Avec les bouleversements de l’environnement mondial, le discours évolue dans les volumes III et IV. M. Xi appelle les EP à prendre la tête des industries émergentes d’importance stratégique. Il les incite à investir dans les semi-conducteurs, les énergies renouvelables ou la fabrication avancée : des domaines à fort potentiel, mais à haut risque, souvent sous-investis par les marchés.
Les EP deviennent aussi des stabilisateurs systémiques. Lors de la pandémie de COVID-19, elles ont su préserver les chaînes d’approvisionnement, soutenir les services de santé et sécuriser l’accès à l’énergie, absorbant ainsi des chocs qui auraient pu déstabiliser l’ensemble de l’économie.
La notion de performance s’élargit alors. La rentabilité ne suffit plus : les EP sont également jugées sur leur capacité à innover et à renforcer la résilience nationale. Leur mission devient explicitement développementaliste : combler les défaillances du marché, garantir la souveraineté et prévenir les risques systémiques. C’est la deuxième étape, de la réforme à la compétitivité.
Vers un mandat développementaliste
Le cinquième volume opère une synthèse lucide de cette trajectoire. Le Président Xi y célèbre les avancées, tout en soulignant les fragilités persistantes : système de marché encore perfectible, articulation État-marché à clarifier, innovation insuffisante, dépendance technologique étrangère, vulnérabilités agricoles, disparités régionales et carences sociales et environnementales.
Ces déséquilibres, s’ils demeurent, pourraient se transformer en « cygnes noirs » ou en « rhinocéros gris » menaçant le développement. Pour M. Xi, seule une réforme globale permettra de saisir les opportunités tout en prévenant les crises. Il place la réforme des EP au cœur de cette stratégie : les rendre plus fortes, plus efficaces et plus influentes.
Dans son rapport au XXe Congrès national du Parti communiste chinois, M. Xi appelle à renforcer les EP, à optimiser leur organisation et à accroître leur compétitivité de base.
Désormais, c’est à la croisée de la gouvernance, de l’innovation et de la performance que se joue leur avenir. Les EP sont évaluées non seulement sur leurs résultats financiers, mais aussi sur leur contribution au progrès collectif : percées technologiques, résilience des chaînes d’approvisionnement, équilibre régional et transition verte. L’inefficacité et la recherche de rente y sont vues comme des menaces existentielles, auxquelles seules une gouvernance rigoureuse et une innovation constante peuvent répondre.
Compétitivité mondiale
Ce processus de transformation a permis aux EP chinoises non seulement de survivre, mais aussi de devenir des multinationales de premier plan. Des groupes comme State Grid, Sinopec, COSCO Shipping ou China Railway Construction démontrent la capacité du secteur public à rivaliser au plus haut niveau. Loin de tout dogmatisme, ces entreprises ont misé sur l’innovation, modernisé leur gouvernance et aligné leur performance sur les priorités stratégiques. Ce qui avait commencé comme une quête d’efficacité s’est mué en ambition mondiale : les EP chinoises sont désormais à la fois championnes nationales et actrices mondiales.
Pour le Sud global, cette trajectoire offre des leçons utiles. Dans bien des pays, les EP restent à la fois indispensables et fragiles. L’exemple chinois prouve que la privatisation n’est pas une fatalité. Avec une réforme continue, une gouvernance rigoureuse et une stratégie d’innovation, les EP peuvent devenir des moteurs de développement et de compétitivité.
À l’heure où nombre de dirigeants misent sur la force, les réflexions de M. Xi rappellent que l’action publique fondée sur la coopération et la pensée stratégique reste possible. Là où le Nord voit une menace, le Sud peut reconnaître un modèle d’ingénierie institutionnelle à étudier et adapter. Toute pratique n’est pas transposable, mais un principe demeure : une EP peut être alignée sur une vision nationale, gouvernée avec rigueur et évaluée à l’aune de son utilité collective.
Modernité d’État
Le cinquième volume de Xi Jinping : La gouvernance de la Chine se distingue par sa capacité de synthèse et son ambition stratégique. Il articule les leçons de la réforme, de l’innovation et de la résilience en une théorie cohérente de la modernisation à la chinoise, où les EP endossent un mandat développementaliste guidé par l’exigence, la technologie et la responsabilité. Il appelle à aller plus loin : bâtir des EP plus fortes, plus performantes et de rang mondial.
Dans un monde en quête d’idées neuves, il est salutaire de lire un ouvrage politique axé sur la gouvernance, l’innovation et la performance. M. Xi rappelle que les EP ne sont pas condamnées à la stagnation : avec de la vision et de la rigueur, elles peuvent devenir des leviers de stratégie nationale et des vecteurs de compétitivité mondiale. Une leçon qui mérite l’attention du Sud global, où la gouvernance des EP reste un enjeu majeur.
L’auteur est directeur du Centre pour les politiques publiques et les études africaines à l’Université de Johannesburg, en Afrique du Sud.
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