2025-09-01 |
L'union fait le réseau |
VOL. 17 / SEPTEMBRE 2025 par AYANDA HOLO · 2025-09-01 |
Mots-clés: Sud global |
Le Sud global doit affirmer sa souveraineté numérique par l’infrastructure, l’innovation et la solidarité.
Techniciens à l’œuvre dans le centre de données Digital Delta, construit avec l’appui chinois, à Gaborone, au Botswana, le 11 septembre 2023. (XINHUA)
Dans un centre technologique délabré, niché au bord d’un littoral oublié, de jeunes développeurs angolais tapotent sur des ordinateurs portables de seconde main. Malgré une connexion Internet capricieuse et une dépendance aux interfaces de programmation d’application étrangères, ils s’acharnent à perfectionner des applications de santé destinées à alerter les cliniques rurales en cas d’épidémie. Leur persévérance face à l’adversité nourrit bien plus que l’innovation : elle insuffle un espoir tangible.
Lors du Forum TIC Angola 2025, tenu en juin dernier, ces jeunes incarnaient une volonté farouche. Leur calme détermination révélait un bouleversement profond : un glissement tectonique à l’œuvre dans le Sud global. Longtemps réduit à un terrain d’essai pour des logiciels venus d’ailleurs, le continent affirme désormais sa volonté de maîtriser sa connexion. Pour moi comme pour eux, une chose est claire : l’avenir numérique de l’Afrique ne peut être ni emprunté, ni vendu, ni externalisé. Il doit être revendiqué, construit et défendu par une collaboration solidaire entre pays du sud global.
De locataires à architectes
La souveraineté numérique, c’est-à-dire le contrôle des données, des infrastructures et des plateformes par les nations, n’est plus un sujet de colloque mais une urgence géopolitique. Comme le souligne la spécialiste kényane Nanjira Sambuli, un pays sans maîtrise de ses fondations numériques n’est qu’un « locataire dans la maison numérique d’un autre ». Pourtant, les systèmes vitaux de l’Afrique, tels que les logiciels électoraux, les registres d’identité ou les passerelles de paiement, reposent encore sur des serveurs et du code étrangers. Une dépendance lourde de conséquences.
La présidence sud-africaine du G20 s’emploie à améliorer les paiements transfrontaliers. Mais au-delà de la vitesse et du coût, le véritable enjeu est de transformer ces systèmes en biens publics souverains. Ce pourrait être aussi l’occasion de promouvoir davantage les monnaies locales.
Il ne s’agit pas seulement de technologie, mais d’autonomie économique : savoir qui détient l’avenir et qui y a droit. Aucune transformation durable n’est envisageable si nos économies reposent sur des plateformes contraires aux valeurs des BRICS. Pour Fang Xingdong, fondateur du groupe de réflexion technologique ChinaLabs, la Route de la soie numérique offre une alternative Sud-Sud à l’hégémonie occidentale sur les données.
Le potentiel de l’Afrique se concrétisera lorsque les États, engagés dans les cadres des BRICS et de l’initiative « la Ceinture et la Route », mettront en œuvre un plan ambitieux pour mobiliser plus de 2,9 milliards de dollars via le mécanisme d’investissement numérique de la Banque africaine de développement. Les premiers résultats sont déjà visibles : des projets améliorent la vie quotidienne des Africains et consolident la souveraineté économique du continent.
Alliances numériques Sud-Sud
Alors que les tensions géopolitiques s’aggravent ailleurs, les pays du Sud global, du Venezuela au Vietnam, explorent de nouvelles voies d’autodétermination technologique. Les BRICS Plus en deviennent l’une des principales plateformes. Par sa Route de la soie numérique, la Chine a déjà déployé des milliers de kilomètres de fibre optique en Afrique. Elle a soutenu les télécommunications en Angola, financé des centres de données, et collabore en Afrique du Sud, via Huawei et China Telecom, avec MTN pour développer la 5G et les services cloud.
Souvent qualifiés à tort de « pièges de la dette » par l’Occident, ces projets appellent un regard plus nuancé. Des spécialistes comme Deborah Brautigam rappellent que les prêts chinois sont fréquemment renégociés. L’enjeu, disent les experts, est de savoir si ces investissements renforcent des capacités souveraines ou se limitent à combler des lacunes.
Les décideurs africains doivent considérer la Chine non comme un simple bailleur de fonds, mais comme un allié stratégique pour notre autonomie numérique. Elle fut à nos côtés hier ; traitons-la en amie fidèle pour bâtir ensemble notre souveraineté de demain.
Souveraineté connectée
Au cœur de cette souveraineté numérique se joue une autre bataille : celle des récits. En 2025, plus de 80 % des contenus médiatiques africains sont hébergés, modérés et monétisés par des plateformes occidentales.
Pour inverser cette tendance, les médias doivent créer des réseaux régionaux de distribution, à l’image de ceux en gestation en Afrique du Sud, pour porter des récits d’innovation, d’ancrage local et d’identité partagée. Il est temps d’élaborer une charte de solidarité numérique, feuille de route multilatérale pour une coopération Sud-Sud en matière de technologies et de médias, incluant le développement open source, des co-investissements dans les infrastructures satellites et cloud, ainsi que la reconnaissance mutuelle des législations sur les données.
Les mouvements de libération africains ont montré qu’aucun pays n’est libre tant que tous ne le sont pas. À l’ère numérique, cette leçon reste valable. Des champs de bataille d’Angola aux dépôts de code au Nigeria, nos victoires naissent de la solidarité, et l’espace numérique n’y échappe pas. Les infrastructures que nous bâtirons traceront l’inclusion économique des cent prochaines années.
L’enjeu est simple : rester de simples utilisateurs ou devenir des citoyens numériques, maîtres de leur destin. La souveraineté numérique, plus qu’un enjeu technique, est un acte de courage fondé sur la réciprocité, le respect et le progrès partagé, l’âme même de la liberté, réinventée en fibre et en données.
L'auteur est président de TV BRICS AFRICA.
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