2023-08-09 |
Renforcer la légitimité des BRICS |
VOL. 15 AOÛT 2023 par Evandro M. de Carvalho · 2023-08-09 |
Mots-clés: BRICS |
L’institutionnalisation du groupe se révèle bénéfique pour son processus d’expansion.
Le Président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva (quatrième à droite, au premier plan) assiste à l’inauguration d’un chemin de fer intégré Est-Ouest construit par la Chine à Ilhéus, Bahia, au Brésil, le 4 juillet. (XINHUA)
Le prochain Sommet des BRICS en Afrique du Sud a plusieurs sujets notables à son ordre du jour. On pourrait notamment citer ceux liés à l’usage des monnaies nationales pour les relations commerciales intra-BRICS et l’expansion du groupe. Toutefois, un troisième sujet mérite une attention particulière : la coopération dans le domaine des infrastructures numériques pour favoriser le développement d’une économie et d’une gouvernance numériques.
Bien que l’idée d’une monnaie commune BRICS soit actuellement irréalisable, l’initiative visant à étendre les accords pour financer le commerce bilatéral dans la monnaie nationale gagne du terrain parmi les cinq pays. Les risques pour la souveraineté économique, découlant d’une dépendance excessive vis-à-vis de la devise américaine, et la nécessité de réduire les coûts de transaction dans les relations commerciales intra-BRICS, font de ce point de l’agenda une priorité.
Le processus de dédollarisation de l’économie mondiale s’annonce lent. Néanmoins, il semble irréversible et est stimulé par les efforts diplomatiques intenses de la Chine pour promouvoir le yuan dans ses relations avec ses pays partenaires. La plupart des accords commerciaux entre la Russie et la Chine sont déjà effectués en rouble et en yuan. Par ailleurs, l’accord entre la Chine et le Brésil pour faciliter les transactions directes entre le réal et le yuan dans les opérations commerciales bilatérales a été bien accueilli au Brésil, indiquant une réceptivité des acteurs économiques brésiliens à cette mesure.
Une question délicate
L’élargissement des BRICS n’est pas une question anodine, car il pourrait conduire à un bouleversement de la géopolitique internationale. La Chine, depuis qu’elle a introduit l’idée des « BRICS Plus », a indiqué son intention d’agrandir le groupe. De son côté, le Brésil estime que des dialogues de sensibilisation avec les pays invités aux sommets sont suffisants.
Récemment, l’idée d’une expansion du groupe a repris de la vigueur suite à un « stimulus externe ». Plus de 40 pays ont exprimé leur souhait de rejoindre le groupe de manière permanente. Pourquoi cet intérêt croissant pour le groupe BRICS, qui a été accueilli avec scepticisme par la communauté internationale, en particulier les puissances occidentales, dans ses premières années ? La quête d’un multilatéralisme inclusif et orienté vers les résultats pourrait être une réponse à cette question.
Néanmoins, certains analystes estiment que l’élargissement du groupe BRICS pourrait affaiblir sa force en rendant la prise de décision plus difficile. D’autres soulignent le risque que le groupe soit perçu par la communauté internationale comme un G20 des pays en développement, ou une version à plus petite échelle du G77. Les demandes d’adhésion de l’Iran, de l’Arabie saoudite, du Nicaragua, de l’Afghanistan et des Émirats arabes unis sont parfois interprétées comme la formation d’un bloc anti-démocratique ou à tendance anti-
occidentale. Certains suggèrent que l’expansion du groupe BRICS sert exclusivement les intérêts de la Chine.
Si l’expansion peut effectivement servir l’intérêt national chinois (comme tous les pays cherchent à défendre leurs intérêts nationaux), elle pourrait également diluer plutôt que de renforcer la puissance chinoise. Certes, l’augmentation du nombre de pays représente un défi pour le groupe, mais ce défi ne peut être surmonté qu’avec des objectifs et des méthodes de travail clairement définis. Le manque d’institutionnalisation est, dans ce cas, un problème.
Les BRICS ne visent pas à devenir un nouveau G20 ou une version du G77. Le groupe se caractérise par son programme réformiste de gouvernance mondiale en faveur d’un multilatéralisme inclusif. Cela le distingue du G20 ou du G77. Les BRICS ne forment pas non plus un bloc « anti-tout ». Il suffit de lire attentivement les déclarations de tous les sommets pour s’en rendre compte. Si le groupe ne se consacre pas spécifiquement à la promotion de la démocratie au sein de chaque pays, il ne s’oppose pas non plus à un régime démocratique. Les BRICS sont axés sur le développement socio-
économique de leur population au niveau national.
Le Brésil et l’Inde montrent une certaine réticence à l’expansion des BRICS. Ils comprennent la nécessité de définir les critères d’acceptation des nouveaux membres. Concernant le Brésil, le Président Lula a manifesté de la sympathie pour l’adhésion du Venezuela, qui n’a pas encore demandé à rejoindre le groupe, mais cette même sympathie n’est pas évidente pour l’Argentine. Le manque de critères d’adhésion est apparent. L’adhésion possible de l’Argentine aux BRICS ne semble pas être accueillie favorablement par une partie du gouvernement brésilien. Le ministère brésilien des Affaires étrangères craint que le Brésil ne perde de son influence dans ses relations avec les autres pays BRICS. Pour le Brésil, l’entrée de l’Argentine dans les BRICS doit s’inscrire dans un cadre qui répond aux intérêts de la politique étrangère brésilienne. Le problème est que le gouvernement Lula n’a pas encore défini ce cadre. Le soutien du gouvernement Lula à l’entrée de l’Argentine dans la Nouvelle banque de développement n’éclaircit pas cette question mais pointe dans une direction.
Un véhicule opère sur un projet de construction de route financé par la Nouvelle banque de développement à Pará, au Brésil, le 18 mai 2022. (XINHUA)
Nécessité d’une institutionnalisation
Il est important de rappeler que les BRICS ne constituent pas une organisation internationale à proprement parler. Par conséquent, il n’existe pas de règles préétablies régissant l’adhésion de nouveaux membres. Ce processus d’adhésion s’avère alors trop ouvert et fortement politisé. Il est temps d’envisager l’institutionnalisation des BRICS, c’est-à-dire de les transformer en organisation internationale, tout en adoptant une structure institutionnelle simplifiée. La discussion sur les critères d’adhésion de nouveaux membres est caractéristique de l’Accord constitutif d’une organisation internationale et offrirait une plus grande sécurité juridique et politique à tous. De plus, une institutionnalisation efficace favorise une gestion plus transparente, une moindre dépendance envers un pays ou un autre et une plus grande protection du groupe contre les ingérences extérieures.
Au lieu de se focaliser uniquement sur la question de savoir qui rejoint les BRICS et qui ne le fait pas, il serait plus judicieux de concentrer nos efforts sur la mise en ordre de la « maison » et de lui fournir la structure adéquate pour assurer un avenir encore meilleur aux BRICS.
Enfin, les BRICS doivent exploiter leur potentiel de coopération intense pour développer leurs agendas liés aux nouvelles technologies et promouvoir une infrastructure numérique. C’est l’avenir du groupe BRICS. Cette question est intrinsèquement liée à son institutionnalisation, qui pourrait bénéficier des progrès technologiques pour une structure institutionnelle plus efficace, simplifiée et facilement accessible à tous ses membres. Il est nécessaire non seulement d’élargir le groupe, mais aussi d’étendre son influence au sein des sociétés de ses pays membres. Une expansion graduelle et globale permettra à ses membres d’exploiter leur plein potentiel. Les BRICS ne concernent pas uniquement les gouvernements, mais également les individus impliqués. Cela conférera aux BRICS une légitimité renforcée pour faire face aux défis du monde d’aujourd’hui.
L’auteur est professeur de droit international à l’UFF et à la FGV (Brésil), et rédacteur en chef exécutif du magazine China Hoje, Brésil.
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