2023-08-15 |
Les locomotives numériques |
VOL. 15 AOÛT 2023 par Luca Belli · 2023-08-15 |
Mots-clés: BRICS |
Les pays BRICS renforcent leur coopération dans le domaine de l’économie numérique.
Un chien-robot intelligent a été présenté lors de l’Exposition 2021 sur la nouvelle révolution industrielle des BRICS à Xiamen, dans la province du Fujian, en Chine, le 8 septembre 2021. (XINHUA)
En 1990, un rapport significatif de la Commission Sud marquait un tournant décisif pour le Sud global en préconisant la coopération Sud-Sud et en officialisant la théorie des « locomotives du Sud ». Il soulignait la nécessité pour les pays du Sud de ne pas dépendre de leurs anciens colonisateurs ou de forces impérialistes pour conduire leur développement. « Les nouvelles forces motrices doivent être trouvées au sein du Sud lui-même », affirmait le rapport.
Avec une représentation de 41 % de la population mondiale, 23 % du PIB mondial et 18 % du commerce mondial, il est difficile de ne pas percevoir les pays BRICS comme de potentielles locomotives. Depuis la fondation du groupe, le nombre de réunions gouvernementales et multipartites, de partenariats et d’initiatives orchestrés par celui-ci chaque année n’a fait qu’augmenter. Aucun dirigeant n’a jamais manqué un sommet annuel des BRICS.
Plus de deux décennies après la formation de l’acronyme BRICS, la mission fondamentale du groupe reste inchangée : construire un ordre multipolaire où la gouvernance mondiale et le développement peuvent être pilotés par les pays du Sud pour bénéficier aux pays en développement.
Pour réaliser un objectif aussi ambitieux, il est devenu évident, tant pour les pays membres des BRICS que pour les pays non membres, que les technologies numériques, la gouvernance numérique et les politiques numériques jouent un rôle crucial.
La primauté des technologies
La pandémie de COVID-19 nous a rappelé de façon éloquente le rôle primordial des technologies numériques au sein de nos sociétés et nos économies, se révélant comme un catalyseur indispensable de pratiquement tout service, qu’il soit privé ou public. Dans des domaines tels que l’éducation, la sécurité nationale, la santé ou le commerce et la culture, la plupart des services se numérisent, marquant une tendance irréversible.
Au cours des cinq dernières années, principalement en raison des bouleversements induits par la COVID-19, la façon dont nous travaillons, communiquons et commerçons a subi une mutation radicale. Lors du premier Sommet des BRIC en 2009 (l’Afrique du Sud n’était pas encore membre), les termes « numérique » ou « cyber » n’ont même pas été évoqués une seule fois dans leur déclaration commune initiale. En revanche, ces termes apparaissent 23 fois dans la Déclaration de Beijing du 14e Sommet des BRICS, adoptée le 23 juin 2022.
La transformation numérique révolutionne la vie quotidienne à un rythme sans précédent. Cette révolution génère des opportunités extraordinaires, mais elle engendre aussi des défis de taille. Dans ce contexte, les pays BRICS ont démontré qu’ils étaient non seulement les « locomotives du Sud », mais aussi capables d’agir en tant que moteurs de l’innovation, que ce soit en matière de technologie numérique ou de gouvernance numérique.
En moins d’une décennie, les pays BRICS se sont hissés au rang de leaders régionaux ou mondiaux des technologies numériques. Par exemple, la Chine, l’Inde et le Brésil sont passés du statut de pays les moins connectés à celui de champions mondiaux des paiements en ligne en à peine huit ans. Ensemble, les BRICS ont le potentiel de devenir les « locomotives numériques du Sud ».
Une gouvernance innovante
Depuis les révélations de l’ancien sous-traitant de la National Security Agency, Edward Snowden, les pays BRICS ont encouragé de nombreuses initiatives de gouvernance destinées à stimuler la coopération numérique à l’échelle mondiale.
Dans la foulée de ces révélations, le Brésil a convoqué la Réunion multipartite mondiale sur l’avenir de la gouvernance de l’Internet, plus connue sous le nom de « NETmundial ». Tenue à São Paulo en 2014, cette réunion a abouti à une déclaration multipartite ambitieuse. Cependant, avec le temps, il est devenu clair que l’ambition seule n’est pas suffisante ; elle doit être soutenue par des ressources et une stabilité pour engendrer des résultats significatifs.
Dans cette optique, la Chine a lancé, également en 2014, un nouvel effort mondial visant à favoriser la gouvernance du cyberespace : le Sommet de Wuzhen de la Conférence mondiale de l’Internet. Organisée annuellement par les autorités chinoises, cette conférence offre un forum précieux pour discuter des solutions à une multitude de problèmes liés aux technologies numériques.
L’Inde a également accueilli la Conférence mondiale sur le cyberespace en 2017 ; la Russie organise son immense conférence sur l’intelligence artificielle, Artificial Intelligence Journey, depuis 2019 ; et l’Afrique du Sud est devenue le pays africain le plus actif dans la majorité des instances de gouvernance de l’Internet.
Il est important de souligner qu’en juillet 2022, sous la présidence chinoise du groupe, le premier Forum numérique des BRICS a été organisé. Ce forum a offert une occasion exceptionnelle aux pays BRICS de débattre plus en profondeur de leurs approches respectives en matière de technologies numériques et de gouvernance, et d’identifier des terrains d’entente pour renforcer la coopération.
Des visiteurs découvrent une gamme de smartphones présentés par TCL au Eletrolar Show 2022 à São Paulo, au Brésil, le 11 juillet 2022. (XINHUA)
Vers une interopérabilité juridique
Les initiatives menées par les pays BRICS témoignent non seulement de l’importance cruciale qu’ils accordent aux technologies numériques et à leur gouvernance, mais également de la convergence des cadres réglementaires. Il devient de plus en plus clair que les BRICS ont saisi la valeur de l’interopérabilité des technologies numériques – favorisant l’échange d’informations et l’accès ou la fourniture de services à l’échelle mondiale – ainsi que des normes interopérables qui facilitent le commerce international tout en préservant la souveraineté nationale et numérique.
Préserver la souveraineté et promouvoir l’ouverture sont et doivent être perçus comme des objectifs compatibles, à condition qu’ils soient soutenus par des cadres juridiquement interopérables. Une telle interopérabilité juridique peut être obtenue par diverses stratégies, en favorisant la convergence des normes et en offrant des niveaux de protection similaires aux utilisateurs ainsi que des obligations similaires aux producteurs de biens numériques et aux fournisseurs de services numériques.
Cette interopérabilité juridique devrait être au cœur des efforts des BRICS pour renforcer leur coopération numérique, tout en offrant un modèle alternatif de gouvernance numérique, soutenu par les pays du Sud et axé sur l’ouverture et l’inclusion. Il est important de souligner que, comme l’a démontré le projet CyberBRICS, de nombreuses politiques et normes numériques dans les pays BRICS sont déjà remarquablement compatibles.
Malgré leurs divergences sur certaines questions, les pays BRICS ont montré une force impressionnante lorsqu’ils agissent conjointement. Par exemple, la création de la Nouvelle banque de développement des BRICS est universellement reconnue comme une réalisation remarquable.
Même sur des sujets traditionnellement délicats tels que la gouvernance de la cybersécurité, ils peuvent parvenir à un consensus. Les pays BRICS, représentés parmi les 25 experts en cybersécurité de l’ONU, ont produit un rapport de consensus en 2021. La même année, le 13e Sommet des BRICS a appelé à des cadres juridiques de coopération et un accord intergouvernemental sur la coopération.
Dans ce contexte, le potentiel des pays BRICS pour devenir les « locomotives numériques du Sud » est immense. Les pays BRICS ont la force, la pertinence et la créativité nécessaires pour proposer un modèle de gouvernance numérique dirigé par les pays du Sud. Comme l’a un jour déclaré le Président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva, la logique derrière les BRICS est de « faire quelque chose de différent et de ne copier personne ».
L’auteur est professeur à la Fundação Getulio Vargas Law School, Rio de Janeiro, Brésil.
Domaines prometteurs de collaboration future des BRICS en matière d’économie numérique
S’inspirant de la Stratégie de partenariat économique des BRICS à l’horizon 2025 ainsi que d’autres initiatives stratégiques, et capitalisant sur les accomplissements précédents, les pays BRICS ont le potentiel de renforcer considérablement leur coopération numérique dans les secteurs suivants :
Réduction de la fracture numérique
• Partage d’informations sur les politiques d’investissement liées aux infrastructures numériques.
• Financement de projets en matière d’infrastructure numérique, par exemple à travers la Nouvelle banque de développement.
• Promotion de la culture numérique, consolidation des petites entreprises et soutien aux entreprises numériques dirigées par des femmes.
Promotion des discussions sur la gouvernance numérique
• Participation active aux dialogues sur la gouvernance numérique dans divers forums internationaux, y compris sur la gouvernance des données et la politique de concurrence.
• Plaidoyer commun pour la réduction de la fracture numérique à l’échelle mondiale.
Amélioration de l’évaluation de l’économie numérique
• Échanges réguliers entre les bureaux nationaux de statistique et partage des données en temps réel.
• Appui au groupe de travail du G20 sur l’évaluation de l’économie numérique.
• Encouragement du secteur privé à participer à la collecte de données.
Stimulation de la coopération dans le secteur privé
• Organisation de foires commerciales et d’investissement, ainsi que des événements de partenariat entre entreprises.
• Diffusion d’informations sur les réglementations et les opportunités d’affaires.
• Promotion de la collaboration entre les organismes d’aide aux entreprises.
• Facilitation de la mobilité des talents et des professionnels du monde des affaires.
Facilitation du développement et de l’adoption de nouvelles technologies numériques
• Promotion d’initiatives conjointes de recherche scientifique et technologique.
• Renforcement des échanges entre les institutions de recherche et les universités.
• Soutien à la coopération entre les universités et les entreprises.
SOURCE : RAPPORT SUR L’ÉCONOMIE NUMÉRIQUE DES BRICS 2022
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