À Pu’er, au Yunnan, dès l’aube, la modernisation des champs s’inscrit dans le quotidien des agriculteurs. Ainsi, Luo Baozhen, autrefois en grande précarité, consulte sur son smartphone les alertes météo de son verger de thé. Aujourd’hui, elle exploite 8 mu (0,53 hectare) de terrain, récoltant plus de 4 tonnes de feuilles et générant un revenu annuel supérieur à 28 000 yuans (3 868 dollars). Ce changement spectaculaire traduit l’impact du « document central No 1 », première déclaration politique émise chaque année par les autorités centrales. Depuis 2004, les questions agricoles y figurent en bonne place. La version  2025, dévoilée en février, réaffirme l’engagement du pays en faveur d’une revitalisation rurale fondée sur des réformes structurelles et l’intégration de technologies avancées. 

Garantir la sécurité alimentaire 

En 2024, la production céréalière nationale a atteint un record historique de 706,5 millions de tonnes. Un succès qui ne doit rien au hasard. Le document insiste sur la nécessité de maintenir une sécurité alimentaire rigoureuse. Selon Han Wenxiu, directeur du Bureau du Groupe dirigeant central pour les affaires rurales, « la production de céréales en Chine est encore dans une situation de tension entre l’offre et la demande, et une fois que la production baisse, il est difficile de la redresser rapidement ». Ce constat justifie l’adoption de mesures rigoureuses. 

Parmi elles, l’interdiction de reconvertir les terres arables à d’autres usages que la culture de céréales, mais aussi la prolongation de 30 ans des contrats forfaitaires arrivés à terme. Ces garanties foncières visent à sécuriser les investissements des agriculteurs et à assurer une production continue et durable. En parallèle, un mécanisme de compensation mêlant subventions, assurances agricoles et contrats d’achat vient protéger les producteurs des aléas du marché et du climat. 

Dans la province du Jilin, un programme d’assurance couvrant les coûts de revient du maïs, du riz et du blé a permis de soutenir la production, qui a atteint un niveau record de 42,7 millions de tonnes en 2024. Selon Zhong Dong, directeur adjoint du Bureau provincial de l’agriculture et des affaires rurales du Jilin, ce dispositif de compensation garantit aux agriculteurs un revenu stable et une sécurité économique même en période de difficultés, assurant ainsi la stabilité de la production céréalière. 

Renfort de la technologie 

Avec 1,79 milliard de mu (119,3 millions d’hectares) de terres céréalières cultivées, un niveau inégalé depuis 1979, l’extension des surfaces a atteint ses limites. L’augmentation des rendements à l’unité, responsable de 80 % de la croissance de la production l’an passé, devient donc le principal levier à activer. 

À cet égard, le développement des « forces productives agricoles de qualité nouvelle », mêlant biotechnologies, drones, intelligence artificielle et outils numériques, s’impose comme un catalyseur de modernisation. « Ces applications sont capables de transformer efficacement le développement de la production agricole et d’accélérer notre modernisation agricole », estime Jin Wencheng, directeur du Centre de recherche sur l’économie rurale au ministère de l’Agriculture et des Affaires rurales. 

Les données du ministère confirment cette tendance : les avancées technologiques contribuent désormais à 63,2 % de la croissance agricole, et les variétés de cultures de qualité couvrent 96 % des surfaces, participant à 45 % de l’augmentation de la production céréalière.  

Illustration concrète de ce tournant technologique, la ferme laitière intelligente du groupe New Hope, dans la province du Sichuan. Chaque vache y porte un collier connecté et une puce auriculaire, collectant en temps réel des données sur la production laitière, le poids ou encore la fréquence respiratoire. Grâce à une plateforme IoT centralisée, l’alimentation est ajustée et la climatisation régulée, assurant des conditions optimales de production. 

Diversifier pour mieux prospérer 

La modernisation rurale ne se limite pas à l’agriculture. Le gouvernement chinois mise aussi sur la diversification des économies locales : transformation agroalimentaire, tourisme rural ou énergies renouvelables sont autant de secteurs porteurs. En 2024, les grandes entreprises de transformation ont généré 18 000 milliards de yuans (2 486,9 milliards de dollars), ce qui révèle le potentiel de cette filière. 

Le document encourage les districts à devenir des moteurs de croissance en développant des chaînes de valeur locales reliant agriculture, transformation agroalimentaire ou énergies vertes. Selon Zhang Qi, directeur du Centre de recherche sur la revitalisation rurale à l’Université normale de Beijing, « les districts, charnières entre villes et campagnes, constituent l’épine dorsale de l’économie nationale et un levier pour la prospérité commune ». 

Un exemple marquant se trouve dans la bannière centrale gauche de Horqin, en Mongolie intérieure, où une coopérative alterne culture de quinoa et de légumes. Elle optimise ainsi l’usage des terres, tout en diversifiant ses activités grâce à six chaînes de transformation employant 300 travailleurs saisonniers.  

Ce modèle crée de la valeur localement et augmente les revenus des agriculteurs. En alliant sécurité foncière, innovation technologique et diversification économique, la Chine façonne un modèle cohérent et ambitieux de modernisation agricole. Des fermes connectées du Sichuan aux coopératives inventives de Mongolie intérieure, ce modèle illustre une transformation profonde des pratiques rurales.