2025-06-03 |
Semer l'avenir, cultiver les possibles |
VOL. 17 / JUIN 2025 par XIA YUANYUAN · 2025-06-03 |
Mots-clés: nouvelle génération d’entrepreneurs ruraux ; Afrique |
Iden Revocatus Stephano (à gauche) aux côtés de deux professeurs de la CAU (au centre). (PHOTOS : COURTOISIE)
Les échanges académiques, les formations et les transferts de technologies dans le cadre de la coopération sino-africaine annoncent une profonde transformation dans les campagnes tanzaniennes.
Iden Revocatus Stephano, établi dans la région de Morogoro, incarne cette transition portée par la jeunesse. Diplômé de l’Université d’agriculture Sokoine, ce jeune homme de 26 ans dirige une champignonnière florissante, symbole de cette vague de jeunes Africains qui réinventent l’économie rurale à la croisée du savoir global et de l’innovation enracinée dans le local.
Le parcours entrepreneurial d’Iden, soutenu par l’expertise agricole chinoise et des initiatives comme le programme Jeunes entrepreneurs ruraux africains, lancé conjointement par l’Université d’agriculture de Chine (CAU) et le géant technologique chinois Tencent, illustre une tendance de fond : les jeunes Africains saisissent les opportunités offertes par la coopération sino-africaine pour affiner leurs compétences, tracer leur voie et stimuler le développement local.
Graines d’ambition
C’est un peu par hasard qu’Iden découvre les champignons, peu après le lycée. Leur goût singulier suscite un véritable déclic culinaire, d’autant que ces produits restent rares et peu cultivés dans sa région. Il croise alors la route d’un ressortissant chinois, déjà impliqué dans cette filière en Tanzanie. Une idée germe : dans le contexte africain, la culture de champignons représente un véritable « océan bleu » – un secteur encore vierge, riche de promesses.
Comme beaucoup de parents, les siens rêvaient pour lui d’un emploi stable, de préférence dans la fonction publique. Mais Iden aspirait à l’indépendance, et à une activité en adéquation avec sa passion et sa formation en économie agricole. À l’université, son idée mûrit. Il se forme aux techniques de culture, étudie les débouchés, affine peu à peu son projet.
En 2024, son diplôme en poche, il se lance. Grâce au soutien du centre d’entrepreneuriat de son université et de ses mentors, il obtient l’autorisation de rénover un ancien entrepôt pour y installer sa champignonnière. Il achète trois pots de semence à son mentor chinois, puis s’implique dans toutes les étapes du processus, de la culture à la vente, en passant par l’embauche de travailleurs locaux pour la préparation des substrats nutritifs.
« La culture des champignons n’est pas aussi complexe qu’on le croit », confie-t-il à CHINAFRIQUE. « Il suffit de bien maîtriser température, humidité, lumière et aération, et tout devient plus simple. »
Au départ, le manque de moyens le pousse à improviser. Il utilise, par exemple, un vieux fût d’huile pour stériliser le substrat – une méthode de fortune, loin d’être idéale. Mais sa persévérance finit par payer. Aujourd’hui, il récolte environ quatre kilos de champignons frais par jour. Face à une demande locale soutenue et une concurrence quasi inexistante, sa production se vend rapidement, avec une marge qui peut atteindre 60 %.
Une session du programme CAU-Tencent pour les jeunes entrepreneurs ruraux africains, à Beijing, en novembre 2024.
La force du partenariat
Si la réussite d’Iden repose d’abord sur sa détermination, elle s’inscrit aussi dans un cadre de soutien structuré. Sa sélection, en 2024, dans la première promotion du programme CAU-Tencent pour les jeunes entrepreneurs ruraux africains a été un catalyseur décisif.
L’Afrique, avec ses vastes ressources naturelles, sa jeunesse dynamique et ses atouts géographiques, regorge de potentiel rural : agriculture verte, transformation agroalimentaire, tourisme de terroir… Encore faut-il des jeunes formés, innovants et tournés vers le marché.
Lancé en novembre 2024, le programme commun CAU-Tencent s’inscrit dans cette vision. En six mois, il forme de jeunes Africains prometteurs à devenir des leaders du monde rural, capables d’impulser des dynamiques économiques, de lutter contre la pauvreté et de s’inspirer du modèle de développement chinois, tout en l’adaptant à leurs réalités.
La première promotion comptait 20 participants venus d’Ouganda et de Tanzanie. Cinq modules structuraient la formation : initiation à l’entrepreneuriat, stratégies de marketing et de marque, technologies agricoles modernes, conception de plans d’affaires, et visites de terrain.
Les participants ont également visité la Chine, observant de près les stratégies de marque, les tendances de l’agriculture numérique et les pratiques de tourisme rural. Ils ont découvert des villages modèles dans des provinces comme le Zhejiang et le Fujian, pionnières en matière de revitalisation rurale.
En 2024, Iden rejoint ses camarades à Beijing pour deux semaines de formation intensive. Ce séjour élargit sa vision, tout en lui fournissant des bases solides pour faire évoluer sa champignonnière.
Wu Jin, professeure à la CAU et coordinatrice du programme, résume l’esprit de l’initiative : « Ce dont la jeunesse africaine a besoin, c’est d’allumer en elle la flamme du développement, pas de recevoir des modèles figés à recopier. » Le programme valorise l’innovation locale, en adaptant l’expérience chinoise au terrain africain pour en garantir la pertinence et la durabilité.
Faire éclore des leaders
Au-delà des savoir-faire techniques, cette initiative renforce la confiance, les réseaux et le développement personnel des jeunes Africains. Inspiré par cette dynamique, Iden fonde sa propre marque : LedG, pour « leader generation », symbole de sa volonté de faire éclore une génération de bâtisseurs.
Les projets des autres participants étaient tout aussi variés : culture de riz pour la sécurité alimentaire, production de pastèques de qualité, élevage de volailles, horticulture… Certains ont même entamé la création de chaînes de valeur locales, dans la transformation agroalimentaire ou la fabrication d’engrais organiques. L’un d’eux, inspiré par l’industrie chinoise du soja, projette d’ouvrir une boutique locale de lait de soja : un bel exemple de dialogue concret entre cultures.
« Notre objectif est de leur montrer qu’ils ont les clés de la réussite, et que l’agriculture aussi est un “océan bleu” plein d’avenir », affirme Tang Lixia, professeure et vice-doyenne de l’École du développement international et de l’agriculture mondiale de la CAU, qui supervise également le parcours d’Iden. L’approche « apprendre à pêcher plutôt que de donner du poisson » vise à créer un vivier de talents autonomes, moteurs d’un développement rural durable en Afrique.
« Ce programme m’a transmis bien plus que des techniques agricoles : il m’a ouvert à des idées nouvelles sur le développement rural et l’entrepreneuriat des jeunes », confie Iden.
Par leur intelligence, leur ténacité et leur engagement, Iden et ses camarades écrivent un nouveau chapitre de la coopération sino-africaine. Leurs « rêves de champignons », de riz ou d’autres cultures se rejoignent pour bâtir un avenir plus fécond pour les campagnes africaines. Portées par des initiatives visionnaires comme le programme CAU-Tencent, des graines d’innovation, d’émancipation et d’espérance sont en train d’éclore, prêtes à offrir une moisson généreuse aux générations futures, et à poser les fondations d’une prospérité partagée.
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