| 2025-10-09 |
Le continent des confluences |
| VOL. 17 / OCTOBRE 2025 par MA HANZHI · 2025-10-09 |
| Mots-clés: levier de développement ; Afrique |

Des passagers empruntent une ligne de chemin de fer de banlieue à Mombasa, au Kenya, réhabilitée et étendue avec l’aide de la Chine, le 17 septembre. (XINHUA)
Depuis une dizaine d’années, l’Afrique s’impose comme un acteur incontournable sur la scène mondiale. Forte d’une population jeune, d’une urbanisation rapide et de ressources naturelles abondantes, elle cristallise désormais l’attention des grandes puissances. La compétition croissante pour les minerais stratégiques, les corridors logistiques et l’influence géopolitique fait du continent un théâtre majeur des rivalités contemporaines.
L’Union européenne a lancé la stratégie « Global Gateway », visant à mobiliser 300 milliards d’euros (354 milliards de dollars) d’ici 2027 pour financer des projets liés à la transition verte, au numérique et à la santé, notamment en Afrique. Les États-Unis, de leur côté, ont injecté 4 milliards de dollars dans le corridor de Lobito, reliant la Zambie et la République démocratique du Congo à l’Angola, marquant ainsi un glissement stratégique de l’aide vers l’investissement et le commerce.
La Russie cherche à élargir son influence en Afrique centrale et occidentale à travers le renforcement de la sécurité alimentaire, la coopération militaire et l’exploitation minière, dans un contexte de retrait progressif des forces françaises et américaines du Sahel. Le Japon, lors de la neuvième Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique, a quant à lui annoncé une coopération pour la modernisation du corridor de Nacala, qui relie le Mozambique, le Malawi et la Zambie.
En parallèle, de nouveaux acteurs comme la Turquie, l’Inde ou les pays du Golfe multiplient les investissements dans les infrastructures, l’agriculture et les énergies renouvelables. Selon les statistiques officielles, les investissements directs étrangers en Afrique ont atteint 97 milliards de dollars en 2024, soit une hausse de 75 % par rapport à l’année précédente. Ils représentent désormais 6 % des flux mondiaux, contre seulement 4 % en 2023.
Entre pressions extérieures et héritages historiques
Cet engouement renouvelé s’accompagne toutefois de fortes pressions politiques et stratégiques. L’histoire du continent reste marquée par des siècles d’exploitation : traite négrière, colonisation, puis domination politique et économique durant la guerre froide. Autant d’épisodes qui ont nourri des formes de dépendance et de vulnérabilité persistantes.
Aujourd’hui, la logique des blocs ressurgit. Au nom de la « rivalité des grandes puissances », les États-Unis et certains de leurs alliés tentent d’imposer à leurs partenaires africains le choix d’un camp, réduisant la coopération à une simple confrontation géopolitique. Cette approche binaire fragilise les États africains et divise davantage le continent.
Sous le mot d’ordre « L’Amérique d’abord », l’administration américaine mise sur l’unilatéralisme et le protectionnisme, affaiblissant le multilatéralisme et entravant le droit au développement des pays du Sud. Ce néocolonialisme à peine dissimulé perpétue les déséquilibres hérités du passé et retarde l’avènement d’un ordre international plus équitable.
Dans ce contexte, l’Afrique se trouve à un tournant historique : reculer, c’est risquer la marginalisation ; avancer, c’est saisir l’opportunité de se réinventer. Pour réussir, les pays africains doivent concevoir des modèles de développement enracinés dans leurs réalités et portés par leurs propres priorités.
Trois axes s’imposent : promouvoir une coopération mutuellement bénéfique, plutôt qu’un « jeu à somme nulle » dicté par les rivalités extérieures ; dépasser les logiques d’alignement pour bâtir un modèle véritablement ouvert, inclusif et durable ; enfin, coordonner les efforts et les ressources pour transformer la diversité des partenariats en synergie productive. Autrement dit, l’Afrique doit cesser d’être un terrain de jeu pour les puissances, et devenir l’architecte de son propre destin.
Un environnement économique stable et prévisible
La réussite de cette ambition passe par l’instauration d’un environnement économique stable, transparent et propice à l’investissement. Les pays africains doivent construire un climat des affaires reposant sur l’état de droit, la transparence et la prévisibilité des règles. Dans des secteurs sensibles comme les minerais stratégiques, il est crucial de conjuguer souveraineté nationale et coopération ouverte.
D’un côté, il faut renforcer les mécanismes de contrôle et de gestion des ressources afin d’éviter le piège bien connu de la « malédiction des ressources », qui a entravé le développement de nombreux pays riches en pétrole ou en minerais. De l’autre, un excès de nationalisme économique pourrait refroidir les investisseurs et nuire à la solidité des partenariats.
Un cadre de gouvernance ordonné, stable et transparent dans les domaines minier et énergétique permettra non seulement d’attirer des capitaux, mais aussi d’en garantir une utilisation durable et une répartition équitable au bénéfice des sociétés africaines.
Face à la multiplication des sommets internationaux et des annonces ambitieuses, la vigilance reste de mise. Trop souvent, ces engagements restent sans suite. Le Sommet des affaires États-Unis-Afrique 2022 en offre un exemple frappant : malgré l’annonce d’un soutien de 55 milliards de dollars sur trois ans, peu de projets se sont concrétisés, et les mécanismes de suivi restent vagues.
Pour éviter que le continent ne soit prisonnier d’une diplomatie des promesses, il est essentiel que les pays africains renforcent l’institutionnalisation de leurs partenariats. Cela suppose plus de transparence, de redevabilité et un suivi rigoureux des engagements. La crédibilité d’une coopération se juge moins à la profusion des annonces qu’à la réalité des résultats.
Malgré un regain d’intérêt, l’Afrique a aujourd’hui plus que jamais besoin de cohésion interne et de clairvoyance collective pour faire face aux défis d’un monde instable et en mutation rapide.
La Chine, pour sa part, poursuit son engagement ferme auprès du continent, soutenant sa quête de développement autonome, son aspiration à l’unité et sa renaissance fondée sur la solidarité. Ancrée dans une logique de partenariat gagnant-gagnant, la coopération sino-africaine offre une alternative précieuse au modèle fondé sur la confrontation entre puissances.
C’est là que réside toute la portée stratégique de cette relation dans la nouvelle ère : faire de l’Afrique non plus un objet de rivalités géopolitiques, mais un acteur central de son propre développement ainsi qu’un pilier d’un multilatéralisme véritablement rénové.
MA HANZHI : Chercheur adjoint du Département d’études sur les pays en développement, Institut chinois d’études internationales à Beijing